Picouly, Daniel «Quatre-vingt-dix secondes» (RL2018)

Picouly, Daniel «Quatre-vingt-dix secondes» (RL2018)

Auteur : Issu d’un milieu populaire, Daniel Picouly a grandi dans la banlieue parisienne entouré de douze frères et soeurs. Après des études de comptabilité, de gestion et de droit, il devient maître auxiliaire, puis en 1988, professeur de comptabilité en classe de BTS dans le 13e arrondissement parisien. En 1992 paraît, grâce à la collaboration de Daniel Pennac, son premier roman, La Lumière des fous, rapidement suivi de deux polars, Nec et Les Larmes du chef. Mais il faut attendre 1995 et le succès de sa saga familiale Le Champ de personne pour qu’il s’impose en tant qu’écrivain. Depuis, tous ses écrits reçoivent un bel accueil du public et des critiques. Parmi eux, on peut citer L’Enfant léopard – prix Renaudot 1999 – la bande dessinée Retour de flammes en 2003, La Treizième Mort du chevalier en 2005 ou encore Un beau jeudi pour tuer Kennedy en 2006.

Éditeur : Albin Michel – 22 août 2018 – 265 pages – Présent dans la 2ème sélection du Prix Goncourt

Résumé : « Le diable a bu du rhum. On a souillé les églises, déterré les cadavres. Saint-Pierre doit se repentir. Tandis que je crache de la boue et du feu, que je ravage les champs, les bêtes et les hommes, ils battent des mains comme des enfants à Carnaval. Ils oublient de redevenir des animaux sages, de faire confiance à leur instinct. Fuyez ! Je suis la montagne Pelée, dans trois heures, je vais raser la ville.

Trente mille morts en quatre-vingt-dix secondes ». Avec une verve baroque et vibrante, Daniel Picouly, prix Renaudot pour L’Enfant Léopard, incarne l’épopée terrifiante de la Montagne Pelée, force mythologique, dans un roman foisonnant aux résonances étrangement actuelles.

La Presse : Mohammed AÏssaoui (Le Figaro)

Picouly, dont on entendrait presque la voix, met en scène son récit. Un tourbillon. Il brosse le portrait d’une époque et d’une île. Il puise dans le réel, comme ce prisonnier nommé Cyparis qui a échappé à la mort grâce à l’épaisseur des murs de sa geôle ; ou Marius Hurard, un « bébé Schoelcher », né en 1848, l’année de l’abolition de l’esclavage ; ou, encore, ce Louis Mouttet, par qui le malheur est arrivé : gouverneur de la Martinique, il jugeait catastrophiste l’exhortation à fuir la ville que menaçait l’éruption – le second tour des élections législatives qui devait se tenir le 11 mai 1902 était plus vital à ses yeux. La montagne Pelée grondait, et il regardait ailleurs. Avec cette dimension réaliste, Quatre-vingt-dix secondes est aussi le récit de l’inconséquence des hommes. La catastrophe naturelle est surtout politique. Depuis ce 8 mai 1902, le « petit Paris des Antilles », capitale économique et culturelle que jalousait le grand Fort-de-France, est devenu une petite ville de 5 000 habitants. Daniel Picouly crée deux personnages magnifiques qui sont tout aussi importants pour la richesse du roman que la montagne – sans vouloir la vexer. Othello et Louise, le pauvre créole et la jolie bourgeoise blanche, c’est Roméo et Juliette, c’est Rose et Jack, les amoureux du Titanic. Ces deux-là prennent le lecteur par la main et ne le lâchent plus.

Anecdote : Si l’aïeul de l’auteur n’avait pas piqué sa crise et refusé de se rendre ce jour-là à St Pierre, l’auteur ne serait pas de ce monde et on aurait raté un moment de lecture que je recommande !

