Chalandon, Sorj «Une joie féroce» (RL2019)

Chalandon, Sorj «Une joie féroce» (RL2019)

Auteur : Né le 16 mai 1952 à Tunis, Sorj Chalandon est journaliste. Grand reporter, il a couvert de nombreux conflits et procès pour le quotidien « Libération » entre 1974 et 2007 et a obtenu le Prix Albert Londres en 1988 pour sa couverture du procès de Klaus Barbie. Après trente-quatre ans à Libération, Sorj Chalandon est depuis 2009 journaliste au Canard enchaîné. Ancien grand reporter, prix Albert-Londres (1988), il est aussi l’auteur de sept romans, tous parus chez Grasset. Le Petit Bonzi (2005), Une promesse (2006 – prix Médicis), Mon traître (2008 – Prix Joseph Kessel), La Légende de nos pères (2009), Retour à Killybegs (2011 – Grand Prix du roman de l’Académie française), Le Quatrième Mur (2013 – prix Goncourt des lycéens) et Profession du père (2015). – « Le Jour d’avant » (2017) – « Une joie féroce » (2019)

Grasset – 14.08.2019 – 315 pages – RL2019

Résumé : Jeanne est une femme formidable. Tout le monde l’aime, Jeanne. Libraire, on l’apprécie parce qu’elle écoute et parle peu. Elle a peur de déranger la vie. Pudique, transparente, elle fait du bien aux autres sans rien exiger d’eux. A l’image de Matt, son mari, dont elle connaît chaque regard sans qu’il ne se soit jamais préoccupé du sien. Jeanne bien élevée, polie par l’épreuve, qui demande pardon à tous et salue jusqu’aux réverbères.
Jeanne, qui a passé ses jours à s’excuser est brusquement frappée par le mal. « Il y a quelque chose », lui a dit le médecin en découvrant ses examens médicaux. Quelque chose. Pauvre mot. Stupéfaction. Et autour d’elle, tout se fane. Son mari, les autres, sa vie d’avant. En guerre contre ce qui la ronge, elle va prendre les armes. Jamais elle ne s’en serait crue capable. Elle était résignée, la voilà résistante.
Jeanne ne murmure plus, ne sourit plus en écoutant les autres. Elle se dresse, gueule, griffe, se bat comme une furie. Elle s’éprend de liberté. Elle découvre l’urgence de vivre, l’insoumission, l’illégalité, le bonheur interdit, une ivresse qu’elle ne soupçonnait pas. Avec Brigitte la flamboyante, Assia l’écorchée et l’étrange Mélody, trois amies d’affliction, Jeanne la rebelle va détruire le pavillon des cancéreux et élever une joyeuse citadelle.

Mon avis : Première lecture de la RL 2019. Quand j’ai commencé à lire le livre, j’ai eu très peur car le début est nettement trop « médicalisé » pour moi. Toutefois, comme j’aime beaucoup l’auteur, j’ai continué vaillamment malgré le sujet. ET IL FAUT CONTINUER! Ce livre tourne autour du cancer mais heureusement il n’y a pas que cela. C’est l’histoire de quatre femmes qui ont au départ un point commun : elles souffrent d’un cancer. Et il ne faut pas se voiler la face : ce ne sont ni Catherine de Sienne ni Saint Jude – Apôtre des causes désespérées – qui vont leur venir en aide.
C’est un livre sur la volonté de se battre, de redresser la tête et affronter l’adversité. C’est un gang de femmes en colère qui va livrer une guerre, se battre. Et l’adversité, ce n’est pas que le cancer. C’est aussi le regard des autres, c’est aussi le passé, les associations d’idées. Le crâne rasé peut-être, mais la tête haute ! On est au XXIème siècle et non après la IIème guerre mondiale… Affronter la maladie, c’est le besoin de se sentir aimée, épaulée, comprise, de pouvoir compter sur ses proches et c’est aussi la nécessité d’avoir un but dans la vie pour aller de l’avant. C’est important de ne pas être le vilain petit colvert qui sera toujours quantité négligeable face à la beauté du cygne. C’est également un livre sur l’importance de protéger ceux qui nous sont chers, même s’il faut mentir, cacher ou travestir la vérité pour ne pas faire souffrir.
Ces quatre femmes que rien ne relie si ce n’est la maladie ne se seraient vraisemblablement pas fréquentées si le hasard n’avait pas mis la chimiothérapie sur leur chemin. Et pourtant elles ont des points communs : une expérience amoureuse malheureuse, la défiance envers les hommes, le manque d’un enfant, la peur de la solitude. Elles vont se serrer les coudes,  agir pour ce qu’elles pensent être la bonne cause.. 
Et quelques réflexions pertinentes sur la lecture que j’ai bien aimées.
Un très beau livre, qui marque comme les précédents.

