Hosseini , Khaled «Ainsi résonne l’écho infini des montagnes» (2013)

Hosseini , Khaled «Ainsi résonne l’écho infini des montagnes» (2013)

Auteur:  Khaled Hosseini, est un médecin et écrivain américain d’origine afghane, né à Kaboul en 1965.
Cadet de cinq enfants, fils d’un diplomate et d’une professeur de farsi, il a passé son enfance en Iran, puis à Paris, déménageant au gré des affectations de son père fixées par le ministère afghan des Affaires étrangères.   En 1980, alors que l’Afghanistan est occupé par l’armée soviétique, les Hosseini obtiennent le droit d’asile aux États-Unis et s’installent à San José, en Californie.  Après une licence de biologie à l’Université de Santa Clara en 1988 et des études de médecine, Khaled Hosseini devient interne au Cedars-Sinai Medical Center de Los Angeles en 1996, où il exerce toujours.

Romans traduits en français : Les cerfs-volants de Kaboul (2005) – Mille soleils splendides (2007) – Ainsi résonne l’écho infini des montagnes (2013)

Belfond – 7.11.2013 – 484 pages/   10/18 – 2.10.2014 – 498 pages Valérie Bourgeois (Traducteur)

Résumé

En Afghanistan, des années 1950 à nos jours, mais aussi à Paris dans les années 1970, en Californie dans les années 2000 et sur une île grecque aujourd’hui. A Shadbagh, un minuscule village agricole, Abdullah, 10 ans, s’occupe de sa petite soeur Pari. Entre les deux enfants, le lien est indéfectible, ce qui leur permet d’oublier la mort de leur mère, les absences de leur père qui cherche désespérément du travail et ces jours où la faim les tenaille encore plus qu’à l’habitude.
Un jour, leur père décide de partir pour Kaboul où l’oncle Nabi lui aurait trouvé un emploi et d’emmener Pari avec lui. Abdullah sent qu’il se trame quelque chose. Et de fait, leur père, préférant « couper un doigt pour sauver la main », vend Pari à la riche famille pour laquelle travaille Nabi. Une séparation déchirante qui pèsera sur toute la vie d’Abdullah, même après son exil aux Etats-Unis. La petite Pari oublie et grandit à Paris où sa mère, Nila, trop libre pour la société afghane, s’est enfuie au milieu des années 50.
Nabi est resté auprès de Suleiman, le mari de Nila, devenu handicapé suite à un AVC. Des années plus tard, bien après la chute des Talibans, Abdullah n’a pas oublié Pari qui, elle, n’a jamais pu combler une sensation de vide, comme s’il lui manquait quelque chose d’indispensable, dont elle ignorait tout…

Mon avis : Troisième livre de cet auteur et troisième coup de cœur. Comme les fois précédentes j’ai ressenti de la tendresse pour les personnages et j’ai été happée par leurs destins. De plus j’ai bien évidemment apprécié le contexte historique et la manière de présenter la situation – la guerre, les talibans, la reconstruction du pays – du pays.
L’auteur nous entraine dans une fresque qui commence dans les années 50 et se poursuit jusqu’à nos jours. Nous suivons une famille pauvre qui habite à la campagne et une famille riche de Kaboul : les deux histoires s’imbriquent car, étranglé par la misère, le père pauvre devra se résoudre à vendre sa fillette, Pari,  – qui avait un lien très fort avec son frère ainé – dans l’espoir de lui assurer une vie meilleure. Le destin mènera Pari en Europe, à Paris ; elle a tout oublié de son passé mais elle sent bien qu’elle a des failles : elle grandira – vieillira – avec une sensation de manque et un besoin de comprendre son histoire.
Les événements qui se déroulent en Afghanistan bouleversent bien évidemment le pays. Ceux qui le peuvent s’expatrient et d’autres, les humanitaires, viennent s’installer. Dans le roman nous suivons ceux dont la vie a touché de près ou de loin ceux qui ont fait partie du passé de la fillette : son père, son oncle, les personnes à qui elle a été cédée, les habitants de son village natal , ceux de la maison dans laquelle elle a vécu quelques années et de sa rue à Kaboul.  Des vies qui s’entrelacent : on y croise les talibans, les exilés, ceux qui rentrent au pays, ceux qui veulent aider, ceux qui souhaitent simplement s’enrichir. Ceux qui partent, ceux qui restent, tous ont une vie difficile, d’une manière ou d’une autre.  Et un jour, le passé la rattrapera et lui permettra de comprendre…

Je vous invite à suivre ces personnages, à vous laisser envoûter par ce merveilleux conteur et je suis certaine que vous allez aimer.

