Coulon, Cécile «Le cœur du Pélican» (01/2015)
Auteur : Cécile Coulon, née le 13 juin 1990 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)1, est une romancière, nouvelliste et poétesse française. À l’âge de 16 ans, elle publie son premier roman intitulé Le Voleur de vie. Elle passe un baccalauréat option Cinéma. Après une hypokhâgne et une khâgne au lycée Blaise Pascal à Clermont-Ferrand, elle poursuit ses études en lettres modernes. En 2016, elle prépare sa thèse dont le sujet est Le Sport et le corps dans la littérature française contemporaine.
Ses romans : Le Voleur de vie (2007) – Méfiez-vous des enfants sages, (2010) – Le roi n’a pas sommeil (2012) – Le Rire du grand blessé (2013) – Le Cœur du Pélican (2015). À 26 ans, elle publie son huitième livre, le roman « Trois saisons d’orage », qui obtient le prix des libraires 2017. En 2019 elle sort « Une bête au paradis », en 2021 « Seule en sa demeure », en 2024 «La langue des choses cachées»
Poésie: Les Ronces (2018) – Noir Volcan (2020) – En l’absence du capitaine (2022)
Résumé : Anthime, un adolescent inséparable de sa sœur Helena, vient d’emménager dans une banlieue de province avec toute sa famille. Il craint de ne pas s’intégrer dans cette nouvelle communauté où personne ne l’attend.
Pourtant, il va vite trouver le moyen de se distinguer et de se faire connaître. Lors d’une kermesse, il s’illustre par sa rapidité au jeu de quilles. Il n’en faut pas plus à Brice, un entraîneur obèse et bonhomme, pour l’enrôler dans la course à pied. Anthime, surnommé le Pélican, excelle dans cette discipline et devient un exemple et un symbole pour toute la région. Sa voisine Joanna l’adule mais le coureur n’a d’yeux que pour Béatrice, une camarade de classe, belle et charnelle, et qui ne reste pas, elle non plus, insensible à son charme… La veille d’une course déterminante, ils échangent un baiser qui scellera leur relation devenue désormais impossible à cause de la chute d’Anthime, qui s’effondre aux portes de la gloire…
Vingt ans plus tard, alors qu’il a tout abandonné, désormais bedonnant, et qu’il vit un amour médiocre avec Joanna, Anthime reçoit un électrochoc. Il sort de sa torpeur lorsque ses anciens camarades de classe lui lancent le défi de traverser le pays en courant.
Le Pélican retrouvera-t-il en lui la force de redevenir un champion et combler, par la même occasion, son orgueil ?
Porté par une extrême émotion, Le Cœur du Pélican nous parle de la gloire et de sa fragilité, du sport et de sa souffrance. Il raconte le courage et la destinée à la fois banale et extraordinaire d’un homme qui réussit, connaît le succès, tombe et se relève. Cécile Coulon parvient formidablement à incarner ses personnages aux prises avec leurs désirs et aveuglés par les non-dits.
Mon avis : J’ai entendu dire que la romancière (de 24 ans !) écrit une thèse sur la littérature et le sport et qu’elle-même est une coureuse de marathon. Cela explique sans doute sa connaissance du sujet. Mais quelle claque que ce livre ! Un vrai coup de poing dans ma petite gueule. Je le recommande. J’avais été impressionnée de l’entendre en interview, le livre montre à quelle point cette romancière mérite d’être lue.
Ce roman pourrait être qualifié d’apprentissage. C’est l’Ascension et la chute d’un sportif. Anthime va reprendre sa vie là où il a abandonné, il y a vingt ans. Il va décider de se battre et de montrer au monde qu’il vaut plus que ce que les gens imaginent. Il va tout reprendre, après son long déclin progressif, pour aller au bout de lui-même, s’extraire de la médiocrité dans laquelle il évolue. Ce livre est aussi le rapport entre l’être humain et le sport, entre le sportif et les médias/le public. Au départ Anthime ne supportait pas sa vie, le mode bien propret dans lequel il avait été élevé, dans lequel il évoluait. La course à pied lui avait offert le moyen de s’extraire de ce milieu, de ce monde qu’il déteste. Et soudain c’est la chute, ce roman traite de la fêlure dans l’entre humain, de la violence qui l’habite. Nous avons tous de la violence en nous, elle est toujours présente mais chez lui, c’est le moteur qui le fait avancer. Elle est à la fois réaction contre le monde extérieur mais aussi réaction à ce qu’il s’impose au fond de lui. Ce livre traite aussi de ceux qui vivent par procuration, en fonction des autres, par et pour le regard des autres. Anthime vit par le regard des autres, pour ne pas les décevoir, mais il finit par leur en vouloir. Dans le sillage d’une idole (que ce soit un sportif, un acteur, un chanteur) il y a ceux qui évoluent (les manageurs, les entraineurs) qui ont envie de réussir par procuration, eux qui n’ont pas réussi tout seuls… Et il y a les admirateurs ou les anciens aadmirateurs, qui croient en lui, qui l’aiment et qui sont demandeurs à chaque instant. Et qui critiquent ce qu’il est devenu, se moquent de lui et de ses échecs… alors que lui ressent comme un sacrifice tout ce qu’il a fait pour eux.
En plus du personnage d’Anthime et de son entraineur, les trois femmes de sa vie. Sa sœur, son grand amour et sa femme. Toutes trois ont en regard différent sur lui mais toutes trois ont en commun de l’aimer en s’oubliant elles-mêmes.
