Barde-Cabuçon, Olivier «Petits meurtres au Caire» (2019)

Barde-Cabuçon, Olivier «Petits meurtres au Caire» (2019)

Auteur : Olivier Barde-Cabuçon vit à Lyon. Après un début en cabinet d’avocat, il exerce ses talents de négociateur dans un groupe international. Il écrit ses romans le week-end et pendant les vacances Féru de littérature, d’art et d’histoire, son goût pour les intrigues policières et son intérêt pour le XVIIIe siècle l’ont amené à créer le personnage du « commissaire aux morts étranges ». Il a également écrit d’autres romans comme « Les Adieux à l’Empire » (2016) ou « Le Détective de Freud » (2010)

article global sur la série du « commissaire aux morts étranges »

8ème enquête du Commissaire aux morts étranges

Paru chez Actes Sud /Actes noirs – 06.06.2019- 368 pages

Résumé : Coursés par un navire barbaresque alors qu’ils quittent Venise, le commissaire aux morts étranges et son père, le moine hérétique, font naufrage et sont séparés. Le moine se retrouve prisonnier de l’île de la mystérieuse Calypso, et le chevalier de Volnay est emmené comme esclave au Caire ! Il y est retenu dans l’étrange demeure d’une princesse mamelouke adepte des dieux anciens, et de ses trois suivantes orientales au comportement singulier. Tandis que son père fait tout pour se précipiter à son secours, on découvre dans la maison de la princesse les corps de deux amants, visiblement morts au milieu de leurs ébats. Meurtre ou suicide ?
Les deux hommes se voient confier l’enquête avec, pour enjeu, l’affranchissement de Volnay. Dans l’Égypte colorée du Coran et sensuelle des Mille et Une Nuits se présente à eux une affaire des plus retorses. Au Caire, où les rapports de force et d’autorité sont inversés, maîtres et esclaves ne sont pas forcément ce qu’ils paraissent…

À travers la rencontre, toujours actuelle, de l’Orient et de l’Occident, Olivier Barde-Cabuçon nous offre la plus inattendue et la plus dépaysante des enquêtes du commissaire aux morts étranges.

Mon avis : Tout d’abord je tiens à remercier l’auteur qui m’a envoyé personnellement son livre dédicacé à sa sortie. Il avait fait un tirage au sort parmi les personnes qui avaient fait une critique de son dernier livre et la magie d’Heka a été au rendez-vous :  j’ai été parmi les deux personnes qui ont eu le plaisir d’être désignées.  Certain-e-s vont se demander qui est cette Heka et que vient-elle faire dans l’histoire ? Mais c’est tout simplement la magie égyptienne. Et comme l’auteur a eu l’excellente idée de nous faire voguer en direction de l’Egypte pour cette nouvelle aventure, référence obligée.

La magie de l’Egypte et de l’Orient tout au long du récit . Je ne vais pas vous raconter l’histoire mais j’ai envie de me laisser porter par les sensations et par l’histoire, l’Egypte ancienne, les légendes, les mythes, Shéhérazade. L’Egypte est multiple et c’est magnifiquement bien rendu : on passe de l’Egypte ancienne et ses divinités à l’Egypte ottomane, en passant par le Livre des mille et une nuits et le Coran.