Extraits :

Maidan Sabz était un lieu désolé qui ne ressemblait pas le moins du monde à l’image suggérée par son nom, le « champ vert ».

De même, il ne comprenait pas pourquoi un sentiment indéfinissable – un sentiment comme on peut en éprouver à la fin d’un rêve triste – le prenait par surprise tel un coup de vent inattendu et le submergeait chaque fois qu’il entendait ce tintement. Puis cela passait, comme le font toutes choses. Cela passait.

Il n’était pas plus épais qu’un roseau, mais une vie passée à trimer lui avait donné des muscles puissants, aussi serrés que les bandes de rotin autour des bras d’un fauteuil.

Ses yeux se posaient sur le même monde que sa femme, mais lui n’y voyait qu’indifférence. Un labeur sans fin. Son univers à lui était implacable. Rien de bon n’était gratuit. Même l’amour. Il fallait payer pour tout, et quand on était pauvre, la souffrance était votre seule monnaie d’échange.

Si j’avais été un animal à la naissance, je vous jure que j’aurais été une mule

L’arbre, qui dominait tout Shadbagh, était l’être vivant le plus ancien du village.

Il leur rapportait des fables qu’il tenait de sa grand-mère et qui les envoyaient vers des contrées peuplées de sultans, de djinns, de divs malveillants et de sages derviches. Parfois aussi, il inventait des histoires. Comme ça, sur-le-champ.

Ce type désagréable avait la manie répugnante de laisser pointer sa langue à la fin de chaque phrase, une langue avec laquelle il lançait des ouï-dire avec autant de désinvolture que des poignées d’engrais.

Leurs querelles se diluaient plus qu’elles ne s’achevaient, comme une goutte d’encre dans un bol d’eau, en laissant une teinture résiduelle persistante.

À présent, j’étais libre de faire ce que je voulais, mais cette liberté m’est apparue illusoire, car ce que je désirais le plus m’avait été retiré. Il faut se donner un but dans la vie et vivre en conséquence, dit-on. Sauf que, parfois, c’est seulement après avoir vécu que votre vie se révèle pourvue d’un but – et sans doute un but auquel vous n’aviez jamais pensé. Moi, j’avais atteint le mien et je me retrouvais désormais désœuvré et à la dérive.

Je sais maintenant que certaines personnes sont malheureuses comme d’autres sont amoureuses : secrètement, intensément, irrémédiablement.

Tout ce que je dis, c’est qu’il est grossier de placarder ses bonnes actions sur un tableau d’affichage. Il gagnerait à agir discrètement, dignement. Signer des chèques en public, ça ne correspond pas tout à fait à la définition de la gentillesse.

Un acte de violence insensé. Un meurtre insensé. Comme s’il était possible de commettre un meurtre sensé.

il tente de décrire les écoles détruites par les obus, les squatteurs dans les bâtiments sans toit, les mendiants, la boue, l’électricité capricieuse. Mais autant décrire une musique. Il ne peut donner vie à ces images.

Kaboul, c’est… c’est mille tragédies au kilomètre, lâche-t-il.
— Ç’a dû être le choc des cultures, pour toi.
— En effet.
Il ne leur avoue pas que c’est en rentrant chez lui qu’il a véritablement éprouvé ce choc.

EB : C’était un visionnaire, alors.
NW : Ou un idiot. J’ai toujours trouvé la frontière entre les deux dangereusement étroite.

Je ne voulais pas qu’elle devienne contre sa volonté et contre les lois de la nature une de ces femmes zélées et tristes qui s’acharnent à mener une vie de servitude silencieuse, toujours apeurées à l’idée de montrer, de dire ou de faire ce qu’il ne faut pas. Des femmes devant lesquelles certains s’extasient en Occident – ici en France, par exemple. Des femmes transformées en héroïnes à cause de leur dur quotidien, et admirées de loin par ceux qui ne supporteraient pas d’échanger une seule journée leur place contre la leur. Des femmes dont les désirs sont étouffés, qui doivent renoncer à leurs rêves, et qui pourtant – et c’est là le pire, monsieur Boustouler –, vous sourient et font semblant de ne se poser aucune question lorsque vous les rencontrez. Comme si leur sort était enviable. Mais si vous les regardez attentivement, vous voyez leur impuissance, leur désespoir, et combien tout cela dément leur prétendue bonne humeur. C’est assez pathétique, monsieur Boustouler. Je ne voulais pas de ça pour ma fille.

