Vann, David « Komodo » (2021)

Vann, David « Komodo » (2021)

Auteur : David Vann est né né le 19 octobre 1966 sur l’île Adak, en Alaska, et y a passé une partie de son enfance avant de s’installer en Californie avec sa mère et sa sœur. Il a travaillé à l’écriture d’un premier roman pendant dix ans avant de rédiger en dix-sept jours, lors d’un voyage en mer, le livre qui deviendra Sukkwan Island. Pendant douze ans, il cherche sans succès à se faire publier aux États-Unis : aucun agent n’accepte de soumettre le manuscrit, jugé trop noir, à un éditeur. Ses difficultés à faire publier son livre le conduisent vers la mer : il gagnera sa vie en naviguant pendant plusieurs années dans les Caraïbes et en Méditerranée.

Après avoir traversé les États-Unis en char à voile et parcouru plus de 40 000 milles sur les océans, il échoue lors de sa tentative de tour du monde en solitaire sur un trimaran qu’il a dessiné et construit lui-même. En 2005, il publie A mile down, récit de son propre naufrage dans les Caraïbes lors de son voyage de noces quelques années plus tôt. Ce livre fait partie de la liste des best-sellers du Washington Post et du Los Angeles Times. Ce premier succès lui permet de gagner partiellement sa vie grâce à sa plume et il commence à enseigner. David Vann propose alors Sukkwan Island à un concours de nouvelles qu’il remporte et, en guise de prix, voit son livre publié en 2008 aux Presses de l’Université du Massachusetts. L’ouvrage est tiré à 800 exemplaires puis réimprimé à la suite de la parution d’une excellente critique dans le New York Times. Au total, ce sont pourtant moins de 3 000 exemplaires de cette édition qui seront distribués sur le marché américain.

Publié en France en janvier 2010, Sukkwan Island remporte immédiatement un immense succès. Il remporte le prix Médicis étranger et s’est vendu à plus de 300 000 exemplaires. Porté par son succès français, David Vann est aujourd’hui traduit en dix-huit langues dans plus de soixante pays.
David Vann est l’auteur de Sukkwan Island , Désolations, Impurs, Goat Mountain, Dernier jour sur terre Aquarium, L’Obscure clarté de l’air (2017), Un poisson sur la lune (2019), Le Bleu au-delà (Nouvelles 2020), Komodo (2021). Il partage aujourd’hui son temps entre la Nouvelle-Zélande où il vit et l’Angleterre où il enseigne, tous les automnes, la littérature.

Gallmeister (nature-writing) – 04.03.2021 – 288 pages Laura Derajinski (Traductrice)

Résumé : Sur l’invitation de son frère aîné Roy, Tracy quitte la Californie et rejoint l’île de Komodo, en Indonésie. Pour elle, délaissée par son mari et épuisée par leurs jeunes jumeaux, ce voyage exotique laisse espérer des vacances paradisiaques : une semaine de plongée en compagnie de requins et de raies manta. C’est aussi l’occasion de renouer avec Roy, qui mène une vie chaotique depuis son divorce et s’est éloigné de sa famille.
Mais, très vite, la tension monte et Tracy perd pied, submergée par une vague de souvenirs, de rancœurs et de reproches. Dès lors, un duel s’engage entre eux, et chaque nouvelle immersion dans un monde sous-marin fascinant entraîne une descente de plus en plus violente à l’intérieur d’elle-même, jusqu’à atteindre un point de non-retour.

Mon avis : Une semaine de vacances avec ta mère pour retrouver ton frère moniteur de plongée en Indonésie, sur la petite île de Komodo… paradisiaque non? Surtout fabuleux pour Tracy, qui n’a plus replongé depuis dix ans et est biologiste de formation. C’était sans compter sans David Vann …
On va donc parler de « décompression » et de « plongée » …
C’est vrai.. on va plonger… Plonger en eaux troubles, à plusieurs niveaux..
Coté plongée sous-marine, le spot est réputé pour voir les requins, les raies manta, les napoléons, les balistes-titans, poissons-grenouille, et même des dugong, mais attention, les conditions de plongée ne sont pas faciles. C’est sportif  … plongée dérive, dans le courant, et les courants sont forts, les tombants raides… Alors direction Le Chaudron, alias Shotgun, ses courants violents, une plongée vous projette (comme un fusil de chasse) dans China Shop, un magnifique jardin de corail protégé. Direction aussi Le Golden Passage, couloir qui se rétréci entre deux iles où le courant s’engouffre à chaque marée. Heureusement il semble que la faune soit au rendez-vous, allant des requins aux nudibranches… Comme j’ai fait pas mal de plongée, j’ai beaucoup aimé cette partie « sous-marine » du roman.
Coté plongée, l’auteur joue sur les deux tableaux: le milieu marin mais aussi le milieu psychologique, le gouffre abyssal qui est ronge de l’intérieur des personnages, et de Tracy en particulier.
Idem pour la décompression … Tracy va lâcher la pression et c’est son frère qui va en faire les frais… au vrai sens du terme…
Idem pour la dérive… il y a dérive plongée, et dérive des sentiments,
Tracy est mal dans sa peau et dans sa vie. Elle est coincée à la maison avec deux jumeaux, ne s’entend pas avec son mari ; elle est très en colère contre son frère qui a trompé sa femme et qui a ensuite divorcé. Elle se trouve trop grosse, elle est hantée par le suicide de son père quand elle était petite, elle en veut à la terre entière (et surtout à sa famille) et à un moment donné, la soupape va lâcher…
Les souvenirs de moments passés en famille remontent et jamais pour le bon. Comme dans d’autres Vann, des réminiscences de scènes de chasse (cerf abattu), des amalgames entre les erreurs de son père et les agissements de son frère, toute la souffrance d’une enfance mal vécue et qui contaminent le présent, le poids de la maternité et de la perte de son identité propre, la sensation de couler et de se noyer, de ne pas arriver à garder la tête hors de l’eau..
Excellent, comme tous les livres de cet auteur.

