Lefebvre, Jérémie «L’italienne qui ne voulait pas fêter Noël» (2019)

Lefebvre, Jérémie «L’italienne qui ne voulait pas fêter Noël» (2019)

Auteur : né à Rouen le 29 juin 1972, est un écrivain, comédien et auteur-compositeur français.

Buchet-Chastel « Qui vive » – 24.10.2019 -258 pages

Résumé : Paris, début décembre. Francesca, étudiante palermitaine en Erasmus, a invité à dîner son ami-amant Serguei, professeur à la Sorbonne. Cuisine sicilienne, discussion parisienne : l’appartenance, c’est dangereux ou nécessaire ? Faut-il cultiver ses racines? Francesca défend l’indépendance totale de l’individu. Amusé, Serguei lui rappelle qu’elle est italienne, donc forcément très attachée à sa famille…
C’est agaçant, les clichés. Ca exaspère Francesca. Elle va démontrer à ce petit Français arrogant qu’en Italie, aujourd’hui, il est possible de s’affranchir des traditions. Un roman sur l’attachement et la liberté, léger comme un gelato, corsé comme un ristretto.

C’est l’article intitulé « Noëls rebelles » de Florence Gaillard paru dans la Revue « aimer lire 13» de Payot qui m’a donné envie de lire le livre . Je vous le retranscris ici : « L’appétit surgit aussi de la lecture de Jérémie Lefebvre, auteur français protéiforme d’un roman bavard mais agile, délicieusement ironique et socio-philosophique. L’Italienne qui ne voulait pas fêter Noël peut servir de guide gastronomique des Noëls siciliens, mais c’est avant tout un récit sur les liens, sur la difficulté ou le droit d’y échapper. Ce Noël « buissonnier » et chaotique, au temps des migrants et de Salvini, est vécu et raconté par Francesca, jeune intellectuelle qui vit entre Paris et Palerme. L’auteur est drôle dans sa satire des « rituels » nécessaires à l’équilibre bobo, et il va finalement loin dans le détricotage des attaches, lesquelles échappent aux catégories analytiques savantes. La famille, c’est plus compliqué qu’on le croit. Surtout quand on a des parents siciliens ouverts, aimants et aimables. Comment résister à ce père, par exemple? « Depuis qu’il ne travaille plus, il apprend le bambara et va tous les jours servir des repas aux migrants en les suppliant de renoncer à rejoindre l’Allemagne et l’Angleterre, et il arbore en toutes circonstances un badge avec écrit « Étrangers, ne nous laissez pas seuls avec les Italiens! » agrafé sur son T-shirt. Par ailleurs, bien qu’athée, il ne rate jamais la messe du dimanche soi-disant « parce qu’il faut toujours savoir ce qui se trame chez l’adversaire. »

Mon avis : Un livre sur Noël, sur la famille. Et quand on parle de famille et qu’on rajoute italienne, on a tout de suite le cliché « famille italienne et tout ce qui va avec « qui s’imprime. C’est d’ailleurs une des caractéristiques du livre : utiliser sciemment les clichés sur les italiens, les français, les parisiens … Au centre du roman, les relations entre êtres humains, la question de l’appartenance, du libre-arbitre, de la liberté individuelle, de l’aptitude à faire plaisir, à rendre les gens gais ou à les rendre tristes… Sur la capacité à se réjouir, à faire plaisir et se faire plaisir.  Sur la valeur des choses et des sentiments aussi. Et sur la manipulation des êtres…

L’esprit d’une jeune italienne sera-t-il « pollué » par la rencontre de la mentalité parisienne ? Quel esprit prendra l’ascendant sur l’autre ? le français décrit ici comme critique, calculateur, destructeur, froid ? le sicilien qui est aimant, joyeux, festif, ouvert ?

La description des courses dans un hypermarché un 23 décembre est jubilatoire …  Un réveillon, un réveillon à l’italienne ? à la française ? à la « migrants » ? je vous laisse découvrir…Le tout dans un pays qui a vécu au rythme des excès de Ferreri et sa « grande bouffe », la Cicciolina, de Berlusconi, pour finir par le Mouvement 5 étoiles.

