Ducret, Diane « Les indésirables » (03. 2017)
Autrice: Diane Ducret née à Anderlecht (Belgique) le 17 novembre 19822, est une philosophe, historienne, romancière et essayiste franco-belge. Après une enfance au pays basque, elle s’inscrit en hypokhâgne au lycée Molière à Paris avant de partir étudier à Rome. Elle passe ensuite une maîtrise d’histoire de la philosophie à la Sorbonne Paris IV, et soutient un mémoire portant sur « La modernité scientifique et la pensée du transcendantal chez Husserl », puis un DEA dans la même spécialité traitant de « La mort comme critique de la totalité : lecture de L’Étoile de la Rédemption de Franz Rosenzweig ». Puis elle entreprendra un magistère de philosophie contemporaine à l’École normale supérieure. Diane Ducret collabore ensuite à la rédaction de documentaires historiques sur France 3 pour l’émission Des racines et des ailes et a animé, en 2009 Le Forum de l’Histoire sur la chaîne Histoire.
Elle est l’auteure des best-sellers Femmes de dictateur (Perrin, 2011), traduit en vingt-cinq langues, La Chair interdite (Albin Michel, 2014), Les Indésirables (Flammarion, 2017), La meilleure façon de marcher est celle du flamant rose (Flammarion, 2018)
Flammarion – 01.03.2017 – 320 pages /J’ai lu – 28.02.2018 – 349 pages
Résumé : « Nous avons ri, nous avons chanté, nous avons aimé. Nous avons lutté, mon amie, c’était une belle lutte. Je me suis sentie plus vivante à tes côtés que je ne le fus jamais. »
Un cabaret dans un camp au milieu des Pyrénées, au début de la Seconde Guerre mondiale. Deux amies, l’une aryenne, l’autre juive, qui chantent l’amour et la liberté en allemand, en yiddish, en français… cela semble inventé ! C’est pourtant bien réel. Eva et Lise font partie des milliers de femmes « indésirables » internées par l’État français. Leur pacte secret les lie à Suzanne « la goulue », Ernesto l’Espagnol ou encore au commandant Davergne. À Gurs, l’ombre de la guerre plane au-dessus des montagnes, le temps est compté. Il faut aimer, chanter, danser plus fort, pour rire au nez de la barbarie.
À la façon d’une comédie dramatique, Diane Ducret met en scène le miracle de l’amour, la résistance de l’espoir dans une fable terrible et gaie, inspirée d’histoires vraies.
Mon avis : Le camp de Gurs dans les Pyrénées-Atlantiques, après avoir accueilli les combattants républicains de la guerre civile espagnole, a été utilisé pour emprisonner des étrangers, des juifs… et des femmes dont l’auteur nous raconte le quotidien et la force de caractère. Lydie Salvayre avait déjà évoqué ces camps de la honte dans son magnifique « Pas pleurer » (Goncourt 2014), Diane Ducret les remet en lumière. Pour ne jamais oublier !
L’auteur a pris pour point de départ de ce livre un appel placardé sur les murs de Paris le 15 mai 1940, « la rafle des femmes indésirables » ; invitation à toutes les femmes sans enfants en provenance d’Allemagne (juives ou non) – 5000 femmes qui seront conduites au Vel HIV, puis dans un camp dans les Pyrénées. Ce roman est à la fois historique (réfugiés, contexte fascisant, montée des extrêmes) et humain. La beauté et l’élan de vie en guise de symbole de Résistance. Chaque époque à ses indésirables… qui sont responsables de tous les maux… Femme, sans enfant, indésirable… histoire d’émigration causée par la guerre… L’Histoire se répète… France, terre d’accueil !? pas en 1930 et visiblement pas au début du XXIème siècle On parle des camps allemands mais on passe sous silence les camps français. Il y a de hommes qui vont se révéler humains, comme le Commandant Davergne (vrai nom) qui fera ce qu’il peut pour les sauver.
Deux indésirables vont devenir inséparables au lieu de se détester et qui vont survivre l’une pour l’autre. La force de l’amitié, du rire, des mots et du regard, de l’espoir, de la confiance, de la cohésion. Quand l’idée que le point commun entre les Allemands et les Français est « le cabaret », une raison de vivre se fait jour et va fédérer les femmes autour d’un projet. Et cela va les motiver, leur donner un but. Ce livre est un message d’espoir, d’évasion par l’amitié, l’amour, la musique, la culture…
Hannah Arendt (philosophe juive allemande, raflée au Vel d’Hiv, puis internée au camp de Gurs) sert en quelque sorte de fil rouge au roman. A Gurs, on croisera également Dita Parlo (actrice allemande) et des femmes qui ont travaillé dans le monde artistique ( créatrice de costumes dans les ballets russes, chanteuse, danseuses)
C’est un livre fort, émouvant, sensible mais jamais larmoyant. A lire !
Je voudrais aussi vous signaler le livre de l’italienne Rosella Postorino «La goûteuse d’Hitler» (2019) : un autre pan méconnu de la Deuxième Guerre Mondiale y est révélé. Et vous recommander le livre de Valentine Goby « Kinderzimmer » (2013), au cas où vous ne l’auriez pas encore lu.
Extraits :
« Si tu as faim, chante ; et si tu as mal, ris. Profite du temps, tant qu’il est présent »
elle lui semble toute petite, elle qui avait toujours été sans âge, puisque c’était maman.
Qu’y a-t-il pourtant de plus humain que cinq mille paires d’yeux pleins de questions et d’inquiétudes, et qui regardent dans la même direction ?
