Chalandon, Sorj «Le Jour d’avant» (2017)
Auteur : Né le 16 mai 1952 à Tunis, Sorj Chalandon est journaliste. Grand reporter, il a couvert de nombreux conflits et procès pour le quotidien « Libération » entre 1974 et 2007 et a obtenu le Prix Albert Londres en 1988 pour sa couverture du procès de Klaus Barbie. Après trente-quatre ans à Libération, Sorj Chalandon est depuis 2009 journaliste au Canard enchaîné. Ancien grand reporter, prix Albert-Londres (1988), il est aussi l’auteur de sept romans, tous parus chez Grasset. Le Petit Bonzi (2005), Une promesse (2006 – prix Médicis), Mon traître (2008 – Prix Joseph Kessel), La Légende de nos pères (2009), Retour à Killybegs (2011 – Grand Prix du roman de l’Académie française), Le Quatrième Mur (2013 – prix Goncourt des lycéens) et Profession du père (2015). « Le Jour d’avant » (2017) – « Une joie féroce » (2019)
Grasset – 16/08/2017 – 336 pages /Livre de poche 22.08.2018 – 353 pages
Résumé : « Venge-nous de la mine », avait écrit mon père. Ses derniers mots. Et je le lui ai promis, poings levés au ciel après sa disparition brutale. J’allais venger mon frère, mort en ouvrier. Venger mon père, parti en paysan. Venger ma mère, esseulée à jamais. J’allais punir les Houillères, et tous ces salauds qui n’avaient jamais payé pour leurs crimes.
Mon avis : Cela faisait un petit bout de temps que je voulais découvrir cet auteur. Merci à Zoé Lalande qui a donné le petit coup de pouce supplémentaire (j’espère qu’elle aura l’idée de mettre sa présentation du livre en commentaire si elle passe par là).
Bienvenue au pays des gueules noires, quelques décennies après le « Germinal » de Zola. Les conditions de travail ne semblent pas avoir changé… Le point de départ : la catastrophe minière du 27 décembre 1974. Le jour où Michel a perdu son frère. Le jour où sa vie va basculer. Michel, ce gamin qui voulait devenir pilote automobile, ou mécanicien… et qui va devoir abandonner son rêve. Il ne sera pas non mineur comme son grand frère… Il quittera le pays des corons pour Paris, y fera sa vie, en cultivant le souvenir de ce jour de 1974.
Le jour où sa femme va décéder, il va décider de retourner dans sa région natale pour se venger… Il est loin d’etre armé pour la vengeance, pour tuer, lui qui est plutôt un être désemparé, pétri de culpabilité, de non-dits, et de regrets. Mais il ne retrouvera pas le pays de son enfance… et sera perçu non plus comme l’enfant du pays mais comme le « Parisien ».
Un livre qui nous raconte deux histoires : celles des gueules noires et celle de Michel. Un hommage aux mineurs, la condamnation des conditions de travail qui ont pour unique but le profit, au mépris de la sécurité. Mais au milieu du roman, tout bascule et on se retrouve dans un autre contexte : celui du meurtre, de la relation entre un meurtrier, sa victime et la justice. Est-il enfin la voix qui permettra de juger les responsables de la tragédie qui emporta 42 personnes ? est-il la voix qui rendra justice aux mineurs que la mine tue à petit feu quand ils réchappent à un coup de grisou ?
Un livre fort, percutant, magnifique.
Extraits :
— Les écuries abritent le bétail, pas les voitures, disait-il.
— N’importe qui peut imiter le chant du coq. Mais le chant du travail, c’est une autre histoire,
— Un mineur aujourd’hui, c’est un mécanicien, a répondu l’aîné.
— C’est Germinal robotisé, a rigolé son copain en nous ouvrant la porte.
Tu n’iras pas au charbon, tu iras au chagrin. Même si tu ne meurs pas.
Elle n’était plus ma femme, mais la chambre 306. Je n’étais plus son mari, mais un visiteur. J’avais à peine le droit de tapoter ses oreillers ou d’approcher un verre d’eau de ses lèvres.
Je gênais la bonne marche de la maladie.
Mais lorsque ses yeux accrochaient les miens, nous étions enlacés.
La mine rongeait mon sang, pas le sien.
À l’heure de dire au revoir à son charbon, la France a oublié de dire adieu à ses mineurs. Le monde qu’ils incarnaient n’existait déjà plus.
Je me suis remis en marche. Plus jeune, je crois que j’aurais pleuré. C’était le moment. J’étais seul, désemparé. Et la pluie a toujours masqué les larmes.
Notre bassin n’avait plus rien de minier. Je ne reconnaissais ni les hommes ni leurs rêves.
Je pensais retrouver des éclats d’enfance et j’en ramassais des lambeaux.
Elle gardait le silence. Mes mots étaient trop immenses, elle ne voulait pas les effrayer.
