Orange, Tommy « Les étoiles errantes » (RLE2025) 368 pages

Auteur : Né le 9.01.1982, Tommy Orange a grandi à Oakland, en Californie, mais ses racines sont en Oklahoma. Il appartient à la tribu des Cheyennes du Sud (D’origine cheyenne et arapaho), de mère blanche et père natif. Diplômé de l’Institute of American Indian Arts, où il a eu comme professeurs Sherman Alexie et Joseph Boyden, il a fait sensation sur la scène littéraire américaine avec ce premier roman.
Il y a quelques années, il faisait irruption avec un incroyable premier roman, « Ici n’est plus ici », porté par une voix, empreinte de rage, d’humanité et de poésie. Ce livre a fait de lui, à travers le monde, l’un des jeunes écrivains américains les plus remarqués de ces dernières années.
Romans : « Ici n’est plus ici » – « Les étoiles errantes » (Wandering stars 2024)
Albin Michel Collection Terres d’Amérique – 20.08.2025 – 368 pages – Stéphane Roques (Traducteur) – Nomination aux Goodreads Choice Awards
Résumé :
Colorado, 1864. Bird, survivant du massacre de Sand Creek, est envoyé à la prison de Fort Marion en Floride. Soumis à une impitoyable discipline, le jeune Cheyenne est forcé d’apprendre l’anglais, de se convertir au christianisme et de se choisir un nouveau nom – Star. L’idéologue de ce « processus de civilisation » se nomme Richard H. Pratt, un ancien soldat qui a fondé la tristement célèbre Carlisle Indian School, une institution vouée à l’éradication de la culture et de l’identité autochtones. « Tuez l’Indien, sauvez l’homme » : telle est sa devise.
Des années plus tard, Charles, le fils de Star, rejoint cet établissement, où il est à son tour brutalisé par le geôlier de son père. Son unique consolation, ce sont les moments passés en compagnie d’une jeune camarade de classe, Opal Viola, avec qui il rêve d’un avenir commun, pour eux et les générations futures, loin de la violence qui les poursuit. Mais l’espoir leur est-il seulement permis ?
Dans une prose incandescente peuplée de magnifiques personnages, Tommy Orange comble les lacunes de la mémoire en déployant, du XIXe siècle à aujourd’hui, l’histoire déchirante d’une famille amérindienne qui s’efforce de retrouver le chemin de la vie. Une épopée moderne et bouleversante sur les conséquences collectives et individuelles de l’assimilation culturelle forcée.
L’histoire déchirante de plusieurs générations d’une famille amérindienne qui s’efforcent de retrouver le chemin de la vie.
« Personne ne sait exprimer la tendresse et la nostalgie comme Tommy Orange. » Louise Erdrich
Mon avis:
Il y a l’avant et l’après Sand Creek … (Le massacre de Sand Creek est un événement des guerres indiennes aux États-Unis qui s’est produit le 29 novembre 1864, lorsque la milice du territoire du Colorado a attaqué un village de Cheyennes et d’Arapahos installé sur les plaines orientales (à l’est des montagnes Rocheuses), au bord de la Big Sandy Creek.)
J’ai trouvé intéressant que le titre du livre soit tiré de la Bible : « Des vagues furieuses de la mer, rejetant l’écume de leurs impuretés; des étoiles errantes, auxquelles l’obscurité des ténèbres est réservée pour l’éternité. » (Epître de Jude) et de comprendre ainsi pourquoi le personnage de « Bird » est devenu Jude Star…
Une saga familiale qui s’étend sur 150 ans, débute en 1864 et couvre 7 générations.
On entre immédiatement dans le vif du sujet avec le massacre des Indiens de Sand Creek, les guerres, le vol des terres indiennes, les enfants placés dans des pensionnats inhumains dans lesquels on les force à parler anglais, une assimilation forcée, on les dépossède de leur identité et de leur culture. Les Indiens sont des sauvages, il convient donc de détruire leurs traditions, leurs langues, leur culture. Dès 1879 si les parents n’envoient pas les enfants à l’école, ils se retrouvent en prison; le roman nous parle des ravages de l’école des blancs, des addictions telles que la drogue et l’alcool, et de la musique comme élément salvateur.
Mais bien qu’on ait essayé de déposséder l’enfant indien de son identité, tout enfant né indien est toujours resté un natif indien et il le reste toujours, même après plusieurs générations.
Nous allons faire la connaissance de Bird, un enfant qui échappera au massacre, fuira à cheval, puis se retrouvera en prison. Bird est un enfant qui ne parle pas. Aucun mot ne sort de sa bouche mais ce n’est pas pour autant qu’il est arriéré comme certains le pensent. En prison il va apprendre l’anglais et apprendre à lire. Il va surtout lire la Bible et quand il devra choisir un nom il choisira Jude Star. Ceci suite à la lecture de l’épitre de Jude qui parle des déracinés et des étoiles errantes. Jude va lire mais pas seulement la Bible. Pour lui les livres deviennent des entités vivantes et autonomes, qui ont leur propre destinée.
