Black, Benjamin «Vengeance» (2017)

Black, Benjamin «Vengeance» (2017)

Auteur : Quand un grand écrivain (John Banville, Booker Prize 2005 pour « La Mer ») se lance dans le roman noir sous le nom de Benjamin Black, cela donne un des policiers les plus excitants de ces dernières années.

SERIE : QUIRKE, médecin légiste

 Quirke 5 : Vengeance

Robert Laffont – avril 2017 – 342 pages

Résumé : Un roman aussi noir qu’élégant, par le maître du genre, John Banville, alias Benjamin Black. Victor Delahaye, patron d’une très prospère société dublinoise, emmène le fils de son associé faire un tour en mer. Une fois au large, le jeune Davy Clancy assiste, impuissant, au suicide de Delahaye, qui se tire une balle dans le coeur. Ce drame attire l’attention de l’inspecteur Hackett et de son ami, le médecin légiste Quirke.

Les Delahaye et les Clancy sont rivaux depuis des générations et, lorsque tombe une seconde victime, Quirke ne doute plus que de terribles secrets se cachent au sein de ces deux familles. Dans un monde hanté par la jalousie, l’orgueil et l’ambition, les apparences peuvent être trompeuses… Avec Vengeance, le Booker Prize 2005, styliste hors pair, poursuit en virtuose son hommage au roman noir.

 

Mon Avis : Je suis venue à Benjamin Blake par John Banville et je ne le regrette pas ! C’est une série que j’affectionne tout particulièrement et une écriture qui me ravit.

L’inspecteur Hackett et le médecin légiste Quirke sont de retour pour une cinquième enquête. Quirke  a toujours autant de succès auprès des femmes et est toujours aussi peu apte à faire des choix, conditionné par son passé d’orphelin mal dans sa peau. Il semble que petit à petit la relation père-fille évolue … J’aime l’ambiance, les personnages troubles, les études de caractères. Alors suicide ou pas suicide ? Dans des familles de la bonne société irlandaise, rien n’est simple… et sous le vernis…   un panier de crabes. Quand on fait de plus s’affronter les familles catholiques et protestantes… Je dois dire que je les lis davantage pour le contexte, les descriptions, les personnages que pour avoir le fin mot de l’histoire. Vapeurs d’alcool et volutes de fumées dans une Irlande brumeuse et arrosée, sur fond de malaise et d’unions pour le moins fumeuses…

Extraits :

À quelque distance du bateau, deux oiseaux blancs, occupés à pêcher, grimpaient vers le ciel en un mouvement frémissant de tire-bouchon, puis pivotaient sur eux-mêmes, plaquaient les ailes contre leurs flancs et piquaient vers l’eau qu’ils fendaient comme des lames presque sans une seule éclaboussure.

“Un homme n’est pas grand-chose s’il ne peut pas compter sur lui-même, répétait-il souvent, et il n’est rien du tout si les autres ne peuvent pas compter sur lui.”

Ses yeux avaient une curieuse couleur grise, qui rappelait le brillant des éclats de silex.

Le gamin était toujours là, piégé dans le corps du jeune homme. Ils étaient tous pareils, tous les hommes qu’elle avait connus, dans sa famille ou en dehors : quand ils étaient blessés, tristes ou en difficulté, ils régressaient.

La chaise poussa un petit cri, comme si elle protestait sous son poids.

Les sentiments qu’il nourrissait pour elle formaient un nœud inextricable de confusion, de doutes et de malentendus.

Un silence se fit et, comme pour mieux le souligner, l’ombre d’un nuage balaya le jardin dehors, tandis que, dans la pièce, la lumière baissait une seconde comme si quelqu’un avait appuyé sur un interrupteur.

Ces visites étaient une torture, mais le pire, c’était le sentiment curieux qu’il n’y avait personne d’autre dans la pièce, qu’il parlait tout seul.

Il avait la sensation qu’on venait de soulever la grosse pierre sous laquelle il s’était longtemps abrité, de sorte qu’il était à présent exposé à l’éclat aveuglant du soleil.