Extraits :

Ce qui me surprend, c’est que je n’éprouve aucune peur. Le premier requin que je vois sous l’eau, et il semble simplement beau et parfait. Cet œil qui défie le cerveau, qui nous ramène quatre cents millions d’années en arrière. Une machine à remonter le temps, sous la surface, ce à quoi ressemblait le monde d’avant.

Des petites bulles de chance, voilà ce que certaines personnes arrivent à trouver, des choses qui n’auraient pas lieu d’être mais qui existent pourtant.

Tant d’éléments de l’océan peuvent être mortels, pourtant si l’on se contente de flotter sans toucher, rien ne blesse jamais. Une attaque sans provocation, si rare.

Si seulement ce pouvait être un nouveau monde. Un univers à quatre lunes, où les enfants sont contenus dans des bulles qui les maintiennent en sécurité, propres et silencieux, où les collines sont faites de sommeil. Les rêves y galopent en liberté comme des animaux sauvages,

Les humains bâtissent leur mini-enfer quotidien en plein paradis.

il faut aussi tenir compte des fluctuations imprévisibles, le fait qu’un corps peut changer en un ou deux jours, sembler soudain mince et puissant, et que tout ce qui n’est pas notre corps – nos humeurs, nos pensées et ce qui pourrait se dissimuler en nous – peut fluctuer davantage encore. La moindre description déjà périmée à l’instant où elle naît.

Serais-je si furieuse contre mon frère pour son infidélité et son divorce, s’il n’y avait pas eu les infidélités de mon père, son divorce et son suicide ? Quelles étaient nos vies prévues ? Comment les choses étaient-elles censées se dérouler ?

Ma première plongée avec une raie. Je n’en ai vu qu’en vidéo, et ce qu’on ne perçoit jamais à l’écran, c’est à quel point une raie est grande, à quel point elle est calme, à quel point elle est silencieuse. Plusieurs fois ma taille mais je n’en ai pas peur.

Les hommes sont comme des énigmes, et on ne sait jamais sur quoi on va tomber, aucun n’est identique. Pas d’oracles ni de sphinx, rien pour nous aider à trouver la réponse

Ce n’est pas quelque chose que j’ai volontairement imaginé ou envisagé, juste des visions subites ou des rêves, ou peut-être des rêves éveillés que j’ai parfois légèrement développés.

L’infidélité est un crime seulement aux yeux de l’Église. Pas à notre époque actuelle, ni pour l’État fédéral, ni dans les lois anciennes, à part dans une loi sur la propriété, qui traitait les femmes comme du bétail, et non, pas selon les lois naturelles.
— Et quelles sont les lois naturelles ?
— Ce que nous avons hérité de l’évolution, le fait que nous sommes une espèce à partenaires multiples, comme on peut le lire dans le document Sex At Dawn.

Alors peut-être puis-je lâcher prise, laisser les autres vivre leur vie.

Le truc, avec la colère, c’est qu’on ne l’invente pas. Elle est là, comme un moteur, et elle tourne en permanence.

Le truc, avec le paradis, c’est qu’il faudrait qu’il n’y ait personne. C’est l’élément essentiel, ce qui est plutôt parlant.

Les plongées macros sont comme des chasses au trésor. Je nage au-dessus d’algues et de branches, quand je vois soudain une brindille bouger, longue et fine et noire mais avec un petit museau à l’extrémité, une autre sorte de poisson-aiguille, pas aussi mignon qu’un poisson-fantôme mais bien plus adorable qu’une brindille ou une algue.

Je me demande si les parents sont condamnés à tenir des propos que personne n’écoutera.

Notre petite cellule familiale qui voudrait tout soigner, quand les blessures elles-mêmes auraient pu être évitées. Rien de tout ceci n’aurait dû arriver. La misère de nos vies est inventée. Nous n’avons pas grandi en zone de guerre ni dans un pays pauvre comme l’Indonésie, alors nous avons dû créer nos propres problèmes.

Tout est si éclatant, en cette fin d’après-midi. Des collines dorées, l’eau parée de bijoux, l’air si limpide, exactement comme sous la surface.

Je ne me languis que de moi-même, de celle que j’étais. C’est d’elle, que j’aimerais avoir la visite.

Plus tard, quand tu grandiras, tu pleureras pour de vraies raisons, l’amour perdu, ou le manque d’argent ou un bras cassé, mais à votre âge, c’est toujours pour rien.

 Infos : Requin-chabot : Le requin-chabot ocellé appelé également requin marcheur, vit principalement sur les fonds côtiers tropicaux, en milieu corallien, à faible profondeur. On le reconnait à la grosse tache noire située derrière ses nageoires pectorales et aux petits points noirs partout sur son corps. Le requin-chabot ocellé se nourrit de petits poissons, de vers et de crustacés. Il mesure 1,10 m au maximum.

Vocabulaire : La misophonie est décrite comme étant un état chronique caractérisé par une aversion à certains sons produits par un autre individu, tels que les bruits gutturaux, nasaux ou buccaux (mâchement de gomme, claquement des lèvres), le clic du stylo, ou le tapotement des doigts sur la table ou sur un clavier.

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