Lenormand, Frédéric «Crimes et condiments» (2014)
« Série Voltaire mène l’enquête »
Tome 4 : Crimes et condiments (2014)
Résumé : Prenez un philosophe bien à point, faites-le mariner, lardez quelques victimes, laissez mijoter les suspects, assaisonnez de quelques scandales, pimentez l’intrigue, salez les rebondissements, saupoudrez de dialogues croustillants, enrobez dans un style onctueux et servez chaud.
En pleine révolution culinaire, Voltaire enquête sur les traces d’un assassin qui sème derrière lui tartes au cyanure et ragoûts à l’arsenic. L’aide de la brillante marquise du Châtelet, experte en recherches scientifiques, et de l’abbé Linant, fin gourmet, ne sera pas de trop pour rendre l’appétit aux gastronomes !
Après La baronne meurt à cinq heures, prix Historia, prix Arsène-Lupin et prix de Montmorillon, Meurtre dans le boudoir et Le diable s’habille en Voltaire, Frédéric Lenormand nous offre une nouvelle aventure truffée d’humour, savoureusement rehaussée de précisions historiques, nappée de bons mots ; un délice, un régal, une friandise.
Mon avis : A savourer sans modération… Voltaire a frappé à nouveau… Toujours autant d’humour, de citations historiques, de culture, de bons mots. J’ai aimé me plonger avec Voltaire dans les cuisines du XVIIIème. Comme dans les trois précédents, on ne lit pas cette série pour les enquêtes mais pour en apprendre sur l’époque en souriant et en s’amusant. Et si au lycée on pensait que Voltaire était rébarbatif, austère… le portrait tracé lui rend son originalité, sa loufoquerie et sa verve…
Alors à table ! Faites juste en sorte de ne pas dresser les plats « en cygne » si vous souhaitez qu’on reste amis… Et si vous sortez du livre le ventre plein, vous en ressortirez aussi l’esprit léger et en ayant appris des tas de choses… en sautant d’anecdote en anecdote..
Extraits :
Pour rien au monde il n’eût risqué de voir se répandre dans Paris le bruit que le gouverneur de la Bastille ne savait pas recevoir.
un esprit plein d’acuité trouve de la satisfaction dans les plus délicates coïncidences.
— Qu’est-ce qui vous retient à Paris ? demanda Émilie.
— Trente-cinq mille livres.
— Bigre ! Vous avez une grande bibliothèque !
— Trente-cinq mille livres monnaie.
Hérault contempla le luxe dont s’entourait l’ermite, les épais velours qui encadraient son lit pour le préserver des courants d’air, les coussins rembourrés où il enfouissait son postérieur pour réfléchir aux injustices de l’univers, les buffets en bois de rose où il rangeait ses manuscrits… C’était un tonneau très bien meublé.
Voltaire n’en avait cure, il n’était pas venu louanger des auteurs vivants, mais prendre la place d’un auteur mort.
— Je ne m’intéresse pas au succès de mes confrères, je me contente d’aller à leur enterrement.
Nous savons, cher ami, que vous vous entendez fort bien à traiter la volaille, qu’elle soit poule, grue, bécasse ou dinde.
Celui-ci avait trop peu de morale pour se passer d’intelligence, mais trop peu d’intelligence pour se passer de morale, et ces deux manques s’aggravaient l’un et l’autre.
Cet oiseau avait été roué, pendu, décapité, brûlé, tourments réservés aux pires criminels. Il avait l’impression qu’on lui donnait à manger Cartouche, Ravaillac et la Brinvilliers dans une même assiette.
Voltaire avait trop de clairvoyance pour ne pas admettre la faiblesse de ses tragédies, mais trop d’amour-propre pour se laisser fustiger en public.
— Je ne réussis pas tous les travaux que j’entreprends, on ne peut être toujours parfaitement égal à soi-même que dans la médiocrité ; l’excellence réclame des échecs.
Si le ridicule tuait, les bibliothèques ne déborderaient pas tant, cher ami.
— On nous demande d’être toujours plus intelligents, mais cela ne nous rend pas plus heureux.
— Alors laissons le bonheur aux imbéciles, dit Voltaire.
— Mieux vaut être prétentieux que ne prétendre à rien.
Ces interrogations lui donnaient des maux de tête, c’était plus fort que la réfutation des principes de Pascal, ce mauvais coucheur qui pensait mal et qui, en plus, le faisait avec brio
Richelieu confondait la juste envie de « faire quelque chose de sa vie » avec celle d’y mettre fin sur un champ de bataille ! Voltaire sentit ses vrais cheveux se raidir sous les faux.
C’est fait maison ?
— Oui, c’est fait maison dans la maison de quelqu’un d’autre.
Une longue carrière administrative lui avait appris à dissimuler toute perspicacité sous un air de niaiserie.
Vous n’êtes pas facile à vivre !
— À qui le dites-vous ! dit Voltaire. Je vis avec moi tous les jours, et depuis plus longtemps que vous !
Son mari, l’œil plus perspicace qu’intelligent, avait une sorte de franchise dans la sournoiserie, tant sa malice se voyait : peut-on reprocher au furet de croquer le mulot quand il arbore la fourrure, les crocs et l’odeur du carnassier qu’il est ?
Je suis homme de lettres, auteur et écrivain. L’homme de lettres a de la culture, l’écrivain, du style, et l’auteur produit des livres.
Les gens n’entendent pas que les écrivains veuillent s’enrichir, plaida Voltaire. Dans l’expression « se nourrir de sa plume », ils croient que l’on mange la plume.
— Je suis certaine que vous vous sentez mieux maintenant, dit-elle.
— Oh, sans comparaison. C’est le jour et l’ennui.
Tout le monde aime le sucre, il est à la cuisine ce qu’est à la religion la promesse d’une vie éternelle : un mensonge agréable qui dissimule l’amertume du reste.
Voltaire admira sa duplicité. Elle savait cacher son bien, travestir la réalité, tourner la loi à son avantage, mentir effrontément aux magistrats, duper la police… Il fut frappé de voir à quel point cette femme avait appris des philosophes.
Il était victime d’un terrible malentendu. La campagne, oui, mais aménagée par Le Nôtre, avec un tapis de buis taillés et une fontaine où se mirait une gentilhommière à pilastres et fronton. Il ne se sentait pas une vocation de philosophe des labours.
On avait beau dire que l’attaque était la meilleure défense, parfois c’était la fuite.
Info : Richelieu : Louis François Armand de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu et de Fronsac, prince de Mortagne, marquis du Pont-Courlay, comte de Cosnac, baron de Barbezieux, de Cozes et de Saujon, pair du royaume
Info : La cuisine au XVIIIème siècle : http://www.cuisinealafrancaise.com/fr/articles/22-au-xviiie-siecle
Info – Faute de français : Si l’on «remédie à quelque chose», en revanche on «pallie quelque chose». Ce dernier verbe est transitif direct, ce qui signifie qu’il est inutile de le faire suivre de la préposition « à ».
Lien vers : présentation de la série « Voltaire mène l’enquête »