D’Andrea, Luca « L’essence du Mal » (RL2017)
Auteur : Né en 1979 à Bolzano, dans le Tyrol du Sud, où il vit encore, Luca D’Andrea est romancier et scénariste. « L’essence du mal« , son premier roman, lui a valu d’être comparé à Stephen King et Jo Nesbo. « Au cœur de la folie » (prix Scerbanenco) est paru le 11.10.2018.
Denoël – 27.10.2017 – 464 pages / Folio policier – 11.10.2018 – 509 pages
Résumé : En 1985, dans les montagnes hostiles du Tyrol du Sud, trois jeunes gens sont retrouvés morts dans la forêt de Bletterbach. Ils ont été littéralement broyés pendant une tempête, leurs corps tellement mutilés que la police n’a pu déterminer à l’époque si le massacre était l’œuvre d’un humain ou d’un animal. Cette forêt est depuis la nuit des temps le théâtre de terribles histoires, transmises de génération en génération.
Trente ans plus tard, Jeremiah Salinger, réalisateur américain de documentaires marié à une femme de la région, entend parler de ce drame et décide de partir à la recherche de la vérité. A Siebenhoch, petite ville des Dolomites où le couple s’est installé, les habitants font tout – parfois de manière menaçante – pour qu’il renonce à son enquête. Comme si, à Bletterbach, une force meurtrière qu’on pensait disparue s’était réveillée.
Mon avis : L’auteur a le chic pour créer l’ambiance. Me voici perdue dans les montagnes et dans un village où les non-locaux sont plutôt mal intégrés. Alors quand en plus ils se permettent de farfouiller dans le passé. C’est très mal vu ! Un village de montagne, c’est comme la famille ! Les secrets restent enfouis, c’est silence et on ne remue pas le passé ! C’est la montagne quoi ! Les taiseux. En plus dans une région comme le Tyrol du Sud, proche de l’Autriche, accepte mal le rapprochement linguistique et culturel avec l’étranger.
Alors quand un Americain se marie avec une fille du pays et décide de s’installer dans le village d’origine de sa femme avec sa petite fille, l’intégration ne va pas de soi. Auteur et réalisateur de documentaires, il a l’idée de faire un documentaire sur le Secours en montagne qui a été fondé dans la région par son beau-père.
Voilà, le décor est planté… Un accident lors du tournage, la peur, le sentiment de culpabilité d’être le seul survivant d’une tragédie, les suspicions … Et alors qu’il tente de se remettre de ce drame, il entend parler d’un massacre vieux de 30 ans (3 jeunes mutilés lors d’une tempête en montagne). Et, en cachette, il tente de se documenter sur ce secret bien gardé. Inutile de vous dire qu’il va vite se trouver encore plus isolé dans cette ambiance montagnarde peu accueillante. Il n’y a pas que la météo qui est oppressante… Plus qu’à saupoudrer de quelques légendes et croyances locales, d’instiller la peur et le pauvre américain va basculer dans l’angoisse.
Le personnage principal est la nature : la montagne, l’avalanche, les conditions météo, la tempête. Le rythme narratif de l’auteur met sous pression juste comme il faut… Un roman où rage, souffrance et obsession guident la vie des protagonistes. Et attention, quand on est obsédé par un mystère à résoudre, on met tout en danger : sa vie, son couple, la vie de ses proches… Obsédé par cette quête de vérité, notre brave Americain va mettre les pieds là ou il ne faut pas et remuer ce qui aurait mieux fait de rester bien enfoui, enfin c’est ce qu’il semble … A vous de juger
Alors aventurons nous dans les Dolomites, sur le site géologique de Bletterbach qui abrite, en plus des fossiles, d’autres mystères …
Et de pistes en fausses pistes, on glisse dans un suspense délirant qui nous entraine jusqu’au bout du suspense et de l’horreur ! Un gros coup de cœur flippant !
A ceux qui ont aimé, je ne peux que recommander le livre de Ilaria Tuti « Sur le toit de l’enfer » (2017)
Extraits :
Il était agaçant, pédant, plus égocentrique qu’un trou noir et terriblement obsessionnel. Sa capacité à se concentrer sur un seul sujet à la fois n’excédait pas celle d’un canari sous amphétamines.
Les idées naissent, c’est tout. Certaines sont éphémères, d’autres prennent racine. Elles ont leur vie propre,
On oublie les anniversaires, y compris ceux de mariage. On oublie les visages. Heureusement on oublie aussi la douleur, la souffrance. Mais les rires de cette période où on n’est plus un enfant mais pas encore un homme… ça, ça reste.
Werner ne regardait pas. Il scrutait. Vous avez déjà vu un rapace ? Werner avait ce regard. On appelle ça le charisme.
J’aurais pu passer des heures à l’écouter sans me lasser parce que c’est ça, l’amour : écouter des histoires sans se lasser.
— Je te raconte tout ce que je sais, sans rien négliger, et en échange tu me promets de ne pas te laisser dévorer par cette histoire.
