Dusapin, Elisa Shua «Les Billes du Pachinko» (RL2018)
L’auteur : Née en 1992 d’un père français et d’une mère sud-coréenne, Elisa Shua Dusapin grandit entre Paris, Séoul et Porrentruy. Diplômée en 2014 de l’Institut littéraire suisse de Bienne (Haute Ecole des Arts de Berne), elle se consacre à l’écriture et aux arts de la scène, entre deux voyages en Asie de l’Est. « Hiver à Sokcho » (2016) est son premier roman. Son deuxième roman, « Les Billes du Pachinko« , est sorti en 2018, suivi de « Vladivostok Circus » (2020) et de « Le vieil incendie » (2023)
Editions Zoé – aout 2018 – 144 pages –
Résumé : Claire va avoir trente ans et passe l’été chez ses grands-parents à Tokyo. Elle veut convaincre son grand-père de quitter le Pachinko qu’il gère pour l’emmener avec sa grand-mère revoir leur Corée natale, où ils ne sont pas retournés depuis la guerre. Le temps de les décider à faire ce voyage, Claire s’occupe de Mieko, une petite Japonaise à qui elle apprend le français. Elisa Shua Dusapin propose un roman de filiation, dans lequel elle excelle à décrire l’ambivalence propre aux relations familiales. Elle dépeint l’intériorité de ses personnages grâce une écriture dépouillée et plonge le lecteur dans une atmosphère empreinte d’une violence feutrée où l’Extrême-Orient joue son rôle.
Mon avis ( avec des éléments repris d’une interview de l’auteure) :
Deuxième roman de cette jeune auteure. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’une fois de plus elle ne me donne pas envie de me rendre sur le lieu où se déroule l’action… Ce n’est pas une pub pour l’Office du tourisme. Mis à part cela, j’aime beaucoup ce qu’elle écrit et les thèmes qu’elle aborde. Une façon d’écrire concise, une langue épurée, Elisa Shua Dusapin se concentre sur ce qui habite les personnes de l’intérieur.
Le « Pachinko » est une machine à sous, un jeu de hasard qui, pour la romancière symbolise le destin. Les billes s’entrechoquent, se cognent, et vont ou elles veulent, impossible de les diriger… Une sorte de flipper vertical. Le jeu a été inventé par les Coréens qui sont partis s’installer au Japon. Qui dit « Pachinko » dit quartier coréen, jeu et mafia … C’est du moins comme cela que les Japonais le ressentent.
Bon alors reprenons… Son premier roman se déroulait en Corée du Nord… Il faisait un temps glacial. Rien de tel ici, au Japon… on étouffe ! Il fait chaud, lourd, humide, moite… La mousson et la pluie rythment le roman et on va essuyer les différents types de pluie… de l’orage à la petite averse… D’ailleurs j’ai ressenti l’importance de la sécheresse et de l’humidité tout au long du roman. Ira-t-on en Corée du Sud ? Mystère. Pour le savoir il vous faudra lire le roman. Dès le début du roman on ressent la fracture Corée-Japon…
Les thèmes de l’identité des personnages, la question de la langue, le glissement entre les différentes cultures sont à nouveaux présents. Les thèmes de la nourriture et des traditions, les rapports entre les personnes aussi. Les problèmes de communication entre les personnes sont aussi au centre du roman ; le roman se déroule au Japon, à Tokyo, mais de fait nous ne sommes jamais au Japon… Les personnages sont en décalage permanent. On est dans le quartier coréen, on visite le parc d’Heidi au Japon… Les japonais parlent en Français, les coréens en japonais… Les personnages sont en décalage entre eux, avec les autres et avec eux-mêmes… Ils s’accrochent à un monde qui n’est pas le leur. Claire est perdue, partagée entre plusieurs mondes, entre plusieurs langues et plusieurs cultures ; la femme sandwich traverse le roman comme une ombre, invisible, anonyme, seule et pourtant présente… La fillette et sa mère voudraient être ailleurs ; les grands parents ne se sentent pas chez eux au Japon, mais chez eux, c’est nulle part… La Corée unifiée qu’ils ont quitté n’existe plus… Ils tentent de se raccrocher à certaines traditions (les nouilles anniversaires)
Tout le monde est mal dans sa peau dans le roman et personne ne trouve sa place. Tout est poisseux… le climat, la nourriture… Les personnages se croisent et se ratent en matière de communication. Les rapports familiaux sont évoqués et sont flottants eux aussi .. ( grand-mère /mère/ fille ) Quant aux personnages masculins, soit ils sont absents ( le père de la petite japonaise) soit ils sont loin ( père musicien, petit ami qui propose toujours de débarquer mais qui reste dans se alpages) soit – le grand-père , ils sont absents tout en étant là… C’est le roman du ratage de la communication entre des êtres mais j’ai bien aimé sa manière d’écrire…
Extraits :
Derrière la baie vitrée, une couche de pollution floute la mégalopole à nos pieds.
Elle veut savoir si je vais bien.
— Ça va, et toi ? je réponds, décontenancée.
Troublée, aussi, par ma réponse. Automatique. Comme à une inconnue.
De toute façon, pour eux j’ai déjà trente ans, à cause du système coréen qui décompte l’âge d’un être dès sa conception dans le ventre de sa mère.
Les gens me contournent avec soin. Pas un frôlement. Derrière moi, la fille continue de parler dans le micro. J’ai envie de le lui arracher. De me plaquer contre elle et de hurler : regardez-nous.
Pour les Coréens du Japon, il n’y a jamais eu de Nord ni de Sud. Nous sommes tous des gens de Choson. Des gens d’un pays qui n’existe plus.
Ne résonne qu’un écho. Celui des langues qui se confondent.