Frappat, Hélène – Lady Hunt (08/2013)

Frappat, Hélène – Lady Hunt (08/2013)

Auteure : Diplômée de philosophie et passionnée de cinéma, Hélène Frappat est romancière. Elle a écrit « Sous réserve » (Allia, 2004) – « L’Agent de liaison » (Allia, 2007) – « Par effraction » (Allia, 2009, mention spéciale du jury, prix Wepler 2009), « Lady Hunt » (08/2013) – « Inverno » (2011) – « N’oublie pas de respirer » (2014) – « le dernier fleuve » (2019) –

Actes Sud – Août, 2013 – 320 pages / Babel – Février, 2016 – 336 pages

Résumé : Laura Kern est hantée par un rêve, le rêve d’une maison qui l’obsède, l’attire autant qu’elle la terrifie. En plus d’envahir ses nuits, de flouter ses jours, le rêve porte une menace : se peut-il qu’il soit le premier symptôme du mal étrange et fatal qui frappa son père, l’héritage d’une malédiction familiale auquel elle n’échappera pas ?

D’autres mystères corrompent bientôt le quotidien de la jeune femme, qui travaille pour une agence immobilière à Paris – plus un effet secondaire qu’une carrière. Tandis qu’elle fait visiter un appartement de l’avenue des Ternes, Laura est témoin de l’inexplicable disparition d’un enfant.

Dans le combat décisif qui l’oppose à l’irrationnel, Laura résiste vaillamment, avec pour armes un poème, une pierre noire, une chanson, des souvenirs… Trouvera- t-elle dans son rêve la clé de l’énigme du réel ?

Sur la hantise du passé qui contamine les possibles, sur le charme des amours maudites, la morsure des liens du sang et les embuscades de la folie, Hélène Frappat trace une cartographie intime et (hyper)sensible de l’effroi et des tourments extralucides de l’âme. Des ruines du parc Monceau à la lande galloise, avec liberté et ampleur elle réinvente dans Lady Hunt le grand roman gothique anglais, et toutes les nuances du sortilège.

 

Analyse en relation avec une interview de l’auteur: Le titre du livre « Lady Hunt » est une référence à une maladie la « chorée de Huntington », personnage à part entière du roman. Cette maladie est particulière. Maladie héréditaire, elle peut être détectée dès l’âge de 18 ans mais on ne peut pas la guérir et les porteurs du gène peuvent savoir exactement comment ils vont mourir. Cela pose la question de l’hérédité ; les parents transmettent la vie, et aussi la mort. Maintenant il faut se demander si on souhaite savoir si on est porteur du gène ( on peut ainsi éviter de le transmettre) ou vivre dans le doute ; se demander ce qui est plus difficile à vivre.. Savoir ou douter ? Cette maladie dégénérative habite, hante « la maison du corps »

Dans le roman d’Hélène Frappat, on est toujours à la lisière des mondes ; ni dans le rêve, ni dans la réalité… dans l’entre deux. On est à la possible naissance de la maladie, on vit dans le monde du doute, de l’incertitude, et c’est angoissant de ne pas savoir, de se poser la question de savoir si on veut savoir ou pas.. On se demande toujours si une maladresse signifie que la « Chorée » arrive. La Chorée, c’est Lady Hunt. Hunt diminutif de Huntington.. Hunt comme « chasse » en anglais ; la femme qui chasse et qui est chassée ; Diane chasseresse, Luna comme la déesse des ombres… La chasse à la maison, la femme chassée par la maladie ; la maladie personnage du roman sous le nom de Lady Hunt.

Fantômes, ombres, forces mystérieuses, récit fantastique… Un roman non autobiographique écrit à la première personne. On évolue dans des mondes parallèles ; dans l’univers des maisons et de leurs histoires, qui hantent ceux qui y habitent ou y ont habité. L’héroïne, Laura (l’aura) Kern est agent immobilier ; son métier : faire se rencontrer des maisons et les rêves des personnes qui souhaitent trouver « la maison de leurs rêves » ; Le fantastique s’en mêle. Il convient de trouver sa place entre le rêve et la réalité.

Dans le livre les images, la poésie, les croyances (les sorcières, les cheveux roux, le chat), les visions, les lieux hantés, la perte ou la recherche d’identité. Les rêves sont le thème récurrent ; l’identification maison/personne (la maison habite, s’infiltre dans les personnes, vit en eux et eux vivent à travers elle) ; le rêve est omniprésent ; l’obsession du rêve récurrent. Le rêve s’insinue dans le réel ; des lambeaux de rêve s’accrochent à la réalité et les frontières s’effacent… et c’est l’angoisse… On aborde le thème de la maison imaginaire qui sert de refuge, d’abri, qui permet de fuir la réalité. Toute maison conserve en elle les traces des occupants précédents ; les lieux sont des « chambres d’écho » ; les femmes habitent les maisons alors que les hommes les traversent. Le roman est par ailleurs le cadre de trois romans d’amour.. Celui de l’amour entre les parents, John et Enora, puis celui de Laura et de son patron, rencontres furtives dans des lieux vides, et enfin la rencontre avec un homme qui a aussi le don de rencontrer les maisons. On essaie dans ce roman de rendre la vie habitable.

Le tout dans une ambiance celtique, avec l’héritage de la mythologie et des croyances ancestrales, la seconde-vue, les voix, les rêves prémonitoires, la magie, les guérisseurs…

Un roman aussi ou les couleurs et les ambiances sont parties prenantes ( le rouge et le bleu, toutes les ambiances de brume, d’hier, de brouillard, de crépuscule)

Mon avis : Si vous aimez les romans anglais victoriens du XVIII ème, les romans des sœurs Brontë, de Daphné du Maurier, vous allez adorer ! Moi j’ai plongé. J’ai aimé la façon d’écrire, la plongée dans le doute, la poésie à fleur de pages… je me suis laissé envelopper dans la brume, dans les maisons et leur passé… Mais il faut dire que je suis très sensible aux ambiances, à la personnalité des maisons et de leurs habitants… J’ai aussi apprécié la façon de faire de la maladie latente un compagnon de route et non une chose à part..

