Colombani, Laetitia «Les victorieuses» (05.2019)
Auteur : Laetitia Colombani est scénariste, réalisatrice et comédienne. Elle a écrit et réalisé deux longs- métrages, « À la folie… pas du tout » et « Mes stars et moi ». Elle écrit aussi pour le théâtre. Son premier roman, « La Tresse », paru en mai 2017 aux Éditions Grasset, connaît un incroyable succès. En cours de traduction dans le monde entier, il est également en phase d’adaptation cinématographique. Elle vient de publier « Les victorieuses » (05.2019)
Grasset, 15.05.2019 – 224 pages
Résumé : À 40 ans, Solène a
tout sacrifié à sa carrière d’avocate : ses rêves, ses amis, ses amours.
Un jour, elle craque, s’effondre. C’est la dépression, le burn-out.
Pour l’aider à reprendre pied, son médecin lui conseille de se tourner vers le
bénévolat. Peu convaincue, Solène tombe sur une petite annonce qui éveille sa curiosité :
« cherche volontaire pour mission d’écrivain public ». Elle décide
d’y répondre.
Envoyée dans un foyer pour femmes en difficulté, elle ne tarde pas à déchanter.
Dans le vaste Palais de la Femme, elle a du mal à trouver ses marques. Les résidentes
se montrent distantes, méfiantes, insaisissables. A la faveur d’une tasse de
thé, d’une lettre à la Reine Elizabeth ou d’un cours de zumba, Solène découvre
des personnalités singulières, venues du monde entier. Auprès de Binta, Sumeya,
Cynthia, Iris, Salma, Viviane, La Renée et les autres, elle va peu à peu gagner
sa place, et se révéler étonnamment vivante. Elle va aussi comprendre le sens
de sa vocation : l’écriture.
Près d’un siècle plus tôt, Blanche Peyron a un combat. Cheffe de l’Armée du Salut
en France, elle rêve d’offrir un toit à toutes les exclues de la société. Elle
se lance dans un projet fou : leur construire un Palais.
Le Palais de la Femme existe. Laetitia Colombani nous invite à y entrer pour
découvrir ses habitantes, leurs drames et leur misère, mais aussi leurs
passions, leur puissance de vie, leur générosité.
Mon avis : Même message que dans le précédent livre : « On y croit, on avance, tout est possible… » Après la tresse traditionnelle à trois mèches, L’autrice nous propose une tresse torsadée à deux brins. L’histoire de deux femmes bien différentes : Blanche Peyron au début du XXème siècle et Solène, un siècle plus tard. Le point commun : le Palais de la femme, inauguré le 23 juin 1926. Mais les deux femmes sont à l’opposé l’une de l’autre : Blanche est une battante, une féministe, une conquérante qui se bat et ne lâche rien. Solène est une femme en perdition, qui n’a jamais fait autre chose qu’obéir, refouler ses envies et ses sentiments et a piétiné ses rêves alors que Blanche les transformait en réalité.
Quand elle se retrouve embrigadée dans l’aventure du Palais de la femme ou elle se voit proposer une activité bénévole de d’écrivain public, une passeuse de mots, elle n’y va pas pour les autres mais pour elle. Elle le fait non pas de sa propre initiative mais poussée par le docteur. Pour s’occuper, sortir de sa spirale dépressionnaire et sans grande conviction. Sa motivation secrète ? quand elle était jeune elle aimait écrire et n’a jamais pu écrire comme elle l’aurait souhaité. Et comme elle maniait les mots joliment, pourquoi pas s’en servir maintenant. Rien ne la prépare à ce qu’elle va découvrir : Le drame de l’excision, les femmes battues, la trahison, la perte d’un emploi, l’enfance bafouée, les femmes que l’on sépare de leur enfant. Et pourtant, ces femmes qui vivent en foyer sont bien plus « debout » qu’elle en fin de compte.
C’est une rencontre de deux mondes et une révélation. Solène va ouvrir les yeux sur la misère quotidienne (qui n’a pas changé depuis un siècle) et à un siècle de distance, elle va suivre modestement la voie tracée par Blanche.
C’est un livre agréable, instructif, qui se laisse lire mais qui ne me laissera pas un souvenir impérissable. Claudio Capéo chante « Un homme debout », Laetitia Colombani écrit la suite au féminin…
Extraits :
Elle ignore à quoi ressemble une vie sans travail, sans horaires, sans réunions, sans obligations. Sans amarre, elle craint de dériver.
Sont-ils comme elle, fragiles et vacillants ? Ont-ils retrouvé le goût de la vie, l’insouciance, la désinvolture ? Ou ces sentiments ont-ils disparu à jamais ?