Extraits :

Le matin je n’avais aucune crainte. Au soir, je n’avais plus de doutes.

Le cancer ne s’attrape pas, c’est lui qui vous attrape. Dans le mot cancer, il y a de l’injustice. De la traîtrise. C’est le corps qui renonce. Qui cesse de vous défendre. C’est une écharde mortelle. Un visiteur du soir que l’on voit se faufiler en tremblant. Il dormait sur votre seuil, comme un vieux chat fourbu. S’est installé sur le canapé. Puis dans votre lit. Puis s’est senti chez lui partout dans la maison. C’est l’importun. Le nuisible. L’ennemi intérieur. Celui qu’on n’a pas vu venir.

La dernière fois que nous nous étions vus, c’était pour un problème de dos. Rien du tout. Une douleur de libraire. Le poids des nouveautés, le fardeau des invendus.

Il n’avait pas les mots, je n’avais pas le courage.

On aurait dû trinquer. À l’amour qui nous porte, à la guerre qui s’annonce, à nous. Trinquer à l’orage. Aux grands froids. Et au printemps prochain, à l’été, à toutes ces années qui trépignent d’être vécues.

Alors j’ai souri. À peine. Pour lui, pour moi, pour les jours à venir. Et j’ai senti une force immense éclairer mon visage.

Elle a comparé le cancer du sein au gros temps et la chimio au grand large.— Entrer dans la salle d’attente, c’est comme arriver au ponton pour l’embarquement.
Ce qui est à terre reste à terre. Ici, nous sommes loin des côtes, de tous et de tout. Elle m’a expliqué que deux marins, même s’ils se haïssaient, attendaient leur retour pour en découdre. Le mal de terre s’affronte seul, mais le mal de mer se combat à deux.

Je parlais, je parlais. Plus la gêne m’étrangle et plus les mots se pressent.

Dans ces presque ténèbres, serrées les unes contre les autres, se tenaient toutes les victimes des hommes. Les réprouvées. Les prostituées d’hier. Les femmes adultères. Les bagnardes. Les sorcières promises au bûcher. Ma terreur venait de les réveiller. Nous étions tête contre tête, peau nue contre peau nue, les mains des unes agrippées à la taille des autres. La cohorte des apeurées.

Des deuxièmes romans. Mes préférés. Ces pages inquiètes où tout est encore possible ou déjà terminé.

J’ai laissé la feuille blanche au milieu de la table, et le stylo dessus. Le silence de cette page était pire que tout.

Comme moi, elles avaient peur. J’en étais persuadée. Mais jamais elles ne le montraient. Elles ne vivaient pas, elles bouffaient les heures.

Je n’étais pas courageuse, je marchais droit devant. Et comme je le pouvais.

Il n’était plus rien. La veille ils avaient fait l’amour. À l’aube, l’amour était défait.

Elle l’a prise dans ses bras.
Comme on console, comme on protège, comme on épuise un immense chagrin.

Jamais je n’avais réagi comme ça. Je me sentais à la fois fragile et incassable, invincible et mortelle.

Nous étions sœurs de larmes et nous voilà sœurs d’armes

En deuil de culture générale, elle lisait les livres d’hier. Jamais de littérature moderne.

