Messina, Laura Imai « L’île des battements de coeur » (2022 traduit en 2024) 352 pages

Autrice: Romancière italienne née à Rome le 16 aout 1981. A 23 ans elle est partie vivre au Japon et travaille entre Tokyo et Kamakura, où elle vit avec son mari japonais et ses deux enfants. Docteur en littérature comparée, elle a écrit plusieurs livres sur la culture japonaise. « Ce que nous confions au vent » est son premier roman traduit en français.
Romans : « Ce que nous confions au vent » (Quel che affidiamo al vento 2020) 2021- L’Île des battements de coeur (L’isola dei battiti del cuore 2022)– Goro Goro et autres contes japonais
Albin-Michel – 01.03.2024 – 352 pages / 10/18 – 06.03.2025 – 312 pages ( traductrice Marianne Faubert)
Résumé: À la mort de sa mère, Shûichi, la quarantaine, revient sur les lieux de son enfance. Lui qui s’attendait à être seul croise le chemin d’un jeune garçon au comportement énigmatique, qui semble avoir connu sa mère.
Peu à peu, une relation se tisse entre l’homme et l’enfant. Elle les mènera sur une île unique au monde : Teshima, où sont conservés les enregistrements des pulsations cardiaques de dizaines de milliers de personnes, vivantes ou disparues. Ce sont les « Archives du cœur » de l’artiste Christian Boltanski
Récit d’une amitié réparatrice, L’Île des battements de cœur évoque avec délicatesse le deuil, les souvenirs et la nécessité de vivre le présent… Après Ce que nous confions au vent, Laura Imai Messina livre une des clés essentielles du bonheur : faire la paix avec son passé pour oser aimer à nouveau.
Mon avis: ♥️ ♥️ ♥️ ♥️ ♥️
Deuxième livre de cette autrice et deuxième coup de coeur. Tout en nostalgie, pudeur, humanité, douceur, poésie…
Shûichi est dessinateur, illustrateur et auteur de livres pour enfants. Nous faisons sa connaissance alors qu’il vient de perdre sa mère et qu’il décide de vider toute la maison, de faire table rase du passé, d’effacer tous ses souvenirs pour ne plus souffrir. Mais tout ne va pas se passer comme prévu… Un petit garçon va tout chambouler… Ce roman est l’histoire d’une rencontre; et même de deux. Celle avec un petit garçon et celle avec une femme, Sayaka. Un point commun entre des trois personnes : sa mère, Madame Ôno.
Un lien de confiance va à peu va s’installer et l’enfant et l’adulte vont petit à petit se rapprocher. Au lieu d’effacer le passé, les souvenirs vont peu à peu faire renaître Shûichi. Car il reste au fond de lui l’enfant qu’il a été, et la rencontre avec le petit Kenta va le mettre sur le chemin de la résilience, va aussi l’ouvrir à l’avenir, lui tracer la route du bonheur, lui montrer que se refermer sur lui même, prendre la fuite après les drames qu’il a vécu n’est pas une façon d’avancer. Il va donner à ce petit garçon, et en retour il va tisser des liens qui vont amener des couleurs dans la vie et… dans ses illustrations. C’est un moment de lecture magique: les sentiments sont là mais toujours purs et lumineux. L’autrice nous émeut mais sans sensiblerie ni mièvrerie. Elle suggère une méthode de reconstruction par la confiance, les liens d’amitié, le souci de l’autre.
Et en plus ce roman permet de découvrit avec beaucoup de poésie la culture japonaise, l’histoire merveilleuse des kanjis, l’origine des idéogrammes, les contes… et l’île de Teshima et la création par l’artiste Christian Boltanski des Archives du coeur.
J’ai également bien apprécié recroiser des personnes rencontrées au Téléphone du vent.
Doki doki, baku baku, dokin, dokitto, dukkun-dokkun, Kyun, toku toku … tous ces sons du coeur dont nous nourrit l’autrice m’ont énormément émue.
Pour en savoir davantage, il vous faudra lire le livre jusqu’à la toute fin… Les larmes aux yeux ne sont pas exclues … mais la re-naissance est au bout du chemin…
Extraits:
Au sud-ouest du Japon, dans la partie de la mer intérieure de Seto située entre les provinces de Kagawa et d’Okayama, flotte un îlot unique au monde : Teshima.
« Le mensonge arrange la vie et la rend plus belle, et comme on ne sait pas ce que c’est que la vérité, ce n’est pas très important. » Christian Boltanski
Cette île est un cœur. Elle se contracte au rythme irrégulier des vagues. Les marées étirent ses pulsations.
Elle avait su valoriser le regard rêveur de son fils qui, dès l’enfance, avait transformé les chats en messagers occultes, les fenêtres en passages magiques, et les insectes qui pullulaient si joyeusement l’été en envahisseurs venus d’autres planètes.
La vie est une succession de naufrages.