Dès les premières pages, les femmes exercent le pouvoir. C’est pour elles un juste retour des choses dans un monde dominé par les hommes. Suite à un naufrage, Volnay est fait prisonnier et réduit à l’esclavage ; sur l’île une femme recueille le moine: il la surnomme Calypso et monnaie ses informations en nuits d’amour (Shéhérazade négocie toujours une nuit de plus, mais Calypso le fait par paquet de dix : 7 ans pour Ulysse, 70 jours et nuits pour le Moine). [le 7 a un pouvoir immense dans la magie égyptienne – Les groupements par 7 touchent à la magie dans la conception égyptienne C’est la somme du 3 ( pluralité ) et du 4 (totalité) : l’espace en temps qu’infini] Au Caire, une princesse du nom de déesse, Nephtys, est la maitresse de maison de la demeure où Volnay est retenu en esclavage et où son père va le rejoindre.  Une maison qui ressemble fort à un palais (assez logique pour la maîtresse du château de la mythologie égyptienne) et comme il se doit la Nephtys du roman semble avoir des rapports complexes avec son frère ; son palais est décoré de fresques rappelant les motifs des tombeaux de l’Egypte ancienne et elle voue un culte et une passion aux anciens dieux et non à la religion en vigueur, l’Islam, ce qui n’est pas sans poser problèmes. Elle réside dans son palais avec 3 suivantes qui semblent s’entendre comme chien et chat – Nour la mamelouk, Shani la Syrienne et Yasmina, l’Egyptienne – et quelques domestiques. Lorsque deux corps sont découverts dans la maison, le moine est prié de mener l’enquête, assisté par son esclave de fils.

J’ai adoré me promener en compagnie du moine ou de son esclave de fils dans les souks du Caire, et comme j’ai une grande tendresse et admiration pour le Moine, j’ai été ravie de le voir mis en valeur dans cette aventure Certes, Volnay est présent, mais c’est Guillaume qui prend toute sa dimension (tellement mérité car le personnage est juste exceptionnel !). Je ne vais pas vous raconter l’enquête. Sachez juste que si vous aimez l’Egypte, vous devriez beaucoup aimer et que vous pouvez le lire même si vous n’avez pas lu les précédents de la série. On en apprend beaucoup sur l’histoire égyptienne de la période concernée, l’écriture est fluide, l’intrigue bien ficelée, les personnages attachants et j’aime de plus en plus la complicité père/fils.  J’étais désolée de quitter Venise mais me retrouver en Egypte fut un immense bonheur !

Et comme le dit si bien l’auteur « Chaque histoire a toujours une fin. Il faut bien que les enfants aillent se coucher ! »   et c’est bien dommage… car il va falloir attendre au moins 365 nuits pour retrouver le Moine, Volnay et.. l’écureuil ???

Extraits :

Mamelouk, cela signifie “celui qui appartient”. Si tu crois que l’on peut faire seul son chemin… On appartient toujours à quelqu’un dans la vie…

Seconde ville de l’Empire ottoman avec son quart de million d’habitants, derrière Istanbul centre du pouvoir, Le Caire, Al-Qâhira, “La Victorieuse”, se révélait grouillant et parcouru par une foule bigarrée en longues robes de cotonnades claires.

Son beau visage semblait à lui seul conter une histoire, d’humanité dans son regard, de soucis et de réflexions dans les rides de son front et autour de ses yeux mais sur les contours de ses lèvres se dessinaient les plis du propre de l’homme : le rire.

Dans l’Égypte ancienne, on affichait un nom public et on dissimulait son nom secret. Isis n’était qu’une déesse ordinaire du foyer lorsqu’elle réussit par subterfuge à soutirer au dieu Soleil Rê son nom secret, ce qui lui donna tout pouvoir sur lui. Pour cela, elle plaça sur son chemin un serpent venimeux qui le piqua. Empoisonné, Rê lui demanda de l’aide. Alors, elle lui conseilla de prononcer son nom secret afin qu’il triomphe du venin.

Le moine partait du principe qu’il valait mieux dire du bien de soi. Après, cela se répétait et, au bout d’un moment, plus personne ne savait d’où cela provenait.

Je me sens ébaudi à la vue de cette ville. J’en fus d’ailleurs tout abalobé quand je la vis pour la première fois !

Un gaude mihi !
— Pardon ? dit Volnay.
— Cela vient du latin médiéval, on pourrait traduire cette expression par : “réjouis-moi”.

Elle fit quelques pas vers l’étagère à livres, parcourant les titres du regard, caressant les reliures du bout de ses doigts longs et déliés.