« Paris, comme la ville ? » et de la réplique familière de sa mère : « Non, sans le s. Ça veut dire “fée” en farsi. »

Ainsi qu’elle le lui avait expliqué, la permanence des vérités mathématiques, leur absence d’arbitraire et d’ambiguïté lui procuraient un certain réconfort. Tout comme la certitude que les réponses, même si elles étaient parfois élusives, pouvaient être trouvées. Qu’elles étaient là, qu’elles attendaient, séparées de vous par seulement quelques signes gribouillés à la craie.
— Tout le contraire de la vie, en somme, avait-il noté. Parce que là, en revanche, la réponse à une question est soit négative, soit très compliquée.

Ce qui avait toujours manqué, c’était la colle pour relier entre eux ces souvenirs morcelés et disparates, pour les transformer en une sorte de récit cohérent.

Qu’est-ce que j’étais pour toi, maman ? Qu’étais-je censée être au moment où je grandissais dans ton ventre – en supposant que j’aie bien été conçue là ? Une graine d’espoir ? Un billet acheté pour te sortir des ténèbres ? Un pansement sur le trou que tu portais dans ton cœur ? Si oui, je n’étais pas assez. Loin de là. Je n’apaisais pas ta douleur, je n’étais qu’une impasse de plus, un fardeau supplémentaire, et tu as dû le sentir assez vite. Tu as dû t’en rendre compte. Mais que voulais-tu y faire ? Tu ne pouvais pas me vendre chez un prêteur sur gages.

C’est ça la vieillesse, pense-t-elle en suivant Isabelle dans le magasin. Des moments cruels qui vous tombent dessus sans crier gare.

Quelque chose d’étonnant lui arrive. Quelque chose de véritablement remarquable. L’image qu’elle en a est celle d’une hache frappant le sol et d’un flot de pétrole noir jaillissant soudain à la surface. Voilà ce qui lui arrive. Libérés par le choc, des souvenirs remontent des profondeurs de sa mémoire.

Depuis toujours, j’ai l’impression que tout ce que je lui dis disparaît dans les airs sans avoir été entendu – à croire qu’il y a de l’électricité statique entre nous, une mauvaise connexion.

Les temps intéressants sont ceux qui s’accompagnent des plus graves bouleversements.

Pour elle, les larmes sont un signe de faiblesse, une manière voyante d’attirer l’attention, et elle refuse d’y céder. Elle ne peut se contraindre à consoler les autres. En grandissant, j’ai appris que ce n’était pas l’un de ses traits les plus positifs. La tristesse doit être privée, estime-t-elle. Pas étalée au grand jour.

J’ai appris que le monde ne voit pas ce qu’il y a en vous, qu’il se moque complètement des espoirs, des rêves, des chagrins qui reposent cachés sous votre peau et vos os. C’est aussi simple, aussi absurde et aussi cruel que ça.

Mais je puise du réconfort dans cette idée d’un schéma, d’un récit de ma vie qui prendrait forme comme une photo dans une chambre noire, d’une histoire qui émergerait lentement et affirmerait le bien que j’ai toujours voulu voir en moi. Cette histoire, elle me porte.

Entrer dans la maison de mon enfance a quelque chose d’un peu désorientant – cela me donne l’impression de lire la fin d’un roman commencé, puis abandonné il y a longtemps.

[…] mais les gens se trompent souvent complètement. Ils pensent vivre en fonction de ce qu’ils veulent. Mais ce qui les guide, en fait, c’est ce dont ils ont peur. Ce qu’ils ne veulent pas.

Mais le temps, c’est comme le charme. On n’en a jamais autant qu’on le croit, poursuit-elle en repoussant l’album pour boire son café.

L’entendre maintenant, dans ce salon, me donne l’impression que toutes les années qui nous ont séparées se replient rapidement l’une par-dessus l’autre, encore et encore. Comme si le temps se contractait, tel un accordéon, jusqu’à ce que, réduit à l’épaisseur d’une photo, d’une carte postale, il dépose à mes pieds le souvenir le plus éclatant de mon enfance afin qu’il s’assoie à côté de moi, qu’il me tienne la main et articule mon prénom. Notre prénom. Je perçois un petit clic, quelque chose qui se met en place. Quelque chose qui a été arraché il y a longtemps et qui se recolle.

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