Veronesi, Sandro « Terres rares » (2016)

Veronesi, Sandro « Terres rares » (2016)

Auteur : Sandro Veronesi né le 1er avril 1959 à Prato, en Toscane (Italie), est un écrivain et scénariste italien.  Il obtient un diplôme d’architecture à l’Université de Florence, avant de se tourner vers l’écriture. Après une incursion précoce mais sans suite en poésie, il fait ses débuts en tant que romancier. Il a notamment obtenu le Prix Campiello et le Prix Viareggio pour La force du passé, (Plon) et le Prix Strega 2006 en Italie, puis le Prix Méditerranée et le Prix Femina 2008 en France pour Chaos calme (Grasset), adapté au cinéma avec Nanni Moretti.  Suivront Terrain vague (Grasset, 2010), XY (Grasset, 2013 – prix Flaiano), Un coup de téléphone du ciel (Grasset, 2014) et Terres rares la suite de Chaos calme (Grasset, 2016). En 2021, il publie Le colibri.

Grasset – 20.01.2016 – 460 pages / Livre de Poche – 11.10.2017 – 477 pages – Prix Littéraire Marco Polo Venise

Résumé : En l’espace de vingt-quatre heures, un homme perd le contrôle de sa vie : il commet une faute professionnelle, se fait retirer son permis de conduire et égare son téléphone portable. De retour à son bureau, il trouve sa secrétaire en pleurs, la police a tout emporté et son associé a pris la fuite. Pendant ce temps, alors que son monde s’écroule autour de lui, sa compagne le quitte et sa fille part s’installer chez sa tante.
Cet homme, c’est Pietro Paladini, le héros de Chaos calme, soudain pris dans le tourbillon de la vie. Seul, craignant d’être traqué par la police pour des délits dont il ne sait rien, Pietro décide de disparaître à son tour et cherche désespérément à retrouver la vie normale qu’il a perdue ou, du moins, qu’il croyait être la sienne…

Mon avis :

Cela commençait si bien avec l’alerte écrevisses … et puis … le charme n’opère plus comme cela avait été le cas dans « Chaos calme »

Et alors !? que sont devenues les listes du précédent roman ? Elles qui avaient ce charme si personnel … Il faudra attendre presque la fin du livre pour comprendre pourquoi elles ne font plus partie du personnage et avoir une petite liste ( les belles choses qu’il n’a pas encore faites) Il faut dire qu’en presque dix ans, la vie de Pietro Paladini n’a pas changé en bien. Et je dois dire que j’ai été jusqu’au bout.. Mais avec un peu de persévérance car je voulais savoir la fin et que je n’ai pas eu le plaisir du premier opus. Cela traine en longueur. Paladini a bien changé ; il a déménagé, il habite Rome, il vend des voitures, a quitté ses amis, a changé de milieu, et se retrouve bien seul. Le père modèle a perdu le contact avec sa fille ; il se réinvente père modèle des petits de la femme qu’il fréquente… mais… Bref depuis la fin de « Chaos calme » il semble qu’il n’ait fait que des mauvais choix… Est-ce que la catastrophe qui lui tombe dessus professionnellement va etre l’électrochoc qui le fera réagir, retrouver de sa superbe, changer ses fréquentations, retrouver le monde qui était le sien ? Va-t-il renaitre finalement après cette longue période de deuil, se regarder en face et regarder au fond de lui ? Va-t-il faire la paix avec le passé, retrouver sa famille, secouer sa culpabilité, et revivre ?

Dans ce livre Paladini va rencontrer une palette de personnages déjantés et heureusement qu’ils existent… le garde suisse, la jeune femme qui vent ses charmes, le géant qui tient un gite un peu particulier). C’est le livre de la fuite : Paladini fuit les ennuis, mais il fuit aussi la vie dans laquelle il s’est enfermé. Lui qui avait l’habitude de tout faire dans les règles se retrouve destabilisé et cela ne colle pas avec l’homme qu’on avait quitté il y a huit ans. Dommage, car j’avais tellement aimé le Paladini de « Chaos calme ».

Il y a toutefois des moments magiques, comme le moment où il évoque le cimetière ou devaient reposer ses parents et le dépôt des fleurs de printemps et des tubéreuses… Il y a une belle analyse du rapport père-fille, et un moment extrêmement émouvant quand père et fille se retrouvent. Et rien que pour cela, le livre est lumineux.

 

Extraits :

Or, quand l’objet de ses rêves est à vendre, tôt ou tard on l’achète, quitte à commettre de grosses erreurs.

Je ne crois pas l’aimer, voilà, du moins pas dans le sens traditionnel du mot, et je ne crois pas qu’elle m’aime. Simplement nous sommes liés, et pour l’heure ce lien nous préserve du risque de nous raccrocher par ennui, désarroi ou solitude à des personnes bien pires.