L’île où nous accostons, l’état de notre bateau ou de notre radeau de fortune, nos bras, le seul objet conservé de notre vie passée : tout prend de l’importance. Parce qu’à notre arrivée sur la plage, quelle que soit l’existence qui l’a précédée, tout se transforme en souvenir.
Au fond, Shûichi croyait que ce dont on ne parle pas se réfugie dans les rêves.
tout sentiment authentique devait commencer et finir avec soi, la joie ne devait pas dépendre de la réponse du monde, ni le bonheur de quelqu’un d’autre.
L’erreur, en substance, consistait à chercher au-dehors ce qu’on portait en soi.
Toutefois, le premier pas était le plus compliqué : il s’agissait de comprendre ce que l’on portait en soi.
– Les mots courent trop vite et moi, j’oublie tout, mais quand tu les écris, tu peux t’en souvenir.
– Mais ce n’est pas grave, d’oublier.
– Ça dépend. Il y a des mots qu’on voudrait se rappeler pour toujours.
on comprend qu’on s’est attaché à quelqu’un quand on le voit là où il n’est pas.
Ce qui l’excitait surtout, c’étaient les débuts, quand il se lançait dans l’écriture d’un nouveau livre et passait des journées entières en bibliothèque : il y entrait avec un seul mot et en sortait avec tout un bouquet.
Les adultes ne peuvent pas consoler les enfants parce que leurs mondes sont trop distants. Les enfants se contentent de l’amour, ils savent que c’est tout ce que les adultes peuvent leur donner.
Dans les dessins de Shûichi apparaissaient des fenêtres, de nombreuses fenêtres, et chaque histoire se jouait sur ces ouvertures qui permettaient ou empêchaient la communication entre une maison et tout ce qui l’environnait.
Quand ce sont des mystères inventés, oui, c’est magnifique, mais s’ils concernent ta vie, ce ne sont plus que des pièces manquantes.
Ils découvrirent aussi que l’amour, c’était regarder en arrière et hésiter.
Ce qui compte, disait l’artiste, c’est uniquement de transmettre la mémoire, parce que les gens ne reviennent à la vie que dans la mémoire des autres.
C’était donc vrai : les souvenirs restaient tapis et tranquilles des années durant, puis ils explosaient tous ensemble, à l’instar des bambous issus d’une même souche qui, où qu’ils aient été plantés, fleurissent en même temps.
La naissance d’un enfant, comme celle d’un amour, d’une amitié ou d’une relation professionnelle agréable, était selon lui une mise en danger.
« Si vous multipliez vos relations, vous réduisez vos possibilités d’être heureux, car il ne suffit plus que les choses se passent bien pour vous, il faut aussi qu’il en aille de même pour toutes ces personnes »
C’était inévitable : si on refusait la douleur, la joie elle aussi s’en allait.
Au cours de ces mois-là, il s’était convaincu que le reste de son existence se déroulerait ainsi, mais voilà que soudain, tout avait changé.
Pour être heureux, il faut avant tout imaginer qu’on l’est.
Shûichi voulait retrouver son enfance car, pour lui, redevenir un enfant signifiait éprouver à nouveau cette même peur, ce désespoir profond, mais aussitôt après, être d’un seul coup capable de sourire et de courir jouer, malgré une blessure qui saigne encore.
les enfants souffrent sans savoir pourquoi, ils n’ont pas les mots pour le dire. Quand ils essaient, ils trouvent que ça ne sonne pas juste.
La nostalgie est un sentiment qui leur est familier et le souvenir des disparus, un lieu où revenir. Comme on se blottit devant un feu après une averse pour se sécher, bien qu’on sache qu’on n’y arrivera jamais complètement.
« Plus on accumule les preuves de la réalité de quelqu’un, plus on montre qu’il est absent. » (Christian Boltanski)
l’enfant que nous voyons est celui qui nous échappe, celui qui, peut-être dès demain, disparaîtra pour laisser place à l’adulte qu’il attend de devenir. À la fois flous et précis, ces petits personnages sont autant de fantômes d’une enfance sur le point de s’achever.
Maeda paraît suggérer que d’une double solitude peut naître une amitié. Qu’à travers deux paires d’yeux, le monde peut gagner en couleurs.
La voilà, l’imagination du bonheur : pour être heureux, il faut avant tout s’imaginer l’être !
Informations:
kanji : signes idéographiques d’origine chinoise qui, avec les hiragana et les katakana, constituent le système d’écriture de la langue japonaise.
Le syndrome de takotsubo, qu’on appelle aussi syndrome du cœur brisé, est une myocardiopathie le plus souvent transitoire causée par un stress aigu d’origine physique ou psychologique : traumatisme, deuil, séparation, situation de danger extrême.
Son nom vient du nom japonais d’un piège à poulpes dont la forme rappelle celle d’un cœur affligé de ce trouble.
Des chercheurs de l’université de Californie ont découvert que les cœurs des amoureux battent à l’unisson s’ils sont assis face à face et se regardent dans les yeux. Dans le processus amoureux, le cœur des femmes s’adapte plus rapidement au rythme de celui de leur compagnon.