Toute ma vie j’avais été aveuglé par la colère, je demandais à finir mes jours soulagé de ce poids.
J’avais mal. Chaque mot, chaque phrase me renvoyait au drame. Je pensais que Zola serait un secours, c’était ma mauvaise conscience. Il ne m’apaisait pas.
De jour en jour et de page en page, ce livre était devenu un barreau de plus.
Ils allaient me déménager. Ce n’était pas négociable. Une question d’espace et de sécurité. J’avais protesté, mais le directeur a répondu qu’il fallait laisser la place aux entrants. Nous serions deux. Ni trois, ni quatre, seulement deux entre quatre murs. Mon avocate m’a dit que j’avais de la chance. Mais qu’être deux, c’était vraiment entrer en prison.
Je n’ai jamais compris pourquoi j’étais vivant. Pourquoi je revenais à l’aube. Tous ces matins pour rien.
— Certains ont assez d’intelligence pour tenter d’éviter le procès, d’autres ont assez de courage pour vouloir l’affronter.
Les mots du magistrat bousculaient mes images. Il énonçait des faits, j’accueillais mon enfance.
— Pourquoi un homme qui, selon vous, désirait ardemment être jugé, refuse de répondre le jour de son procès ? Où est la logique ?
— Il s’est enfermé dans un piège. En sortir lui prendra du temps.
— Aller au bout de l’irrationnel oblige parfois à se confronter à la raison.
— La parole est l’un des éléments de compréhension, mais une expertise psychiatrique ne repose pas sur elle seule,
C’est lorsque la mine les tue qu’on se souvient qu’il y avait des mineurs.
Ce n’est pas parce qu’un mineur remonte qu’il est encore vivant.
J’ai encore tellement d’enfance en moi. Tellement de peurs enfouies, tellement de chagrin.
En savoir plus : Il y a 40 ans, le 27 décembre 1974, à la reprise après la trève de Noël, un coup de grisou, à 6H30, emporte 42 hommes descendus à la fosse des Six-Sillons à Liévin (Pas-de-Calais)
2 Replies to “Chalandon, Sorj «Le Jour d’avant» (2017)”
Coucou! oui je passe par là . Suis très heureuse d’être à l’origine de ta découverte de Sorj Chalandon qui est à mon avis une des plus belles « plumes » françaises contemporaines
Et voilà ce que je disais de ce magnifique roman juste après l’avoir lu:
« Enorme coup de cœur pour « Le Jour d’avant » de Sorj Chalandon . Après « Le quatrième mur » « Mon traitre » « Retour à Killibegs » qui m’avaient enthousiasmée et profondément marquée, j’ai trouvé ce nouveau roman aussi fort, aussi émouvant, aussi inoubliable.
C’est une histoire d’amour et de vengeance qui s’inscrit dans une puissante fresque sociale . C’est aussi une histoire de mensonge à soi-même pour « survivre » Comme dans tous les romans de Chalandon, les personnages sont criants de vérité, d’humanité et de férocité .
Il y a la Mine et sa poussière noire qui recouvre tout, le paysage, les ouvriers, l’espoir. Il y a les petites gens du Nord avec des individus pittoresques , il y a les sbires du capitalisme maîtres de tout. Il y a 2 beaux portraits de femmes , l’épouse et l’avocate du narrateur. Il y a le père dévasté, Il y a le procureur général implacable . Il y a le « méchant » très humain. Il y a le frère qui abandonne tous ses rêves et devient mineur . Et il y a le « non héros », le narrateur , perdu dans sa vie jusqu’à ce que la vérité soit révélée , aux autres, au lecteur mais aussi à lui-même.
» Le Jour d’avant » c’est d’abord un hommage poignant aux mineurs du Nord à partir de la catastrophe à la fosse de Saint-Amé de Liévin-Lens qui fit 42 morts en décembre 1974 .
C’est le récit de leur conditions de travail inhumaines , de leurs vies saccagées et la condamnation sans appel des Houillères pour qui ils étaient juste de la chair à profits, pour qui les précautions de sécurité n’étaient que dépenses inutiles et dont le cynisme va jusqu’à retenir sur la fiche de paie, trois jours de salaire (la catastrophe ayant eu lieu le 27 décembre) et le prix du bleu de travail et des bottes que l’ouvrier mort avait endommagés.
C’est surtout aussi l’hymne d’amour d’un adolescent pour son grand frère, de 14 ans son ainé, le frère mort qu’il veut venger en même temps que tous les sacrifiés de la mine.
La deuxième partie du roman s’ouvre sur une révélation coup de théâtre qui montre la capacité du cerveau humain à réinventer des faits pour « survivre» . Sa capacité aussi à vouloir se punir et à faire de sa vie un chemin expiatoire jusqu’au point de non retour.
Du coup, je me permets de te recommander fortement “ profession du père “
J’adore cet auteur moi aussi. Je repousse sans cesse la lecture de “ le quatrième mur “ mais va falloir que je m’y mette.