Mon avis :

La parole est à la nature…
Personnage principal du roman, elle a pris la parole, la « Montagne pelée » … et elle est en colère, elle se plaint, elle se sent exploitée, non comprise, pas aimée. Et sa colère enfle, et elle va exploser…
Ah oui ! j’ai retrouvé la verve du Picouly d’il y a des année ! J’ai été emportée, j’ai dévalé les flancs du volcan, j’ai adoré ! Quel souffle ! Faut dire que quand un volcan se fâche, il est difficile de faire dans le calme et la dentelle.
La montagne est à l’image des habitants de St pierre : sauvage, vaniteuse. Mais si les hommes étaient moins surs d’eux, moins préoccupés par leurs petites affaires, ils auraient déchiffré les signes avants coureurs, à l’image des animaux et des anciennes populations (Mona, la vieille indienne). Trois semaines quand même que la Pelée annonçait qu’elle était furieuse, qu’elle fulminait et crachait de colère. Trois semaines… mais les hommes se croient plus fort que la nature… ils refusent de reculer, de céder à la peur. Seul un italien originaire de Naples, au pied du Vésuve, va accepter sa peur et lui faire confiance : il y gagnera la vie.  Pour les autres, la vie continue… les politique ne vont pas fuir au moment ou il y a des élections à gagner… on ne va pas laisser les marrons, qui n’ont pas les moyens de fuir dans la place : des fois qu’ils votent et battent les blancs…
Picouly nous fait une description de la St-Pierre de l’époque : la ville « phare2 de la région, une ville violente, brillante, dépravée. Le Paris et la Venise de la région. Une ville qui vit à mille à l’heure, qui est prétentieuse et se croit invincible… Mais elle oublie qu’au-dessus d’elle, la Montagne pelée en a assez d’etre foulée au pied. Et qu’elle va se reveiller, se révolter et a les moyens de tout détruire sur son passage. Ce n’et pas parce qu’elle a épargné St-Pierre lors de son dernier coup de gueule que St Pierre doit se croire invincible.
A part la Pelée, il y a d’autres personnages dasn le roman. Deux amoureux, Louise et Othello… Jusqu’à la fin j’ai tremblé pour eux. Seront-ils réunis dans la mort ou sauvés par le volcan ? Le monde des hommes semble bien hostile à leur égard…
Le roman nous parle aussi Histoire. Tout le monde connait l’histoire de la Montagne Pelée et de son survivant, le prisonnier protégé par les murs de sa geôle. Picouly va nous parler colonisation, vie sur place, rhum et canne à sucre, politique. Il va mêler personnages de fiction et acteurs historique (les politiciens, le Professeur)
En ces temps où les éléments semblent incontrôlés et déchainés, ce livre nous redonne aussi l’espoir : écoutons notre peur, surveillons les signes avant-coureurs, étudions la terre, les anciens.
Et laissons nous emporter par le roman, par le style qui emporte tout sur son passage, comme une nués ardente, une vague immense, un vent violent, une pluie incandescente…

 

Extraits :

Le Jardin botanique s’appelle en vérité « Jardin colonial des plantes ». Le mot « colonial » faisait mauvaise herbe, il a été sarclé.

Les quartiers du Mouillage et du Fort ne sont que les serre-livres d’une ville qui ne lit pas.

Saint-Pierre reste une catin aux deux parfums. Elle sent l’ail et le sucre. L’ail pour éloigner le diable, le sucre pour le faire revenir.

Le duel et le mariage se ressemblent par le peu de sang qu’il faut pour les sceller à jamais.

L’éloignement porte à écrire. Écrire de belles lettres. Des lettres de plus en plus émouvantes depuis que la ville a peur.

Je vomis la prétention des dépuceleurs de mappemondes. Ces obsédés des terres vierges dont ils ne sont que les énièmes amants. Ils massacrent ce qui les précède pour exercer leur droit divin à nommer le monde.

Mais ce qui l’intéresse vraiment, ce sont moins ces traces vulgaires de la vie qui se débine lâchement que ce regard dont le vide s’empare. Ce siphon insondable le fascine.