Je dansais entre la vie et la mort. Sans savoir de quel côté j’allais tomber.

Son héros n’était pas l’inspecteur Harry mais Columbo. À la violence, il avait toujours préféré la ruse.

Nous étions en novembre, un mois sans importance. Ni fête, ni joie, ni rien. Seulement les gris à venir. Mais ce jour était lumineux.

5 Replies to “Chalandon, Sorj «Une joie féroce» (RL2019)”

  1. Waouh ! Un commentaire que j’ai lu jusqu’au bout avant d’avoir lu le livre, c’est une première. J’ai été happée. Le sujet est dans mon corps alors forcément…
    « Crâne rasé, tête haute » tes mots sont si justes…On dit que si on ne le vit pas dans son corps, on ne peut comprendre. En te lisant j’en doute. MERCI

  2. Voici à mon tour mon ressenti sur ce beau roman :
    « Aborder ce sujet me stressait mais je faisais confiance à Sorj Chalandon pour le traiter avec sensibilité et intelligence et c’est tout à fait ça et plus même.
    Comme d’habitude, Sorj Chalandon nous émeut sans pathos . Il raconte le quotidien du combat contre le cancer, la chimio et ses effets terribles , il raconte aussi, le regard des autres qu’il faut défier, la lâcheté de ceux qui s’enfuient au lieu d’épauler . Mais en fait, il raconte surtout la force de la solidarité .
    Alors que l’ombre , la solitude et la douleur envahissent leur vie, l’aventure qui va lier ces 4 femmes est une ode à la sororité . C’est une belle histoire d’amitié.
    C’est aussi l’histoire d’une trahison mais dont on ne se vengera pas vraiment pour ne pas blesser celle qui en définitive en souffrirait le plus. Pour « ne pas ajouter de souffrance à la souffrance ».
    Certains diront que l’histoire du braquage n’est pas crédible mais quelle importance , le sujet n’est pas là mais dans ce que raconte cet acte insensé comme métaphore de la générosité jusqu’à la folie .
    J’ai aimé ce roman et il me faudrait recopier des pages entières pour vous dire les passages qui m’ont touchée . Un de ceux que je trouve le plus émouvant est aussi celui où le commissaire Le Gwenn évoque cet enfant qu’il fut et à qui, pour le protéger , on avait caché le calvaire d’une grande sœur , juste à côté de lui , jamais il n’avait eu le droit d’être triste et cela le mine.

    1. Tu as tout a fait raison Zoé. Le Gwenn, dont je n’ai pas parlé, est un personnage important du point de vue psychologique et humain.

  3. Alors là, désolée les filles mais j’ai trouvé ce livre comme un terrible gâchis de sa bibliographie.
    Mon petit avis qui j’espère ne froissera pas ceux qui l’ont aimé.
    La première partie m’a beaucoup plu, l’hommage aux femmes touchées par un cancer, leur combat, le parcours du combattant avec le détail des soins si réaliste, Sorj s’est bien documenté, ça transparaît dans son récit, ça sonne juste et vrai dans leur parcours de guérison, « tête rasée mais tête haute », leur courage à continuer la vie, leur précarité, leur révolte qui leur redonne une liberté qu’elles n’ont jamais prises.
    Mais pour le reste, qu’est-il arrivé à Sorj pour qu’il nous affuble d’un récit digne d’un mauvais Gavalda ?!?!
    Lui l’auteur profond des nuances rentre dans le tas avec ce gang des filles qui excepté avec leur sororité à saluer est un ersatz d’un gang des potiches où rien n’est crédible : leurs dialogues, leurs mimiques, une épreuve à lire. Le cliché de tous ces hommes qui les entourent, des gros lâches sans cœur, décrédibilise un peu plus le récit même si l’on sait qu’un divorce sur 3 mariages est entrepris après un cancer du sein.
    Bref par respect pour ce qu’il a écrit avant, je suspens mon humeur assassine. Alors si vous voulez découvrir Sorj, sautez le 4ème mur et boudez sa joie féroce.

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