On ose à peine respirer, on attend. Quoi ? Que l’absurde se dilue, qu’on repère les vraies nazies et qu’on laisse partir les autres, la France n’est pas un pays où l’on emprisonne les femmes.
Il lui faut une amie qui aura dans le regard ce qu’on peut lire chez les mères, une force vive faite d’espoir et d’attention. Lise n’est pas une fille de mots, elle parle avec les yeux.
La plaisanterie a quelque chose de sinistre étant donné leur situation, mais elles rient de bon cœur, s’entraînent l’une l’autre comme pour se laver de ces heures de peur et de suées.
Le savon est au corps ce que le rire est à l’âme, comme on dit chez nous
Les Français disent qu’il faut « tuer le temps ». Mais quand tout le monde meurt autour de vous et que c’est la guerre, moi je préférerais plutôt le vivre.
L’être humain est une bien curieuse créature, capable de nostalgie pour ce qu’elle a détesté.
On entasse ses doutes et ses bagages dans les trains sombres au toit bombé.
Il n’y a rien de plus long qu’un voyage sans destination.
Au nord, les juifs et les opposants fuient l’Allemagne en franchissant le Rhin ; au sud, les républicains espagnols fuient le nouveau régime en escaladant les Pyrénées.
Quand soudain face à nous l’avenir disparaît, on se tourne vers notre passé.
Ce premier soir, à Gurs, trois mille femmes ont les paupières ouvertes sur les jeunes filles qu’elles ont été, espérant retrouver l’innocence qui les sauvera jusqu’au lendemain.
Six heures du matin, le ciel est à pied d’œuvre pour hisser le jour nouveau, il laisse tomber à ses pieds, glissant lentement le long des cimes, son vêtement sombre et opaque, pour passer les couleurs de l’aurore.
Est-ce la langue qu’on parle dans ta famille ?
— C’est celle dans laquelle nous rêvons. Ferme les yeux. »
On fait, la nuit, des promesses dictées par un intrépide espoir, que le jour a tôt fait de nous enlever.
Rien de plus précieux en ce monde que le sentiment d’exister pour quelqu’un. Lui, elle, que l’on emmène partout en soi-même quand il n’est plus nulle part.
Hitler veut instaurer un monde où les femmes seraient à la maison à accoucher de nombreux enfants. Nous leur serions entièrement dévouées. Nous passerions notre temps aux fourneaux et c’est tout. Les enfants, la cuisine, le dévouement, voilà la vie d’une femme à leurs yeux.
À ce moment-là, comme à dessein, l’aurore déclenche son feu de couleurs. Si la nature peut s’unir ainsi à l’homme, il y a de l’espoir.
L’impression que le temps s’est arrêté, et d’être là depuis mille ans pourtant
Il y a dans son caractère quelque chose d’éminemment russe, une urgence de grandeur en même temps que la nostalgie de celui qui se sait condamné.
Vous vous plaignez d’avoir le vertige quand on veut vous élever un peu parmi les belles idées !
À Gurs, il n’y a pas à manger, mais il y a des crayons et du papier. Écrire une lettre, c’est faire naître sur une page blanche le désir de son destinataire, laisser venir le souvenir des instants partagés, la prémonition des instants espérés.
Le serment d’Hippocrate qu’il a prononcé à la fin de ses études est à ses yeux plus grand que les guerres, les origines ou la vanité.
Moi je crains qu’il n’y ait un seuil de tolérance, passé lequel, si l’on a séjourné trop longtemps sur les mers de la puanteur, on ne regagne plus jamais vraiment la rive des vivants, celle sur laquelle les choses sentent bon.
La joie, la consolatrice qui tout efface de nos souffrances, soulage, réconforte, donne du courage, fleurit même ici, dans les cœurs les plus meurtris !
L’angoisse de la mort le dispute en leur cœur à celle plus terrible encore d’avoir été oubliée.
Le destin a une manière terrible de nous faire marcher le long de nos failles, comme des fils tendus entre ce que nous sommes et ce à quoi nous aspirons. Et nous allons, tels des funambules aux bras tendus pour garder l’équilibre. Vainqueurs sont ceux qui ne regardent pas en bas mais dirigent leurs pas vers la ligne d’horizon.
Peu importe l’organe par lequel elle frappe les sens, ce peut être l’ouïe, l’odorat ou la vue, la beauté peut guérir les hommes de tous les maux ! Aussi faut-il, ici plus qu’ailleurs, les baigner dans tout ce que l’art a produit de meilleur.
Je crois que donner la vie, c’est consoler, nourrir, aimer, éduquer. Cela n’est pas simplement mettre au monde. Peut-être que ce sont là deux actes séparés que les conditions empêchent parfois de réaliser ensemble. Mais on peut décider de donner l’un ou l’autre sans être une mauvaise femme.
C’est terrible de se rendre compte que ceux que l’on imaginait morts sont parmi les vivants, et que ces vivants ne nous aiment plus.
Infos : les camps français : « Dans le pays qu’ils voyaient comme la patrie des droits de l’homme, ceux qui ont combattu les premiers le fascisme sont quelque 275 000 à être internés en février 1939 dans des camps sévèrement gardés : Argelès-sur-Mer, Saint-Cyprien, Le Barcarès, Bram, Agde, Septfonds, Gurs, Le Vernet, Rieucros, Collioure, en France métropolitaine, Boghari, Djelfa, en Algérie. Autant de noms qui résonnent de façon sinistre dans la mémoire de ces exilés et de leurs descendants. Car, au-delà des conditions matérielles très précaires, l’humiliation vécue dans ces camps du mépris est encore ressentie douloureusement soixante-quinze ans après. » ( article de Geneviève Dreyfus-Armand paru dans le journal Libération )