Un livre drôle certes, mais à l’humour grinçant. Nettement moins léger que la couverture (attention ne pas se fier à l’image qui illustre cette chronique) voudrait nous le faire croire. Après un début qui était loin de m’enchanter, une fois arrivés à Palerme, je me suis sentie bien dans cette famille. Et le roman est loin de se dérouler de manière convenue. Les rebondissements sont extrêmement bien distillés par l’auteur et les sentiments vont se confronter à l’intellectualisation des réactions tout au long du livre. Au final, un livre que j’ai beaucoup aimé. Et surtout : bon réveillon à tous !

Extraits :

Simplement, il me semble difficile d’être heureux avec peu si on n’en prend pas d’abord la décision – à moins d’être cette créature que je vois se lustrer le poil sur le rebord de ma fenêtre avec une nonchalance et une tranquillité proprement scandaleuses.

Les couples qui marchent, c’est souvent comme ça : on a beau se connaître, se parler tous les jours pendant des années, dans le fond chacun reste un mystère pour l’autre.

C’est mon côté aventurière. Je saute, et après on voit s’il y a de l’eau dans la piscine ou pas.

Pour moi, le centre de gravité de l’existence ne peut pas être lié à un environnement plutôt qu’à un autre, puisqu’il se trouve à l’intérieur de chacun ; autour, c’est un décor, ou un paysage.

l’harmonie, c’est quand l’être entre en résonance avec lui-même à travers l’autre.

[…] parce que je m’étais endormi dans les bras d’un type, et que je me réveillais dans les bras d’un stéréotype.

En tant que femme, quand on n’est pas tout à fait sûre de sa propre élégance, il n’est pas forcément désagréable de faire le constat de la vulgarité chez les autres.

Et moi, c’est mon côté italien, j’ai le goût du bonheur.

On serait tenté d’en conclure que sans mauvaise foi, il y aurait moins d’intérêt à se disputer ; on aurait tort : sans mauvaise foi, il n’y aurait strictement plus aucun intérêt à se disputer. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne se disputerait pas.

Le problème des gens totalement épanouis, c’est qu’au bout d’un moment, on s’emmerde.

Peut-être que je n’aurais pas dû venir… Peut-être que ça n’a plus de sens qu’on se voie… Je ne sais pas… Je crois que je te trouve triste… Oui… C’est ça, c’est le mot juste… Tu es devenue quelqu’un de triste… Ou alors, peut-être que… peut-être que tu as toujours été triste, peut-être que je m’en rends compte seulement maintenant… Quelqu’un de triste, qui rend les autres tristes…

Et maintenant, je retrouvais cette même impression que la personne qui vous parle ne s’adresse pas à vous, ou plutôt s’adresse à quelqu’un qui, objectivement, ne peut être que vous, mais que vous ne connaissez pas, ou pas encore ; quelqu’un que vous êtes peut-être devenu sans vous en apercevoir ;

Si je n’avais pas eu la force physique d’une octogénaire et la réactivité d’un sénateur, je lui aurais sauté au cou.

Tu le sais, toi ? D’ailleurs au fond, qu’est-ce qui compte le plus… Connaître quelqu’un, ou être là pour lui… Simplement là…

Les autres essaieront toujours de décider pour toi de ce qui est important, de ce qui est grave ou pas grave… de ce qui est sacré ou pas sacré… Noël… C’est une tradition, voilà… C’est sympa, les traditions, parce que… c’est des rendez-vous… des occasions. Mais ce qui compte, au fond, ce n’est pas de respecter les traditions ; ce qui compte, c’est d’être… comme toi et moi, tout de suite : au bon endroit au bon moment.

Les Anglais sont incroyables. Dans les jardins publics, tu vois des types qui annoncent la fin du monde debout sur un tabouret par moins cinq degrés, et les gens qui s’arrêtent, et qui les écoutent. Là-bas, personne ne se prend au sérieux, du coup tout le monde est pris au sérieux. Exactement le contraire d’ici.

« La vie ne nous appartient pas, elle nous traverse. 
J’aime cette phrase de Niccolò Ammaniti.

Le bonheur ne se raconte pas. Les plus grands moments de rigolade non plus.

Le Français est susceptible. Offensif et susceptible. Il aime déverser son fiel, injurier à tout-va, il excelle dans l’art de vous balancer vos quatre vérités, mais en retour, attention : il est sensible. Blessé, ses réactions peuvent être imprévisibles.

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