Postorino, Rosella «La goûteuse d’Hitler» (2019)

Postorino, Rosella «La goûteuse d’Hitler» (2019)

Auteure : Née à Reggio de Calabre en 1978, Rosella Postorino est éditrice et journaliste. Ses trois premiers romans, « La stanza di sopra », « L’estate che perdemmo Dio » et « Il corpo docile », ont été couronnés de plusieurs prix. Elle écrit également des essais et des pièces de théâtre, et contribue à des anthologies. « La goûteuse d’Hitler » est son premier roman traduit en français.

Albin Michel – 2.01.2019 – 400 pages – Dominique Vittoz (Traducteur) – Prix Campiello – Prix Vigevano Lucio Mastronardi – Prix Rapallo – Prix Pozzale Luigi Russo

Résumé :

1943. Reclus dans son quartier général en Prusse orientale, terrorisé à l’idée que l’on attente à sa vie, Hitler a fait recruter des goûteuses. Parmi elles, Rosa. Quand les S.S. lui ordonnent de porter une cuillerée à sa bouche, Rosa s’exécute, la peur au ventre : chaque bouchée est peut-être la dernière. Mais elle doit affronter une autre guerre entre les murs de ce réfectoire : considérée comme « l’étrangère », Rosa, qui vient de Berlin, est en butte à l’hostilité de ses compagnes, dont Elfriede, personnalité aussi charismatique qu’autoritaire.
Pourtant, la réalité est la même pour toutes : consentir à leur rôle, c’est à la fois vouloir survivre et accepter l’idée de mourir. Couronné en Italie par le prestigieux prix Campiello, ce roman saisissant est inspiré de l’histoire vraie de Margot Wölk. Rosella Postorino signe un texte envoûtant qui, en explorant l’ambiguïté des relations, interroge ce que signifie être et rester humain.

Mon avis :

Un énorme coup de cœur.

Point de départ : Les confessions à un journal allemand en 2014 de Margot Wölk   qui avait été une gouteuse d’Hitler mais ne l’avait jamais révélé auparavant. Cela a permis de dévoiler une face de l’histoire du nazisme qui était cachée jusqu’à présent. Dès le début de la confession il y a une opposition entre l’angoisse d’être empoisonnée et le bonheur de gouter des plats excellents.

Le thème de ce roman est entre autres choses la survie. En effet Rosa est précipitée dans ce travail par hasard. Elle n’a aucune conscience politique et ne le fait donc pas par croyance en le Nazisme. Ce n’est pas une héroïne, elle n’a rien choisi, ne peut pas faire autrement, est loin d’être nazi et elle va devoir faire avec. C’est l’histoire d’une citoyenne on ne peut plus normale qui se trouve bien malgré elle contrainte à aider le régime d’Hitler. Difficile de devoir accepter de travailler comme goûteuse d’Hitler, de devoir risquer sa vie à chaque repas pour sauver cet homme et ne pas avoir d’autre choix pour pouvoir survivre… Le fait de devoir faire des choses pour survivre qu’ils n’auraient jamais imaginé accepter faire en d’autres circonstances. Le personnage principal du livre est en quelque sorte tombée dans un piège : elle avait fui Berlin bombardé pour aller se réfugier chez ses beaux-parents car elle était seule. Or il se trouve que le village ou habitaient ses beaux-parents dans la campagne allemande est proche de l’endroit où se refugiait Hitler. Elle s’est jetée dasn la gueule du loup.

La goûteuse est à la fois victime et coupable. Victime car condamnée à risquer de mourir et coupable car elle mangeait en cette période de vaches maigres, et de plus les repas étaient succulents. Le roman va se focaliser sur l’ambiguïté des pulsions humaines, l’importance du corps, sur la culpabilité. En plus elle est très bien payée pour ce travail. C’est une survivante qui perd son innocence, qui a la faculté de s’adapter et c’est ce qui l’a sauvée. Elle deviendra voleuse, elle trahira, elle couchera, elle aimera, elle se rebellera aussi. Un roman historique, qui parle de coercition, des choix et de l’impossibilité de faire des choix. C’est aussi un roman qui nous parle d’amitié, de relations entre des êtres qui au départ n’ont rien en commun mais vont se retrouver à vivre ensemble des choses qui vont les rapprocher. Elle va en effet vivre avec 9 autres femmes qui comme elles risquent leur vie à chaque repas et des liens vont se tisser entre elles. Elles vont devenir amies par obligation. Ce sont des rapports amicaux ambigus et différents des rapports habituels mais très forts.

