Goby, Valentine «Baumes» (10.2014)
Auteur : Ecrivaine française née à Grasse en 1974. Elle vit en région parisienne. Ses thèmes de prédilection sont: La place des femmes, leur corps, les yeux des femmes à cause de leur corps, de leur sexe, comment une femme regarde et change le monde, par amour, par envie, par orgueil, par ennui, par vengeance, en tant que sœur, mère, fille, amante. Comment l’Histoire les affecte, comme elles l’affectent, du Paris contemporain à la Provence atemporelle, à l’Afrique de l’après-guerre, à la Bretagne des années 1940. Les lieux, comment les lieux nous traversent, comment nous les traversons, comme l’espace nous façonne et comment nous le transformons. L’enfance, comment elle nous survit et s’acharne à nous habiter, dans chaque moment de la vie, dans chaque âge et en toutes circonstances, comment chaque geste est porteur d’une histoire toujours ancrée dans l’enfance. Ce qui est valable pour un homme est valable pour une nation, alors l’Histoire, la grande, me passionne aussi, c’est en elle que je cherche et trouve les racines de toutes les blessures présentes, je l’explore, la dissèque, comme les origines individuelles. ( source) .
Ses romans : La note sensible, 2002 – Sept Jours, 2003 – L’Antilope blanche, 2005 – Petit éloge des grandes villes, recueil de textes, 2007 – L’échappée, 2007 – Qui touche à mon corps je le tue , 2008 – Des corps en silence, 2010 – Banquises, 2011 – Kinderzimmer, 2013 – Méduses, 2013 – Baumes (Collection Essences- Actes Sud), 2014 – Un paquebot dans les arbres, 2016
Résumé : Je me demande si le père de mon père, que je n’ai pas connu, portait l’odeur d’usine dans toute sa peau et tout son vêtement. S’il rentrait lui aussi imprégné d’essences pures, si sa présence provoquait de semblables, silencieuses apocalypses, pouvait défaire le monde dans lequel il surgissait, en imposer un autre, avec ses propres protocoles, que sa disparition renversait aussitôt et les souris dansaient. S’ils se sont transmis ça, en même temps que le patronyme, le patriarcat, la maison magnifique parmi les oliviers : cette capacité à occuper l’espace, le saturer. Le confisquer.
Valentine Goby aborde ici ouvertement le récit autobiographique. Pour la collection Essences, elle revisite son enfance à Grasse, pays des parfumeurs et territoire du père, à travers les odeurs qui ont façonné les premières années de sa vie, de séduction en crises d’asthmes…
Paru dans La Collection « Essences » d’Actes Sud – Octobre 2014 – 72 pages
Mon avis : Un petit livre magnifique ! Sur les odeurs et les essences, sur le parfum mais pas seulement. Sur la vie, sur les rapports entre les êtres, sur l’art et la création… Sur le parfum et sa correspondance avec la vie, la musique… au travers des mots … sur les senteurs qui font remonter les gouts et les images… Que révèle le choix de notre parfum sur nous-même ? est-il notre seconde peau ? Quand on lit ce livre, il est impossible de ne pas rechercher dans notre mémoire les parfums qui ont jalonné notre existence. Ceux des êtres chers et notre parcours… Dans ce livre le parfum est aussi une affirmation de son existence et une confrontation avec la figure du père. Magnifiquement écrit, je tombe une fois de plus sous le charme de l’écriture de cette romancière ( après avoir lu « Banquises » et « Kinderzimmer » ) . Bien sûr ce livre me donne envie de relire Le Parfum de Patrick Süskind et j’en profite pour vous suggérer de lire le petit livre d’Ellena (commenté sur mon blog) sur l’univers d’un parfumeur.
Mes parfums :
Nahéma (Pour l’hiver) : Oriental Floral Fruité. Troublant, velouté, unique. C’est d’abord une bouffée de roses choisies dans les meilleures familles de cette espèce innombrable. En cœur, la senteur fraîche et verte de la jacinthe. Puis des fruits, pêches et fruits de la passion, symboles depuis Eve de la tentation. Le fond de la composition est soutenu par le bois de santal et le patchouli. Inspiré par une rose orientale au charme enivrant, Nahema est un véritable elixir énigmatique.
Insolence : (pour l’été) Floral Fruité Poudré. Surprenant, audacieux, féminin. Philtre sensuel, Insolence nous emmène tout de suite dans le cœur du parfum. Cette fragrance florale fruitée allie les notes de fruits rouges, aux notes féminines de violette et de fleur d’oranger, ainsi qu’au luxe velouté de l’iris pour former un accord sulfureux et voluptueux. Insolence met en scène une violette sur-dosée, survoltée ; une violette triomphante, aux antipodes du murmure timide que d’ordinaire on traite en demi-teinte et contre-jour. A côté de cette violette éclatante, est jouée un iris féminin, au chic intemporel. Avec Insolence, c’est aussi la première fois chez Guerlain que sont utilisés les fruits rouges
Extraits :
Le parfum est aussi élémentaire que le peigne et la brosse à dents.