Les bracelets émettent des sons argentins au moindre geste : on dirait qu’ils sont accordés.

Sa beauté semble avoir été démontée et rangée, comme un manège quand la fête est finie.

l’amour des parents pour leurs enfants peut tomber dans l’exagération et la violence, sans pour autant prodiguer plus de bonheur quand tout va bien, tandis qu’il dispense une dose démesurée de douleur quand ça se gâte.

J’aurais pu lui épargner cette précision, mais après tout, quand on pose certaines questions, il est normal de s’attirer certaines réponses.

Un pas après l’autre, sans se précipiter. Comme on dit, c’est déjà un premier pas que décider des suivants.

Il y a une dizaine d’années et de kilos, elle devait être sexy

Une journée pareille me rappelle une expression de mon grand-père : si aujourd’hui était un poisson, je le rejetterais à la mer.  »

Convaincu comme je le suis – comme je l’étais – de bien le connaître parce qu’on était copains quand on était jeunes, je n’ai jamais exigé de rien savoir de plus sur lui que ce que je savais il y a trente ans. Et maintenant, vu la situation, le moment est peut-être arrivé de m’en mordre les doigts…

Quand il écrit, on dirait un moteur qui n’aurait qu’une vitesse : il est tout de suite en surrégime (les majuscules) et doit vite débrayer (points de suspension).

Pourtant, d’habitude, je m’en souviens. Mais d’habitude, j’ai mon téléphone portable, où je le sais à ma disposition, mémorisé dans le répertoire. Sans téléphone, plus personne. Ma mémoire est donc si émotive ?

Au fait : comment vous a-t-il donné mon numéro ? Pas par texto ni mail, j’espère…
– Non. Il a utilisé le dossier brouillons d’un compte Gmail.
– Parfait, c’est le bon système. C’est celui qu’utilisait Al Qaeda, figurez-vous. Impossible de rien intercepter.

Quel adjectif définirait ma vie d’alors ? Heureuse ? Insouciante ? Et celle d’aujourd’hui ? Liquéfiée ? Ou au contraire asséchée ? Je voudrais renverser la tête en arrière et sombrer dans le sommeil comme en ce temps-là, mais c’est impossible.

– Pour nous conduire jusqu’ici, vous avez utilisé vos pieds et vos mains, que je sache. Je n’ai pas l’impression que votre permis vous ait été d’une quelconque utilité.

Il s’était simplement laissé couler, se réfugiant dès le premier jour dans les bras consolateurs de la Grande Amie de tous les drogués : l’Affabulation.

Elle sent que quelque chose cloche, elle l’exprime, s’en informe, mais prend pour argent comptant la première réponse qu’on lui donne, bidon, mais rassurante.

Je connais l’engrenage, je l’ai déjà vu fonctionner : au départ on sous-estime le risque, on commence par enfreindre une loi, puis une autre, et une autre, et on se retrouve les mains sales, coupable, de l’autre côté.

Le fait qu’elle croie mes mensonges est grave, parce que cela me rend méprisable, et elle pathétique.

Je baisse la tête et réfléchis. Je me concentre. Je me recueille. Si quelqu’un me voyait, il penserait que je prie. Mais il n’y a personne. Personne ne me voit. Et je ne prie pas.
Je me rappelle.

Sois sincère avec toi-même : voilà ce que tu me dirais, rien de plus.

Cette femme ne s’est pas contentée de changer : elle a réussi à oublier comment elle était.

Et là – instant de grâce – il se passe quelque chose d’étonnant, de magique, style un Federer moment, quand Roger Federer est sur le court et que soudain la logique du tennis accepte un événement qui ne peut pas avoir lieu et qui a lieu pourtant, parce que la frappe de Federer le rend possible.

Plusieurs personnes attendent à la caisse, des hommes seuls qui distillent, à cette heure-ci à Milan, dans cette débauche d’aluminium anodisé, au milieu de ces sandwiches club invendus, une tristesse digne d’un polar de Scerbanenco.

Peu à peu nous avons commencé nos journées de deux façons différentes qui s’excluaient.

Il me faudrait une occupation qui me permette de rester cloîtré dans ma chambre sans céder à l’angoisse. Quelque chose qui m’absorbe, me happe, comme le sommeil ou même comme la cascade d’énormités qui se sont–
J’ai trouvé.
Je vais bouquiner.

Je n’avais jamais écouté personne avec autant d’attention, et je m’aperçois qu’écouter est mille fois plus fatigant que parler.

Je respire, l’étau dans ma poitrine s’est relâché, l’air pénètre mes poumons et surtout j’ai la sensation médicamenteuse de savoir une foule de choses. Pas de m’en souvenir, de les savoir, ce qui est différent parce qu’on peut abuser la mémoire, la manipuler ou la perdre, mais pas la conscience, du moment qu’on ne s’évanouit pas.

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