Vann, David «Dernier jour sur terre» (2014)

Vann, David «Dernier jour sur terre» (2014)

Auteur : David Vann est né en 1966 sur l’île Adak, en Alaska, et y a passé une partie de son enfance avant de s’installer en Californie avec sa mère et sa sœur. Il a travaillé à l’écriture d’un premier roman pendant dix ans avant de rédiger en dix-sept jours, lors d’un voyage en mer, le livre qui deviendra Sukkwan Island. Pendant douze ans, il cherche sans succès à se faire publier aux États-Unis : aucun agent n’accepte de soumettre le manuscrit, jugé trop noir, à un éditeur. Ses difficultés à faire publier son livre le conduisent vers la mer : il gagnera sa vie en naviguant pendant plusieurs années dans les Caraïbes et en Méditerranée.

Après avoir traversé les États-Unis en char à voile et parcouru plus de 40 000 milles sur les océans, il échoue lors de sa tentative de tour du monde en solitaire sur un trimaran qu’il a dessiné et construit lui-même. En 2005, il publie A mile down, récit de son propre naufrage dans les Caraïbes lors de son voyage de noces quelques années plus tôt. Ce livre fait partie de la liste des best-sellers du Washington Post et du Los Angeles Times. Ce premier succès lui permet de gagner partiellement sa vie grâce à sa plume et il commence à enseigner. David Vann propose alors Sukkwan Island à un concours de nouvelles qu’il remporte et, en guise de prix, voit son livre publié en 2008 aux Presses de l’Université du Massachusetts. L’ouvrage est tiré à 800 exemplaires puis réimprimé à la suite de la parution d’une excellente critique dans le New York Times. Au total, ce sont pourtant moins de 3 000 exemplaires de cette édition qui seront distribués sur le marché américain.

Publié en France en janvier 2010, Sukkwan Island remporte immédiatement un immense succès. Il remporte le prix Médicis étranger et s’est vendu à plus de 300 000 exemplaires. Porté par son succès français, David Vann est aujourd’hui traduit en dix-huit langues dans plus de soixante pays. Une adaptation cinématographique par une société de production française est en cours.

David Vann est l’auteur de Sukkwan Island , DésolationsImpursGoat MountainDernier jour sur terre,  Aquarium, L’Obscure clarté de l’air (2017), Un poisson sur la lune (2019), Le Bleu au-delà (Nouvelles 2020), Komodo (2021). Il partage aujourd’hui son temps entre la Nouvelle-Zélande où il vit et l’Angleterre où il enseigne, tous les automnes, la littérature.

Éditions Gallmeister, 2014, 256 p.

Résumé : 14 février 2008. Steve Kazmierczak, 27 ans, se rend armé à son université. Entre 15 h 04 et 15 h 07, il tue cinq personnes et en blesse dix-huit avant de se donner la mort. À 13 ans, David Vann reçoit en héritage les armes de son père, qui vient de mettre fin à ses jours. Quel itinéraire a suivi le premier avant de se faire l’auteur de ce massacre ? Quel parcours le second devra-t-il emprunter pour se libérer de cet héritage ? L’écrivain retrace ici l’histoire de Kazmierczak, paria solitaire, comme tant d’autres. Comme lui, par exemple, qui, enfant, se consolait en imaginant supprimer ses voisins au Magnum.

Dans une mise en regard fascinante, l’auteur plonge dans la vie d’un tueur pour éclairer son propre passé, illuminant les coins obscurs de cette Amérique où l’on pallie ses faiblesses une arme à la main.

Dans le presse : Entre fiction et non-fiction, ce diptyque sonde une violence intime comme collective. Refuse la barrière confortable du tueur considéré comme un monstre, un autre que soi. David Vann nous oblige à plonger en nous, à interroger cette pulsion de violence en chacun, il montre comment une culture, des héritages et traditions produisent des tueurs. Christine Marcandier, MÉDIAPART

On n’avait pas lu une enquête littéraire aussi glaçante et fascinante depuis le pionnier De sang-froid (1965), de Truman Capote. […] David Vann plonge dans le cerveau dérangé d’un paria, tout en analysant les névroses collectives d’une Amérique qui refuse d’admettre sa dépendance aux armes. Thomas Malher, LE POINT

Mon avis :

Cet auteur et un auteur que j’estime de plus en plus. C’est le troisième livre que je lis de lui après « Sukkwan Island » et « Aquarium » et il me fascine dans son approche des personnages. J’ai également fait plus ample connaissance avec l’auteur dans son interview publiée dans le livre de Thiltges et Bertini : « Amérique des écrivains en liberté » (paru chez Albin Michel)

Encore une fois l’auteur qui a eu une enfance et une adolescence très perturbée et difficile écrit un roman avec de larges parties qui intègrent sa propre expérience de vie. Dans ce livre il cherche à comprendre s’il aurait pu lui-même suivre le même chemin que le tueur du roman / du campus (Le tireur était un ancien étudiant en sociologie de La Northern Illinois University, où s’est produit le drame, située à DeKalb, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Chicago. Bilan : six étudiants tués et une vingtaine de blessés, avant de retourner son arme contre lui.)