Je n’ai même pas la vision de champs de lavande, d’orangers aux fleurs de cire, de lilas en grappes ; je vois l’usine
Dans mes souvenirs d’enfance mon père n’a pas de visage et quasi pas de corps. Son corps et son visage sont en voyage d’affaires ou dissous dans l’odeur d’usine.
Parfois, il déballe des gourmandises plus familières, loukoums à la rose, nougat, carrés de Zan à la violette, toutes choses comestibles à la lisière du goût et de l’odorat, des flaveurs et des fragrances dans lesquelles entrent des essences pures mais qui contrairement à l’odeur sont matières domptables, par les muqueuses, la salive et la mastication. Nous les dominons. Nous les ingérons. Nous les digérons. Nous les détruisons.
Ce livre m’invite et me tient à distance.
Lire c’est pour décamper. C’est pour filer avec Durrell dans les îles grecques, fuguer avec Meaulnes jusqu’au château d’Yvonne de Galais, descendre au fond de la mine avec Zola.
[…] l’écriture de Süskind fabrique des odeurs ; des odeurs puissantes comme des essences pures. La langue est sa matière première. Mon père traque les plantes à parfum à travers le monde, Süskind débusque les mots dans la jungle de la langue et à la fin, tous les deux fabriquent des odeurs. Je découvre que le mot à lui seul provoque la sensation. Par l’écriture, Süskind crée le réel, et d’emblée il s’en affranchit. Une liberté pareille me colle le vertige.
l’odeur te signe et te distingue.
Je trace dans les rues un écheveau de pistes olfactives, et je me planque dans les impasses et sur des placettes désertes pour m’imprégner à nouveau de parfum, pour laisser partout une empreinte, je me sature et je sature l’espace.
je colonise le champ lexical des odeurs, frontalier de celui de la musique, ses mots essentiels, notes, gamme, harmonie, accord, clavier et touches ;
C’est un empire économique que son domaine de création rend aimable, il ouvre sur le rêve, la beauté, il est presque pardonné.
l’animal code l’émotion en flux olfactifs perceptibles, interprétables par ses semblables, mais ce langage d’hormones et phéromones, nous ne le déchiffrons plus depuis longtemps, camouflé sous les cosmétiques et le gaz carbonique
Je veux écrire chaque émotion avec la précision d’une formule olfactive.
Toute mon enfance dit le caractère nécessaire, indiscutable du choix d’un parfum, qui t’annonce avec la même évidence que ton prénom, la forme de ta bouche, la couleur de tes yeux.
Tout ça n’existe plus que dans la mémoire olfactive, il se souvient.
La Collection « Essences » d’Actes Sud (voir page sur le blog)
7 Replies to “Goby, Valentine «Baumes» (10.2014)”
Belle chronique encore une fois qui m’a donné non seulement l’envie de lire « baumes » mais aussi d’aller en parfumerie sentir les deux que tu cites.
J’aime toutes les odeurs qu’on peut y sentir et pourtant, je suis incapable de repartir avec un nouveau parfum en sortant.
Je prend toujours le même depuis des années. Le même, été comme hiver…
Un parfum frais composé de fleurs délicates et légères associées à la rose et au lotus.
La rencontre de la Fleur et de l’Eau.
Un floral aquatique frais au sillage boisé.
J’avais bien aimé « Kinderzimmer » alors pourquoi pas celui-ci aussi , sachant que » le paquebot dans les arbres m’attend aussi
du style L’Eau d’Issey ? Insolence pourrait te plaire ( Pas My Insolence!) mais pas Nahéma!
j’attends ton opinion …
Avec bonheur j’ai lu ce petit livre ,c’est un vrai plaisir,le récit est plein de délicatesse .Mais aussi grande frustration pour moi qui suis devenue allergique aux parfums !!!!
Allergique aux parfums ? Mais quel drame! Je ne me maquille pas ( un peu de gloss ) mais je mets toujours du parfum.. Et toujours fidèle à mes Guerlinades .. mon luxe à moi ..
Mes derniers parfums étaient des Guerlinades comme tu dis .Cela me manque beaucoup .Pas de maquillage non plus ,mais on me disait toujours : »tu sens bon »…
et tu ne peux pas parfumer les vêtements à défaut de toi-même?
En principe non ,mais je triche parfois avec un roller que je mets sur mes vêtements .C’est un roller à la figue .C’est un peu spécial ,mais pas désagréable . je suis allergique aux fragrances . Je ne dois pas respirer le parfum .J’évite de me mettre près des personnes parfumées ,bien que j’ai remarqué que ça dépend des parfums .
Tu avais rectifié que c’était Valentine et pas Catherine comme je l’avais marqué.A bientôt!!