Les hommes aiment dire « Saint-Pierre danse sur un volcan » en oubliant que Saint-Pierre danse sous un volcan : moi.

En politique, l’opportunisme est une vertu.

les lavandières. Certains préfèrent les appeler « blanchisseuses », mais il n’est jamais bienvenu à Saint-Pierre de prendre parti pour une couleur. « Nous n’avons pas à rendre le monde plus blanc, mais plus propre. »

Les lavandières sont des journalistes scrupuleuses et des enquêtrices redoutables. Elles traquent la moindre tache de sang, d’encre ou de vie dans les plus infimes replis de l’intime.

Elle se chargea d’almanachs, de dictionnaires, de recueils de recettes, de magie, de prières, de bibles, de romans… Bref, tout ce qui peut voyager sur une tête et à l’intérieur.

Me méfier d’un homme qui rêve de l’enfant qu’il n’a jamais été et regrette l’adolescent qu’il rêve d’avoir été.

Les amoureux sont comme des grands découvreurs, il leur faut nommer le monde pour la première fois, inventer des tournures et manières, des superstitions, des rituels, ne marcher que sur leurs pas, être leur propre dieu.

« ces cendres malheureuses », c’est parfait pour raviver la controverse entre Voltaire et Rousseau sur l’origine du mal. Le lecteur d’ici aime les combats de coqs et de plumes.

« … Anne, ma sœurette, tu as raison : le regret n’est qu’une avance sur nostalgie prise par la mémoire avant l’oubli.

Devant cette fuite des beaux causeurs, les rats sont confortés dans la conviction que les hommes politiques ne sont qu’une clique de joueurs de flûte.

Quand les alizés, ces vents fonctionnaires soucieux d’ordre et régularité, considèrent que ça suffit, ils poussent les nuages pompettes à dégriser au frais au-dessus de la mer où ils se soulagent d’une ondée ambrée qui rend hilares les marins et les poissons.

Elle ne s’était jamais dit qu’on ne perd la tête que deux fois : quand on est amoureux et quand on est vieux. Et entre les deux ?

« La physique des sentiments ». Il en a retenu que le coup de foudre est une onde de choc en milieu clos.

Millésimer les catastrophes l’amuse. Pourquoi pas une cuvée « Montagne Pelée 1902 » ? L’idée devrait s’étendre à la vie privée. Chacun aurait sa cave à désastres et pourrait trinquer à ses petites misères.

 

En savoir plus : l’éruption de la Montagne Pelée

En savoir plus Pélé – la déesse hawaïenne du feu, des éclairs, de la danse, des volcans et de la violence

Poème sur le désastre de Lisbonne (Voltaire)

 

 

5 Replies to “Picouly, Daniel «Quatre-vingt-dix secondes» (RL2018)”

  1. Je viens de refermer ce livre…
    Alors, comment dire ? Mouais… Raconter l’histoire par l’intermédiaire d’un volcan est une approche vraiment originale. C’est romanesque !… des métaphores à profusion et plutôt réussies. Le style est très riche (trop ?) mais la lecture n’en est pas toujours aisée. Malheureusement, personnellement, tout au long de l’histoire, je n’ai jamais réussi à accrocher complètement. J’ai déjà lu d’autres livres de cet auteur, et à la réflexion, je crois que je ne suis pas une grande fan de Picouly… désolée : )

    1. Moi j’ai aimé l’originalité, les questionnements et la colère du volcan. Mais petite, je voulais être vulcanologue et j’avais une admiration sans bornes pour Haroun Tazieff…

        1. Tazieff et Cousteau… bien des années plus tard j’ai fait de la plongée sous-marine mais mis à part suivre par intérêt des cours à la Fac sur la vulcanologie (alors que j’étais pas du tout dasn cette filière) .. je ne me suis jamais approchée de volcans en éruption..

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *