Glasfurd, Guinevere – «Les mots entre mes mains» (RL2016)
Auteur : Guinevere Glasfurd vit dans les Fens, près de Cambridge. Auteur de nouvelles remarquées, elle a obtenu une bourse du Arts Council England pour l’écriture des Mots entre mes mains, son premier roman.
Résumé : Helena Jans van der Strom n’est pas une servante comme les autres. Quand elle arrive à Amsterdam pour travailler chez un libraire anglais, la jeune femme, fascinée par les mots, a appris seule à lire et à écrire. Son indépendance et sa soif de savoir trouveront des échos dans le coeur et l’esprit du philosophe René Descartes. Mais dans ce XVIIe siècle d’ombres et de lumières, leur liaison pourrait les perdre. Descartes est catholique, Helena protestante. Il est philosophe, elle est servante. Quel peut être leur avenir ?
En dévoilant cette relation amoureuse avérée et méconnue, Guinevere Glasfurd dresse le portrait fascinant d’une femme lumineuse, en avance sur son temps, et révèle une autre facette du célèbre philosophe français.
Un roman de passion et de liberté qui nous plonge dans une fresque envoûtante des Pays-Bas au «siècle d’or », à la manière de La Jeune Fille à la perle.
Un premier roman remarquable. Une histoire d’amour qui ne tombe jamais dans le sentimental, portée par une héroïne inoubliable. The Times
Un petit bijou du genre est Les mots entre mes mains (Préludes) de la britannique Guinevere Glasfurd, qui revient avec une grâce qui pourrait rappeler celle de ses compatriotes Julian Barnes et de Tracy Chevalier (on lui souhaite le même succès que ses deux aînés). Guinevere Glasfurd raconte l’histoire vraie d’Helena Jans van der Strom , qui fut la servante de Descartes, avec lequel elle aura une liaison. Entre ces deux êtres que tout oppose va naître une belle relation d’amour, même si interdite. Un livre complètement addictif, qui nous fait voir l’auteur du Discours de la méthode sous un autre jour et revivre une époque où la liberté des femmes et leur accès à la connaissance étaient un rêve inaccessible. Huffington Post
Mon avis : Environ 450 pages qui défilent à grande vitesse… Amsterdam au XVIIème siècle. Deux personnages principaux, Helena et Descartes.
Je pense que tous ceux qui aiment les récits de Tracy Chevalier et les fresques historiques qui mêlent l’Histoire avec un grand H et le romancé vont adorer. Une femme forte, qui bouscule les idées reçues et souhaite s’instruire, un grand philosophe qui semble à prime abord inabordable mais va se révéler moins fermé qu’il ne le semble… Une histoire fondée sur des faits réels qui nous plonge dans les Pays Bas au XVIIème siècle ; point de départ Amsterdam… puis découverte d’autres villes hollandaises comme Deventer, Leyde, Santpoort, Amersfoort à l’époque. J’ai bien aimé la façon dont la romancière dépeint la vie dans ces petites villes ; on a par moment l’impression de se promener avec Helena, la servante qui refuse d’être considérée comme telle et qui va vivre une histoire d’amour difficile avec Descartes. Livre romantique ? Effectivement il y a une part de romantisme mais il y a principalement une histoire d’amour cachée et une fascination pour l’intelligence, la force de cette jeune femme qui va assumer sa condition de « mère célibataire » avec dignité, sans jamais accepter de se faire traiter comme une moins que rien et qui ne va jamais s’abaisser à demander de l’aideet qui va s’accrocher à sa plume pour grandir et s’évader. Magnifique ce personnage de femme forte qui va apprendre à écrire à son amie, qui va puiser en elle la magie des mots et du dessin … Aucun misérabilisme, beaucoup de sensibilité, de dignité dans cette figure du féminisme de l’époque.
J’ai beaucoup aimé et je recommande. Et j’ai aussi aimé découvrir davantage le personnage de Descartes.
Extraits :
On aurait dit qu’il venait de mordre dans un citron en croyant que c’était une pêche.
C’est bizarre de penser à un mari, aussi bizarre que si je portais une culotte.
Comme les pièces de monnaie, les promesses brillent d’autant plus qu’elles sont neuves.
Ces dernières sont aussi raides que des piquets et cachent sous leurs vêtements immaculés un caractère tout en ongles et en dents.
Il possède des plans de Paris, de Londres, d’Édimbourg, de Berlin, de contrées inconnues qui semblent appartenir au monde des rêves, plus chimériques que réelles. Sur l’un de ses murs est accrochée une carte du monde où l’on voit des poissons aussi gros que des navires, des arbres surmontés de plumes, des chats qui ont la taille de moutons. J’imagine ces poissons qui peuvent avaler un bateau, ces peuples qui vivent au loin sur la terre ferme, comme moi. Sur ces cartes, les routes maritimes vers l’Orient sont indiquées par des lignes. Parfois, je me dis que la Terre se transformerait peut-être en balle si je les tirais toutes en même temps.
Je dois me contenter de ma propre compagnie. Au moins, j’y suis habituée ; je sais quelles questions me poser et quelles réponses il vaut mieux éviter.
— Nous commençons tous quelque part. Moi. Lui. Même toi. » Il trace un trait sur la table avec son doigt. « Un encouragement, une rencontre fortuite, une conversation – il y a tant de façons de mettre une existence en mouvement.
je le murmure tout bas pour être sûre de m’en souvenir, afin que la nuit ne l’efface pas de mon esprit comme elle le fait de mes rêves.
On est en pleine nuit et mon cerveau est rempli de papillons qui se brûlent les ailes.
Cela ne le gênerait pas de parler à un arbre s’il pensait qu’il l’écoute. Je pourrais en être un ; un arbre plonge ses racines dans le sol ; en revanche, le vent qui secoue ses branches, les oiseaux qui nichent parmi ses feuilles viennent de loin.
Persuadé d’avoir apporté la preuve de ce qu’il avançait, le Monsieur me prend par le bras et me fait rebrousser chemin – les objections que j’aurais pu avoir, en paroles ou en pensées, s’effacent du même coup.
« Avec les mots, Helena, c’est différent. Ils me clouent à la page. »
Nous nous arrêtons sur le pas de la porte. Derrière nous, il y a la promenade que nous venons d’effectuer, et, devant, la fin de la journée et le travail encore à faire. Là où je suis, je peux voir ma vie de tous les côtés à la fois. Un pas de plus, et je serai à l’intérieur, à nouveau seule.
Les livres ont de la force. Ils ont des conséquences. Certains ouvrages sont brûlés et leurs auteurs emprisonnés, ou pire.
« Si l’on met tout en doute, que peut-on croire ?
— La vérité – celle que l’on peut prouver. Dieu dirige nos esprits vers elle. La connaissance ne suffit pas ; sans compréhension, elle n’est rien. Le doute nous libère de nos doutes et nous entraîne plus loin que vous ne l’imaginez. À partir de ce doute universel, point fixe et inamovible, il est possible d’aboutir à la connaissance de Dieu, de soi-même, de tout ce qui existe sur Terre. »
Je ne veux pas paraître brusque, mais il me semble, tout d’un coup, que j’ai en moi un oiseau qui cherche à s’envoler.
Je me représente chaque lettre et sa forme dans mon esprit. Il faut que la plume soit mon doigt, le papier ma main.
La chandelle vacille, avec, au centre, la lumière la plus vive. Sur le mur passent les ombres des rêves et des souvenirs. Le voile noir du sommeil se dépose sur moi.
Parfois, avec lui, j’ai l’impression qu’on m’a demandé de vider la mer et que pour cela, on ne m’a donné qu’une tasse.
J’écris des messages que je n’envoie pas, j’en regroupe plusieurs sur la même feuille – des nœuds à une ficelle qui s’allonge pour marquer le passage du temps.
J’utilise un feuillet à part pour noter mes idées. C’est seulement une fois qu’elles ont fait leur chemin jusqu’à mes doigts, si proches de la page qu’elles pourraient sauter dessus, que je commence à dessiner.
Alors, nous nous mettons à parler, avec des silences lorsque les mots ne viennent pas.
La vie est ainsi faite – elle nous pousse, sans relâche, que nous le voulions ou non.