Être heureux de temps en temps, l’espace d’un petit moment, ce n’est pas si difficile.

« Désolé, j’essaie d’arrêter, lui expliqua-t-elle. Maintenant, ils disent que ça file le cancer.
— C’est la vie qui file le cancer. »

Elle souriait toujours, mais son sourire avait un petit défaut, pareil à une fêlure sur un miroir.

Les joues à vif, l’œil rougi, elle toussait avec la régularité d’un moteur automobile qui a du mal à l’allumage.

ils pataugeaient de concert dans le bourbier des cupidités et des trahisons humaines

C’est bizarre, se dit Quirke pendant ce temps, en réalité je n’aime pas trop l’alcool et tout ce qui va avec, la puanteur savonneuse de la bière, la brûlure du whisky. Même le gin, quasiment pas un alcool, à son sens, lui laissait dans la bouche un goût métallique qui lui donnait envie de frissonner. En revanche, le vertige de la première gorgée, ce vertige-là, représentait dans sa vie quelque chose dont il ne voulait pas se priver, quel que soit l’état de son foie ou de son cerveau.

Elle éprouvait de la compassion pour lui, mais une compassion détachée, comme si elle avait affaire à quelqu’un dont elle aurait découvert les malheurs dans la presse ou via une tierce personne.

« … Espèce de cochon !
— Quelle aimable insulte pour un juif. »

C’est marrant que tu parles d’eux en disant “les jumeaux”. On ne pense jamais à des adultes comme à des jumeaux… mais ils le sont, c’est certain. On ne les voit jamais l’un sans l’autre. »

Qu’elle était noire, l’eau qui s’enroulait autour de lui pareille à des bandes de satin glacées.

Quand il faisait cette moue-là et baissait les paupières, il lui évoquait toujours un vieil évêque romain tout en rondeurs, personnage calculateur et sournois ayant ses entrées au Vatican et rompu aux usages du monde.

En des moments comme celui-ci, rares et précieux, la possibilité du bonheur la surprenait avec la force suffocante d’un brusque et lointain souvenir. Allait-elle passer sa vie à éluder le présent, à anticiper, tout en ressassant le passé ?

La feuille – une feuille de sycomore, non ? – ressemblait à une main tordue qui aurait griffé le sol.

cette grande bringue, guindée et majestueuse comme un héron, avec son accent chichiteux et sa carapace de politesse impénétrable

Mais comment oublier ? Dans la journée, ça allait, mais la nuit, oh, la nuit… Un frisson lui parcourut l’échine, ou peut-être pas un frisson mais une drôle de sensation. Elle avait quelque chose dans le casaquin, comme on disait autrefois. Quelque chose dans le casaquin.

Ces temps-ci, il ne montrait que des piquants acérés, tel un animal qui se terre et se replie sur lui-même.

Une brusque douleur cramoisie la frappa le long de sa colonne vertébrale et lui coupa le souffle. Elle se força à se redresser, à ne plus bouger. On aurait dit qu’elle portait un enfant en elle : il fallait qu’elle berce sa douleur, qu’elle l’apaise afin qu’elle ne se réveille pas vraiment, qu’elle ne la griffe pas de ses petits ongles.

Elle avait su et avait choisi de ne pas savoir. C’était précisément ce qu’elle avait toujours secrètement méprisé chez les Irlandais, cette aptitude à l’aveuglement, cette hypocrisie dans le rapport aux autres.

S’il se critiquait, c’était qu’il devait avoir un meilleur côté, quand bien même solidement dissimulé. Les vrais méchants estimaient sans doute que leurs défauts étaient bien naturels, n’en avaient même pas conscience ou s’en glorifiaient, tel Iago ou le Satan de Milton.

Il n’éprouvait rien, sinon l’impression que dans son cœur glacé , un truc était en train de fondre.

 

Vocabulaire :  Avoir quelque chose dans le casaquin : Être troublé ou malade.

SERIE : QUIRKE, médecin légiste

 

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