Des liens vont se créer de manière intolérable pour elle avec une nazi… mais même si c’est intolérable pour elle, les liens sont là. Au départ elle va se réfugier derrière le « je n’ai pas pu faire autrement, je me devais d’obéir » mais au final cette relation dans laquelle elle se sent coupable pour de nombreuses raisons (elle trahit son mari, elle trahit ses compagnes…) réveille son corps et cela la perturbe énormément ; elle découvre des choses sur elle-même qu’elle ne veut pas connaitre. Et son alibi est « je n’avais pas le choix ». Elle a peur de savoir et ne veut pas savoir. Elle se sent déjà coupable d’etre encore en vie, de s’être adaptée à un système dictatorial mieux que les autres.

Je voudrais aussi vous signaler le livre de Diane Ducret  « Les indésirables » (03. 2017) un autre pan méconnu de la Deuxième Guerre Mondiale. 

Extraits :

« Mangez », ont-ils dit d’un angle de la salle, c’était à peine plus qu’une invitation et pas tout à fait un ordre. Ils lisaient l’appétit dans nos yeux. Bouches entrouvertes, respirations précipitées.

Ma mère disait que manger, c’est lutter contre la mort.

Certains matins d’épais brouillard, il m’arrivait de décrocher le cintre avec une rage sourde, il n’y avait aucune raison pour que je me fonde dans le lot, je n’avais rien en commun avec les autres goûteuses, pourquoi tenais-je tant à me faire accepter ?

Ça arrive à l’école ou au travail, là où l’on passe par obligation de longues heures de son existence. On devient amies dans la contrainte.

l’URSS était incompréhensible, obscure, inquiétante comme le vaisseau fantôme de l’opéra de Wagner

On s’habitue aux sirènes, à dormir tout habillé pour se précipiter au refuge quand elles retentissent, on s’habitue à la faim, à la soif. Je m’étais habituée à être payée pour manger. Ce qui pouvait sembler un privilège était un travail comme un autre.

Mais au fond toute vie est une contrainte et le risque de se cogner aux murs, permanent.

On peut cesser d’exister alors qu’on vit encore

Que le veuvage, effectif ou potentiel, fût un état courant ne me consolait pas : je n’avais jamais cru que ça pouvait m’arriver

Nous étions dix tubes digestifs et il ne se donnait sûrement pas la peine d’adresser la parole à des tubes digestifs.

La faiblesse réveille le sentiment de culpabilité chez celui qui la reconnaît et je le savais.

C’est risqué de se mêler aux gens qui ne sont pas comme vous. Mais parfois, on n’a pas le choix.

chanter c’est comme plonger dans l’eau. Imagine que tu as un gros caillou sur la poitrine. Chanter, c’est quelqu’un qui arrive et enlève ce caillou. Depuis combien de temps n’avais-je pas respiré aussi largement ?

Souvent un secret partagé sépare au lieu d’unir. Quand elle est commune, la faute est une mission dans laquelle on se jette tête la première, de toute façon elle s’évapore vite. La faute collective est informe, la honte est un sentiment individuel.

« Les choses ne sont presque jamais comme elles semblent, déclara-t-elle. Ça vaut aussi pour les gens. »

elle ne nous pardonnait pas de savoir ce qu’elle aurait préféré oublier.

Nous étions deux étrangers qui se racontaient. L’intimité physique peut-elle engendrer la bienveillance ?

La capacité d’adaptation est la principale ressource des êtres humains, mais plus je m’adaptais et moins je me sentais humaine.

le sommeil peut se révéler un piège, combien de gens ont fermé les yeux convaincus de les rouvrir et ont été aspirés ?

— Le problème, la Berlinoise, c’est que n’importe qui peut justifier n’importe quel geste. On trouve toujours une excuse. »

Qu’il soit possible d’omettre des pans de sa vie, que ce soit aussi facile m’a toujours stupéfiée ; en réalité, il nous faut impérativement ignorer la vie des autres pendant qu’elle se déroule, il nous faut cette carence physiologique d’informations pour ne pas devenir fous.

Nous avons accepté toutes sortes d’abus de pouvoir. Ce n’est pas toujours une question de choix.

il n’y a jamais de raison de s’aimer. Il n’existe aucune raison d’embrasser un nazi, pas même l’avoir enfanté.

Quand vous perdez une personne, la douleur est pour vous, qui ne la verrez plus, n’entendrez plus sa voix, qui sans elle, pensez-vous, ne résisterez pas. La douleur est égoïste : c’était ce qui me mettait en colère.

 

Info : https://militaryhistorynow.com/2016/11/07/i-was-hitlers-food-taster-german-woman-recalls-her-bizarre-and-terrifying-wartime-job/

Photo : Margot Wölk

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