Vivre ensemble est une belle idée, mais sur le terrain, les choses sont parfois compliquées.
La vraie mixité, ce n’est pas de mélanger les cultures et les traditions, elles le sont naturellement ici. C’est de faire entrer la vie du dehors au Palais.
Cet endroit est la tour de Babel. S’y mêlent toutes les religions, toutes les langues, toutes les traditions.
Sur le bicycle, elle est saisie d’une sensation nouvelle, celle d’une infinie liberté. Elle est seule responsable de son mouvement, de sa vitesse, de sa direction. C’est ainsi qu’elle entend diriger sa vie – sans entrave, du vent dans les cheveux.
À deux, ils seront plus puissants. Seul, on ne va jamais si loin.
Pour être aimée, elle est devenue ce que l’on attendait qu’elle fût. Elle s’est conformée aux désirs des autres en reniant les siens. En chemin, elle s’est perdue.
Elle comprend maintenant le chagrin dans ses yeux, cette tristesse millénaire qu’elle porte en elle, comme on porte une croix le long d’un calvaire. Celle de ces millions de femmes mutilées, abîmées dans leur chair au cours des siècles et des siècles, au nom de traditions ancestrales inhumaines qui continuent à se perpétuer.
Elle ne s’installe pas à son ordinateur ; l’outil ne lui semble pas approprié. Il est des lettres qu’on écrit à la main. Et qu’on dicte avec le cœur.
Dans ces quelques grammes de papier, il y a le poids d’une vie. C’est lourd et léger à la fois.
On a cessé de considérer l’Armée comme une ridicule secte anglaise.
un mot, qui est à lui seul un monde entier : Maman.
Si elle n’a plus d’ordinateur, elle prendra une feuille de papier et un crayon. Ils seront ses seules armes, ses seuls alliés. Ils ne paient pas de mine mais ils sont puissants, elle le sait.
Dans la nature, aucune autre espèce ne se livre à ce jeu de massacre. La maltraitance des femelles n’existe pas. Pourquoi, chez les humains, ce besoin de détruire, de briser ?
La vieille France a connu la famine de nourriture, elle connaît maintenant la famine de logis. Des gens meurent de ne savoir où dormir.
On pourrait croire que les accidents de la vie ont rendu les femmes d’ici plus tolérantes, plus ouvertes à la différence. Il n’en est rien.
Se confronter à la réalité est une entreprise risquée. Il faut être à la hauteur de ses ambitions, et celles-ci sont toujours élevées.
Engager la discussion, c’est reconnaître l’autre dans son humanité. Difficile ensuite de le contourner, de continuer à l’ignorer.
Si les traits de leurs visages se sont affaissés, si leur démarche est un peu moins assurée que par le passé, l’amour est toujours là.
Et il va les conduire jusqu’au sommet.
On n’existe plus. On disparaît, on s’efface de leur histoire comme une silhouette qui s’évanouit sur une photo ancienne, comme un visage dont on ne parvient pas à retenir les traits.
Elle songe alors à cette phrase d’Yvan Audouard, tracée sur un mur, non loin d’ici, Heureux soient les fêlés car ils laisseront passer la lumière.
Image : le palais de la femme
2 Replies to “Colombani, Laetitia «Les victorieuses» (05.2019)”
Coucou,
Je viens de le lire et j’ai passé un bon moment. J’ai préféré La Tresse, mais le destin de Blanche, dans Les Victorieuses, m’a beaucoup touchée
Bel été
Pour ma part, c’est mon premier livre de Laetitia Colombani et je l’ai trouvé pas mal.
L’auteure tient là un super sujet avec le Palais de la femme et à mon avis, elle avait matière pour en faire un très bon roman, mais…
Son livre est bien construit entre les chapitres consacrés au présent et au passé. Elle a de beaux personnages, un style fluide, mais… Et bien, j’aurais bien aimé que l’auteure se donne une peu plus de peine et développe d’avantage ses personnages. De beaux portraits mais trop vite brossés ! Il y avait moyen de les étoffer sans pour autant tomber dans le larmoyant et l’apitoiement, et ses personnage n’en auraient été que plus attachants encore. J’avais parfois l’impression de lire un résumé de situations. Un peu plus de lenteur aurait été bienvenue.
Ceci dit, j’ai quand même passé un bon moment de lecture. L’histoire de Blanche Peyron et de l’Armée du Salut était intéressante et instructive. C’est vrai que l’histoire de Blanche était presque plus touchante que celle de Solène.
Après sur le fond, c’est un livre sur la précarité sociale, la détresse humaine, la condition de la femme, l’engagement, le bénévolat. Ça ne laisse pas indifférent et ça donne à réfléchir …
Soyons tous des colibris et le monde se portera peut-être mieux !!