Veronesi, Sandro « Le Colibri » (2021)

Veronesi, Sandro « Le Colibri » (2021)

Auteur : Sandro Veronesi né le 1er avril 1959 à Prato, en Toscane (Italie), est un écrivain et scénariste italien.  Il obtient un diplôme d’architecture à l’Université de Florence, avant de se tourner vers l’écriture. Après une incursion précoce mais sans suite en poésie, il fait ses débuts en tant que romancier. Il a notamment obtenu le Prix Campiello et le Prix Viareggio pour La force du passé, (Plon) et le Prix Strega 2006 en Italie, puis le Prix Méditerranée et le Prix Femina 2008 en France pour Chaos calme (Grasset), adapté au cinéma avec Nanni Moretti.  Suivront Terrain vague (Grasset, 2010), XY (Grasset, 2013 – prix Flaiano), Un coup de téléphone du ciel (Grasset, 2014) et Terres rares la suite de Chaos calme (Grasset, 2016). En 2021, il publie Le colibri (Prix Stega 2020 – Prix du Livre étranger 2021 – France Inter /Le Point)

Grasset – En terres d’ancre – 13.01.2021– 378 pages ( traduction Dominique Vittoz)  / – Prix Stega 2020 – Prix du Livre étranger 2021 – France Inter /Le Point

Résumé : Marco Carrera est le « colibri ». Comme l’oiseau, il emploie toute son énergie à rester au même endroit, à tenir bon malgré les drames qui ponctuent son existence. Alors que s’ouvre le roman, toutes les certitudes de cet ophtalmologiste renommé, père et heureux en ménage, vont être balayées par une étrange visite au sujet de son épouse, et les événements de l’été 1981 ne cesseront d’être ravivés à sa mémoire.
Cadet d’une fratrie de trois, Marco vit une enfance heureuse à Florence. L’été, lui et sa famille s’établissent dans leur maison de Bolgheri, nichée au sein d’une pinède de la côte Toscane. Cette propriété, qui devait symboliser le bonheur familial, est pourtant le lieu où va se jouer le drame dont aucun membre de la famille Carrera ne se relèvera tout à fait. En cet été 1981, celui de ses vingt-deux ans, se cristallisent les craintes et les espoirs de Marco qui devra affronter la perte d’un être cher et connaîtra un amour si absolu qu’il ne le quittera plus.

Mon avis :

Deuxième fois que cet auteur reçoit le Prix Strega (équivalent du Goncourt mais qui peut être remis plusieurs fois). Et comme pour son précédent Prix Strega « Chaos Calme » j’ai eu le gros coup de cœur. Certes l’écriture peut surprendre, mais moi elle m’enchante, de même que la construction qui peut sembler compliquée. Mais moi j’ai tout aimé. J’ai adoré l’idée de raconter les événements les plus marquants de la vie du père en se référant aux numéros manquants de sa collection de livres, le mélange des écritures, entre les listes, la poésie, les lettres… Un livre qui n’est peut-être pas facile à lire mais qui est un énorme coup de cœur..

Pourquoi le colibri ? à cause de l’oiseau … et de son vol stationnaire… Marco est un personnage qui est hors du temps, qui résiste à toutes les tempêtes, fait en quelque sorte du surplace, qui s’accroche pour ne pas tomber…

Bienvenue en Toscane et plus particulièrement à Florence , entre les années septante et les années 2030 : des va-et-vient entre passé, présent, et futur ( le futur étant incarné par sa petite fille et l’émergence d’un nouveau monde) .
En faisant connaissance avec Marco Carrera, ophtalmologue de son état, marié à Marina et père de la jeune Adele ( et de sa demi-sœur Greta) , on pénètre dans l’intimité et dans les relations compliquées de toute la famille : les parents, Tizia et Probo, le frère Giacomo et le sœur Irene, la petite-fille Miraijin. Et il y a les personnes qui gravitent autour de lui : Luisa, son amie/amour de toujours, le psychanalyste Daniele Carradori , l’Innommable (celui qui porte la poisse) …
Nous allons découvrir le parcours de vie de sa famille et faire le bilan de toute sa vie : cela passe par l’Inventaire du mobilier de l’appartement, le débarrassage de l’appartement familial, la difficulté à répartir les souvenirs, les relations avec les psy, les réflexions sur l’amitié, l’amour, le deuil, le mensonge, le suicide, l’éloignement, le jeu…

Une vie difficile que celle de Marco, qui souhaite renouer des relations avec son frère, qui voit que le bonheur le fuit… mais je vous laisse découvrir. Tous les sentiments de la vie sont là et la vie est un combat… Que le destin est une donnée complexe ; les rapports humains aussi …
Et j’ai fini en larmes …

Extraits :

la psychanalyse était comme le tabac, il ne suffisait pas de ne pas fumer, il fallait aussi se protéger des fumeurs. Sauf que la seule façon connue de se protéger de la psychanalyse des autres était d’en suivre une soi-même, et sur ce point, il n’entendait pas céder.

D’habitude frères et sœurs se brouillent pour des raisons d’héritage à la mort des parents : ce serait beau si nous, au contraire, on se réconciliait autour de l’héritage. Et plus encore, ce serait typique de notre famille : de fonctionner à rebours.

Elle lui avait toujours menti, c’est vrai, et c’est mal, très mal, parce que le mensonge est un cancer qui se propage, s’enracine et se confond avec la substance même qu’il corrompt – mais lui, il avait fait pire. Il l’avait crue.

[…] dans de nombreuses langues, le mot n’existe même pas, mais il existe par exemple en hébreu, shakul, qui vient du verbe shakal qui signifie justement « perdre un enfant », et il existe en arabe, thaakil, avec la même racine, et en sanscrit, vilomah, littéralement « contraire à l’ordre naturel », et il existe dans de très nombreuses variantes des langues de la diaspora africaine, et dans un sens moins univoque il existe aussi en grec moderne, charokammenos, qui signifie « brûlé par la mort », désignant de façon générique une personne frappée par un deuil, mais on l’emploie presque exclusivement pour désigner un parent qui perd son enfant […]

— Nous travaillons sur les désirs, sur les plaisirs. Parce que même dans la situation la plus désastreuse, les désirs et les plaisirs survivent. C’est nous qui les censurons. Quand nous sommes frappés par le deuil, nous censurons notre libido, alors que c’est précisément elle qui peut nous sauver. Vous aimez jouer au foot ? Alors jouez au foot. Vous aimez marcher au bord de la mer, manger de la mayonnaise, vous vernir les ongles, attraper des lézards, chanter ? Faites-le. Ça ne résoudra pas un seul de vos problèmes, mais ça ne les aggravera pas non plus et pendant ce temps, votre corps se sera soustrait à la dictature de la douleur, qui voudrait le mortifier.

Voici ce qui se passa : de même qu’un drame brise souvent le pacte qui soude une famille, causant un naufrage inexorable, ce même drame peut produire l’effet contraire si la famille a déjà explosé et rapprocher les membres survivants, même si pendant des années ils se sont opposés, blessés, éloignés et ignorés de toutes leurs forces. C’était la théorie de la pierre jetée dans l’eau : dans une eau calme la pierre produit une turbulence, tandis qu’elle apporte le calme dans une eau agitée.

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