 Extraits

Si tu me cherches, je suis perdu dans mes pensées

Mon cœur, battant trop fort, avait-il éteint tous les sons ?

La nuit est tombée sur nous avec précaution. Le crépuscule gris de l’automne, et sa lente, son invisible extinction, nous ont donné le temps de comprendre

La brume est sans saison. Tous les moments du jour se confondent. On pourrait être à l’aube, au crépuscule. La brume envahit tout, ciel, mer, maison. La brume envahit mes pensées. Recroquevillée au fond de mon rêve, je grelotte

Mon cœur se serre en apercevant la silhouette voûtée qui semble, à chacune de mes visites, rétrécir un peu. De loin, derrière l’écran sale du pare-brise, son corps élégant et frêle dégage une solitude poignante. Elle ne s’est jamais remariée.

leurs silhouettes effacées se tiennent en arrière-plan d’une photo de famille, comme s’ils avaient peur de déranger

les points cardinaux régnaient en étoiles menaçantes

Je ferme les yeux, et bascule dans le puits noir du sommeil, du souvenir, saisie, juste avant la nuit, par un sidérant vertige

Jadis, je rêvais comme tous les dormeurs ; je dormais comme tous les rêveurs.

Mes journées ressemblaient à une salle de cinéma dont le projectionniste a oublié d’éteindre les lumières

Les fenêtres-yeux de la maison renvoient aux intrus leur reflet. Les fenêtres-miroirs de la maison dissimulent aux intrus son secret

Je ferme les yeux, m’attendant à voir surgir des lambeaux de rêve.

En fermant les yeux, j’aimerais anéantir le monde. Seules les lèvres de mon amant resteraient. Elles vivraient à jamais derrière mes paupières

Les arbres ont tout vécu. Ils savent ce qui s’est passé à l’intérieur. Un homme entouré d’arbres n’a pas de secrets

On redoute toujours le moment où l’on ne pourra plus faire semblant, où l’on devra regarder en face ce qu’on savait déjà

Mes pensées s’entrechoquaient dans la prison de ma tête. Mes pensées invisibles aux yeux du monde

Dans le silence, mes pensées résonnaient distinctement. Elles s’enchaînaient, comme des vêtements sur une corde à linge

Son regard passait à travers moi. Un fil invisible était tendu entre son regard et le mien. Impossible de lâcher le fil

Nous sommes restés au milieu de la pièce comme deux cailloux jetés l’un contre l’autre par les vagues. À chaque mouvement souterrain du courant, la mer, qui devrait nous éloigner, nous rapproche

Je m’enroule dans le souvenir de sa voix comme dans un châle troué

Ce ne sont pas des rêves, des demi-sommeils plutôt. Enfant, on a ces connexions. On est en contact avec nos guides. Et puis on grandit. On se ferme. On s’isole. On

L’avenir m’est interdit ; le passé est un paysage gelé dans le brouillard ; le présent où je vis est déjà loin de moi

Ma mère a toujours nommé la maladie Chorée, comme si, un matin, une déesse antique avait ravi mon père pour l’emmener au pays natal que sa femme ne connaîtrait pas

ce fut un hiver interminablement pluvieux : du ciel coulaient les larmes absentes sur les joues de notre famille

La lumière rebondit sur les vitraux et console les arbres nus d’un reflet d’arc-en-ciel.

Sous la voûte du toit, le grenier blanc et clair attend, sans hâte, de conserver des souvenirs bienveillants.

Je me suis cognée aux murs de la nuit et j’ai franchi la porte du rêve. Le temps n’existe pas

Éphélide. Du grec hélios, soleil. Caractère autosomique dominant : un seul gène roux suffit à les transmettre.

comme si toute photographie conservait l’empreinte du passé, et qu’il suffisait de creuser sous la surface pour retrouver, intacte, la première image

Retournants est le nom de ces âmes en peine, en quête d’un dernier refuge, parmi le fracas des récifs hostiles aux vivants et aux morts

Quand mon père a commencé à perdre la mémoire, Chorée a dissous les souvenirs les plus proches, à commencer par les prénoms de sa femme et de ses filles. Puis elle s’est attaquée aux noms des couleurs. Peu à peu sont remontés à la surface, telles des plantes aquatiques vivaces qui asphyxient un étang, des souvenirs anciens, si anciens, dérisoires

Le ménage marque le passage du temps

Je reconnais la mélodie, dont quelques notes ont infiltré ma mémoire, comme si un lambeau de rêve s’était accroché à mes cheveux

Londres est une ville d’aquarelle. La pluie délave les couleurs comme l’eau celles du pinceau

Comme il doit faire froid, et gris, et triste, dans le cœur d’un petit garçon qui grandit sous ce ciel bas.

La pluie voile de gaze les étoiles

Dans la vitre miroir du rêve, je suis invisible

“Comment vivrez-vous quand vous connaîtrez votre avenir ? Comment éviterez-vous que votre vie ne devienne un programme ? Comment continuerez-vous à aimer ? À rêver ?”

Celui qui ne rêve pas ne sait rien de la nuit. Celui qui rêve sans cesse ne sait plus rien du jour

Au réveil, ce matin, il y a dans mon cœur une place nouvelle. Tu es toujours là, mais sous la forme un peu floue du souvenir. Les contours de toi ne sont plus si nets, si tranchants

 

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