Le choix du mot n’était pas anodin. Ce sont les bêtes qui dévorent.
— C’est ce qui arrive à tous ceux qui prennent à cœur l’affaire du massacre du Bletterbach.
J’aurais défoulé sur lui une haine que j’éprouvais en réalité envers moi-même. Un comportement de lâche.
Je me détestai.
Mon nom. Mair. C’est la forme locale de Mayer. Ça signifie propriétaire terrien. Beaucoup de noms allemands veulent dire quelque chose, en général ils indiquent des professions. Mair. Schneider, c’est le couturier. Fischer, le pêcheur. Müller, le meunier.
La montagne suit des règles qui lui sont propres, qu’on le veuille ou non.
J’étais un hôte accepté, un peu plus qu’un touriste, beaucoup moins qu’un local,
Le peuple de Fanes était une ancienne tribu qui, selon la légende, vivait en paix et en harmonie. Ils ne faisaient pas la guerre, ils avaient des rois qui administraient la justice avec intelligence. Tout allait à merveille jusqu’à ce que, soudain, ils disparaissent sans laisser de trace. Du jour au lendemain.
Et plus les gens parlent, plus ils deviennent hypocrites et fantaisistes.
Gratte sous la surface d’un petit village de sept cents habitants et tu trouveras un nid de vipères.
Un père ne peut offrir que deux choses à sa fille : le respect d’elle-même et de bons souvenirs.
Tu peux partir, tu emporteras toujours tes cicatrices. Elles font partie de toi.
Tu peux voir ça comme tu veux, mais même derrière la légende la plus absurde il y a un petit fond de vérité.
Les personnes modifient leur concept de l’horreur selon l’Histoire et l’évolution des usages.
Je débarrassai, puis m’installai dans mon fauteuil préféré. J’allumai la télévision. Mes yeux voyaient, mon cerveau n’enregistrait pas.
Disons que quand un vieux montagnard rencontre cet horrible monstre que vous appelez « temps libre », soit il trouve quelque chose à faire, soit il finit à l’asile.
Certains disent qu’on devient homme quand on enterre ses parents, d’autres quand on le devient, un point c’est tout. Je ne partageais aucune de ces deux philosophies.
On devient adulte quand on apprend à demander pardon.
Enfant, j’avais passé plus de temps la tête dans les nuages que les pieds sur terre.
Elle avait peut-être atteint l’âge où les migrants rêvent de s’installer à nouveau dans leur terre d’origine, même s’ils savent que ce qu’ils voudraient retrouver n’existe plus.
Mon temps s’achève. C’est pour ça que je veux que tu aies cette montre. Tu sais pourquoi il faut la remonter tous les soirs ? Parce que ça permet d’apprécier les minutes qui défilent.
Parce que la chose la plus importante que nous puissions faire pour nos parents, c’est de les aider à nous laisser de beaux souvenirs.
Ce n’était pas une voix unique, c’était un chœur où les instruments s’ajoutaient les uns aux autres pour produire une cacophonie par moments insupportable. Même le crépitement de la pluie changeait de note, selon la surface sur laquelle elle tombait. Le bruit sourd du châtaignier, celui plus cristallin de l’épicéa. Le raclement sur les rochers.
Infos : Bletterbach
Image ( et infos) : Jaekelopterus rhenaniae ( espèce éteinte d’Eurypterida (scorpions de mer
3 Replies to “D’Andrea, Luca « L’essence du Mal » (RL2017)”
Je viens de le terminer, quel suspense !!!
Beaucoup de choses m’ont plu, le décor : la montagne comme tu dis si bien « personnage principal ». L’ambiance, le rythme. La description sur le fondement des secours en montagne, des héros.
Les personnages crédibles, on voit leur visage, leurs personnalités crèvent le livre comme celle de Wermer. J’ai été aussi obsédée que Salinger pour connaître le mystère du Bletterbach : entrain de lire à 6h00 du matin.
Attendrie par la relation père fille : Salinger, Clara. La paternité dans toute sa beauté.
Je recommande ce thriller et j’ai été ravie Cath de lire presque « à tes côtés » comme un moment ensemble partagé…
J’ai aussi adoré cette lecture commune! A refaire ! Moi je lis toujours tôt le matin.. c’est plutôt tard le soir que j’ai pas lâché Salinger, Clara, Werner et les autres. Magnifique analyse aussi de la relation de couple et de dégâts que peuvent faire les secrets et les non-dits ( que ce soit pour une bonne raison ou pas)
J’ai lu ce livre avec intérêt suite à vos commentaires mais je suis moins emballée même si je regrette pas de l’avoir lu.
Je cite notre amie « beabab » :
Un peu long à se mettre en route, je ne suis pas arrivée à me laisser capter par l’intrigue qui m’a paru poussive.
La relation Salinger avec sa fille m’a semblé surjouée, l’obsession pour le massacre et le mystère qui l’entoure OK, c’est au coeur du roman, mais c’est lent, c’est long, et, si on est surpris à la fin, l’ultime rebondissement me parait venir comme un cheveu sur la soupe