Shéhérazade…
— En fait Chahrazade, soit littéralement “Fille de la cité”, précisa le moine.

les histoires de Shéhérazade finissent par parvenir aux oreilles. Des histoires de djinns au corps d’air et de feu, des femmes-poissons, des femmes-oiseaux, un paon doré marquant chaque heure, un coursier d’ébène qui s’élève dans le ciel, une lunette qui permet de voir jusqu’au bout de la terre… Un Orient mystérieux, insaisissable, seulement porté par la voix d’une femme…

on écoute Shéhérazade parce que la parole est féminine, rusée, manipulatrice alors que l’homme n’est que force brutale et bien souvent irréfléchie !

Les puissants de ce pays adoraient ces signes de soumission et Volnay s’était habitué à les distribuer à tout-va. Après tout, l’important n’était-il pas de rester libre dans sa tête ?

— L’invisibilité est toujours une condition nécessaire à la divinité.

Le Nil est la Voie lactée qui se reflète dans le ciel et les pyramides sont alignées sur les étoiles d’Orion et des Hyades.

En terre d’islam, on s’efforce souvent de créer un monde différent, de manière à rester dans le domaine licite car la religion interdit de copier la nature. Comme elle masque l’objet de tentation de l’homme sous un voile. Les Mille et Une Nuits s’ouvrent donc sur des mondes qui n’existent pas.

Aux mamelouks les fonctions gouvernementales administratives et militaires, aux ulémas les religieuses, judiciaires et culturelles. Puis la bourgeoisie de négociants, et derrière eux les gens de métier, les détaillants et les boutiquiers.

Et, comme je le dis souvent, il est aussi important de savoir retirer une lame d’un corps que de l’y faire pénétrer !

Le moine le considéra en essayant de se rappeler dans quelle histoire des Mille et Une Nuits il avait déjà rencontré Amir Abubakar. Un des rusés vieillards confronté à un éfrit, un djinn né du sang d’un meurtre, et qui réussissait à rouler ce dernier ?

Mais, comme Shéhérazade, le négociant ouvrait maintenant des parenthèses enchantées, l’entraînant dans d’autres récits, d’autres dimensions, pour mieux le perdre.

Mais pourquoi me parlez-vous des Mille et Une Nuits ?
— Parce qu’elles traduisent bien l’angoisse masculine générale par ce roi qui épouse une vierge chaque nuit et la tue à l’aube de peur qu’elle ne le trompe ensuite.

— Lisez-vous ?
— Rarement, en dehors de mes livres de comptes. Et j’ai bien dit de comptes et non de contes !

— L’ambition vous paraît-elle inconcevable chez une femme ? demanda le moine par curiosité.
— Pas inconcevable, déplacée !

Il existe plusieurs Égypte, reprit le moine sans se laisser démonter. Celle de l’islam d’aujourd’hui sous la domination ottomane et ses rapports de force complexes, celle de son passé mythologique et de son puissant empire, celle enfin qui constitue en quelque sorte la transition entre les deux : l’Égypte des Mille et Une Nuits. Oui ! L’Égypte est tout cela en même temps !

Vous avez laissé parler votre colère. Parfois, c’est beau la colère. Beau comme la vérité même si cela ne dure qu’un instant.

État abbasside: (voir article)   

Forum sur l’Egypte ancienne :   L’Egypte pharaonique et celle d’aujourd’hui   

Photo : Dans la tombe d’un artisan de Deir el-Médineh, du nom de Khabekhenet, la déesse Nephtys protège de ses ailes le défunt qui la regarde.

2 Replies to “Barde-Cabuçon, Olivier «Petits meurtres au Caire» (2019)”

  1. Toues mes félicitations Catherine pour avoir été gagnante du tirage au sort de cet auteur que tu aimes beaucoup ! C’est archi mérité , mabrook !
    J’aime moins que toi mais je le lirai ….quand il sortira en poche !
    Bon été à toi avec de merveilleuses découvertes de lecture !

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