En se penchant sur la trajectoire de Steven, David Vann décrit en fait sa propre adolescence, et ce qui aurait bien pu se produire plus tard… Il est né dans un monde de violence et son père lui a laissé des armes en héritage après s’être suicidé, lui laissant porter une partie du fardeau de la culpabilité de ce geste ( la ressemblance s’arrête là semble-t-il) Il dénonce la facilité de se procurer des armes, la violence latente qui existe dans certains adolescents qui se renferment sur eux-mêmes et parle de l’interaction entre les jeux vidéo violents, la prise de médicaments, les tendances suicidaires, la fascination des meurtres et des massacres, le choix de visionner des films violents, de lire certains auteurs en particulier (Orwell et Nietzsche) le racisme et le passage à l’acte en tant que tueur de masse qui débouche sur un suicide réussi. Il insiste aussi sur les particularités de comportement : effacé, extrêmement timide, peu sur de soi, à se dévaloriser, manque de confiance en soi, problèmes liés à la sexualité et difficultés de communication, troubles obsessionnels et compulsifs (Toujours vérifier – troubles bipolaires des l’enfance). Et enfin l’importance de n’avoir rien à perdre et de ne pas se sentir à la hauteur, d’avoir l’impression de ne pas « mériter » un bel avenir. Ce livre est une dénonciation de l’état de fait qui permet à tous les américains, normaux ou dérangés psychologiquement, d’acquérir des armes pour ensuite en faire ce que bon leur semble, sans justification et surveillance). Il décrit brillamment le parcours de personnes qui sont particulièrement intelligentes et très mal dans leur peau, leurs caractéristiques et tout ce qui devrait attirer l’attention et faire résonner le signal « Attention danger potentiel ». Enfin c’est un livre qui ne descend pas en flèche mais cherche à comprendre et ne cloue pas au pilori ceux qui n’ont jamais vu en ce tueur un être dangereux et qui, le considérant comme un ami, ont souhaité faire leur deuil de cette personne qui est à la fois victime et bourreau.

Extraits :

Le monde s’était vidé, mais l’arme conservait une présence, une puissance indéniables.

parfois, le pire de nous-mêmes finit par l’emporter.

un garçon cherchant à atteindre le Rêve américain, qui ne se résume pas à l’argent, mais qui consiste à se reconstruire.

Je crois que j’étais juste un solitaire, un paria menant une existence si vide que j’avais simplement besoin de regarder ce qui peuplait la vie des autres, de voir et de ressentir de quoi ils étaient faits.

J’adore l’école parce que j’adore étudier. Mais je déteste l’école à cause de tous ceux qui sont avec moi en cours. Je déteste tout le monde.

Je voulais des amis et je voulais éprouver un sentiment d’appartenance.

la classe sociale n’est pas qu’une affaire d’argent. C’est aussi une question d’instruction.

Plus d’inquiétude quant à ce que les autres pourront penser de lui. Personne ne pense rien de lui. Pas besoin de lire dans les pensées, car les pensées sont réduites à néant.

Mais il a juste dit que l’armée désensibilisait. Genre, il disait : ‘On m’a appris à tuer quelqu’un sans éprouver de contrecoup psychologique. On ne les perçoit pas comme des êtres humains.’

La sociologie est un havre de sécurité.

Acheter un Glock 19, quelques chargeurs supplémentaires, entrer dans une salle de classe et tirer sur les gens. Nous n’avons encore rien mis en place pour empêcher quelqu’un de commettre un tel acte. C’est un droit américain.

Il est comme un poing serré, en boule.

l’intelligence acquise dans les livres ne se transforme pas automatiquement en bon sens quotidien.

il y a eu des études menées sur la violence dans les jeux vidéo, et peut-être que les gens atteints de maladies mentales finissent par se détacher sur le plan émotionnel ?

le timing et un contrôle précis de ses gestes permettront à Steve d’instiller de l’ordre dans cet acte de folie.

Parler avec toi, c’est comme traverser un champ de mines, je marche toujours sur des œufs quand je suis avec toi, de peur de déclencher une réaction négative de ta part.

Les tueurs de masse s’observent mutuellement, ils s’enseignent des astuces et des trucs, ils contribuent chacun à repousser les limites des autres.

Il a contrôlé la durée de son action, il a contrôlé la salle entière, pour la plupart, hein, il a contrôlé tout le monde dans la salle, et puis il a contrôlé son ultime destinée, sa destinée à lui. Si on regarde ça d’un point de vue philosophique, il s’agit d’exercer un contrôle sur soi, sur son destin, parce que vous n’êtes pas heureux.

Au début, le suicide semble être l’acte le plus égoïste qui soit, j’éprouvais de la rage et de la honte. À présent, je n’en suis plus aussi certain.

Je lui ai répété un million de fois que son passé était derrière lui, que je ne lui en voudrais jamais pour rien, mais il pensait que ça le hanterait à jamais. Il avait le sentiment d’être un fardeau pour moi, il pensait que je pouvais faire mieux, il ne comprenait pas pourquoi je l’aimais après tout ce qu’on avait traversé.

puis il doit revenir une fois encore et vérifier, juste pour être sûr. Toujours vérifier.

Les médias partent du principe que “C’est la vérité pour l’instant, et demain la vérité sera peut-être différente”.

Je disais toujours en plaisantant qu’il était un tueur de masse en devenir, il était si coincé.

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