Alors qu’il était incapable de proférer un son, il va retrouver sa voix grâce à l’alcool (!) ;mais même si il retrouve sa voix il est incapable de s’en servir dès qu’il n’est pas seul.. Il lui faudra découvrir une nouvelle église dans laquelle Blancs et Indiens prient ensemble et où se produisent des miracles pour qu’il en retrouve l’usage. Et il rencontrera aussi sa future femme, Hannah, une irlandaise qui a grandi avec des Cheyennes.
Une nouvelle façon de prier va faire son apparition, un culte importé du Mexique par un chef commande et qui est supposé concerner l’avenir du peuple indien pour les 7 générations à venir, sous la protection de la médecine sacrée indienne.
Le roman aborde aussi le problème des croisement entre indiens et blancs et leur mal-être.
Les traditions, les noms indiens sont aussi bien présents et l’importance et le pouvoir des noms cachés, les coutumes cheyennes (les morts doivent reposer sur les branches d’un arbre, enveloppés de couleurs vives) , l’importance de l’appartenance. Quand on demande d’où on vient, on donne le nom de sa tribu et pas un nom de ville. Les Indiens sont un peuple de survivants qui font tout pour continuer à vivre et perpétrer leur vie, leur culture, leur unité, leur identité. L’importance des racines: si on ne sait pas d’où on vient, on ne peut pas savoir où on va.
La manière dont l’auteur tisse les vies des personnages et des générations, dont il fait entendre les voix entrelacées est tellement humaine et nous entraine dans la famille, nous fait participer à la vie de la communauté. Comme dans son précédent roman, il évoque la question être autochtone et indien urbain, et la non représentation des Indiens dans la vie culturelle (pas de super-héros indiens)
C’est un livre témoignage, un livre à la fois document , puissant, et humain qui nous accompagne sur sept générations ( merci d’avoir mis l’arbre généalogique au début car sans cela je pense que je me serais souvent perdue!).
Merci à Francis Geffard et la Collection Terres d’Amérique de leur confiance et de m’avoir permis de découvrir ce deuxième roman de l’auteur.
Extraits:
De tous les vertébrés, les oiseaux sont ceux qui ont la meilleure vue, et ils sont sacrés parce qu’ils s’envolent vers les cieux, et qu’il suffit d’une seule de leurs plumes, et de quelques volutes de fumée, pour qu’une prière atteigne le Grand Esprit.
Changer de nom équivalait à une seconde mort. J’ai eu l’impression d’être une nuée sans eau. Un arbre sans racines, déraciné. Deux fois mort.
Les souvenirs de Charles Star vont et viennent à leur guise. C’est un miroir brisé, à travers lequel il ne se voit que morcelé. Il ne sait pas qu’il en va de même pour tout le monde, pour la mémoire elle-même, qu’il s’agit d’une carte dépourvue de centre et, pour ceux qui regardent un peu trop en arrière, d’un piège.
Je te parle alors que tu prends vie, et je lui parle alors qu’il quitte les vivants. Nous devons atteindre les vivants avant qu’ils viennent au monde, de même qu’il faut atteindre la rivière avant qu’elle apparaisse, rester en contact avec les morts même quand ils semblent avoir disparu, suivre les traces de la mer une fois qu’elles ont séché.
Les araignées tissent une toile pour que les étoiles restent à leur place, pour que la lumière nous guide dans l’obscurité. Les étoiles sont nos ancêtres, mais les araignées aussi. Elles sont la trame et la lumière.
Nous appartenons à ce que nous sommes comme un chant appartient au chanteur, mon coeur est un cheval et mon âme est une rivière glaciale.
On raconte beaucoup de choses sur ce qui se passe après la mort. On devient lumière, la lumière morte des étoiles, ou bien on nage dans la rivière du ciel ou on devient le sol de la Terre. Les anges, les démons et les fantômes. Tout devient une histoire que l’on se raconte à propos du silence.
Mais les histoires se racontent après coup. Et le seul fait avéré sur la vie après la mort, c’est que rien ne vient de là-bas. Tout va là-bas.
On continue de subir un malheur même quand il cesse
Personne sait ce que l’avenir réserve. C’est vrai, j’ai pensé quand elle a dit ça. Mais je savais aussi que le passé jouait souvent au con avec l’avenir.
Elle peut prendre la bonne Route Rouge, comme le veut l’expression consacrée chez les Indiens pour parler de ceux qui ont cessé de boire et sont en convalescence…
La culture chante.La culture danse. Elle continue de nous raconter des histoires qui nous emportent, nous emmènent loin de notre vie pour faire de nous de meilleures personnes.
Et c’est dur de ne pas se sentir blanc à l’intérieur quand on a été élevé comme un Blanc.