C’est le roman de quelqu’un qui se retourne sur sa vie, sur son passé. C’est le reflux d’une vie gâchée, d’un passé qui lui montre son échec. Il n’a pas fait ce qu’il voulait, il n’a pas vécu l’amour qu’il voulait, il s’est laissé porter par la volonté de celle qui est devenue sa femme, il s’est laissé imposer ce qu’il ne voulait pas. Anthime est tout sauf une personne extraordinaire ; c’est un être qui pourrait exister dans notre entourage. Dans sa vie, les sentiments amour et admiration se sont transformés en méchanceté et haine ; de celui qui déçoit alors qu’il ne nous a jamais rien promis ; de ne pas être capable de donner ce que les autres attendent de vous. Si on n’arrive pas à s’accepter et à accepter l’autre pour ce qu’il est, c’est la rancœur et la violence assurées.
Il l’exprime en ces termes : « J’étais la beauté, l’incarnation d’un rêve dont vous n’avez jamais réussi à vous contenter. Alors, ne venez pas me cracher dessus simplement parce que j’ai quitté le masque, ne venez pas me dire que je vous déçois, parce qu’entre nous, vous m’avez déçu si tôt, si brutalement, que vous mériteriez de vous faire arracher les chicots à la petite cuillère. Comment osez-vous me dire que je me suis trompé ? Je n’ai pas choisi mon camp, je suis né dedans. J’ai marché à l’avant du troupeau pendant dix ans, je vous ai donné mon corps, ma vie, ma famille, ma nana. Je vous ai tout donné pour meubler vos discussions le dimanche, faire rêver vos enfants, vos enfants du même âge que vous avez protégés du monde extérieur en les collant devant la télévision. » Il s’adresse de fait au lecteur, au spectateur qu’il ne veut pas décevoir ; C’est de fait le demi-dieu idole qui parle, qui en veut à ceux qui l’on admiré. Comment et pourquoi en arrive-t-on là ? A tout sacrifier …et comment peut-on se remettre au moment où on quitte la une des médias, que l’on est plus la cible de l’amour des gens, qu’on ne fait plus rêver. Une fois au sommet, comment accepte-on de redescendre ? Car la performance est courte en regard de la suite…
Je ne vous raconte pas la fin…
Extraits :
Une chose est sûre, il ne suffit pas de savoir que quelqu’un ne reviendra pas pour cesser de l’attendre.
Je l’aime, parce que je ne sais pas ce qu’il est devenu. Personne ne sait s’il est mort, s’il est riche, s’il est heureux. Son absence remplit nos existences de murmures incontrôlés, de gestes interdits, d’images atrocement glorieuses.
C’est dangereux le succès, ça vous mange la famille, la mémoire.
Les êtres humains, prisonniers de leurs mystères intérieurs, étaient déjà trop pleins de mensonges, d’idées, de fantasmes pour qu’elle pût raboter, réduire, poncer les parois de leur caractère, arrondir les angles de leur chair, effacer les traces des erreurs commises comme on prépare un appartement vide à la venue de ses nouveaux locataires.
leurs familles faisaient partie des seigneurs du village, insupportables fins de race accrochées à leurs terres telles des montagnes humaines qu’aucune érosion ne peut altérer.
…. accoudés au rebord de leur mariage à la manière d’un ivrogne écroulé sur ce qu’il reste du comptoir, à l’heure de fermeture.
Son corps bruissait, arbre aux branches de peau et de sang. Les blessures du passé apparaissaient partout, des ramures couleur de viande fraîche, prête à être découpée, mais impossible à cuisiner.
Il ne cherchait pas à noyer son chagrin dans l’alcool ; il lui apprenait simplement à nager
Mettez-vous en pièces pour les autres, défoncez-vous, faites craquer les squelettes, vendez-leur du rêve. Voilà ce que ça voulait dire : arrachez-vous la peau pour nourrir les espoirs des autres. Oiseau de malheur. Pour s’arracher le cœur, encore faut-il en avoir un.
Elle ne vivait pas sa vie ; elle vivait leur vie, celle qu’elle imaginait avec lui.
les gens ont une fâcheuse tendance à confondre silence et humilité
Gagner. Que voulait-il faire de sa vie ? Il voulait gagner. Encore et encore
sa haine était son trésor, son moteur, essence inépuisable qui nourrissait sa foulée, son cœur, soulageait ses muscles, écrasait la fatigue.
Je n’ai rien vu venir. Ça m’est tombé sur le coin de la figure ; le succès. Newton avait sa pomme. Moi j’ai la vitesse.
Ce n’est pas parce que vous vivez avec quelqu’un que vous connaissez cette personne mieux que quiconque. C’est l’inverse : plus vous êtes proche, moins vous portez d’attention à certains gestes. Englués dans l’amour, les mots, les sourires, les injures n’ont pas la même valeur. L’intimité vous empêche de prendre du recul. Vous ne voyez que de face, pas d’ombre, pas de contraste, pas de secret planqué sous les piles de draps propres. Vous ne faites pas attention à ces choses-là, puisque vous êtes sûre, tellement sûre de vous.
Plus ils l’acclamaient, plus il sentait le poids de leurs mornes existences peser sur ses épaules. En bon pélican, il s’était arraché le cœur et nourrissait ses admirateurs avec sa propre chair.
Il pouvait remporter le bronze, sans aucun doute. Mais le bronze n’était pas l’or, le bronze n’était pas gagner. Le bronze était un foutu lot de consolation, et il refusait qu’on le console, qu’on lui passe une médaille en chocolat autour du cou.
Pour monter cogner aux portes du succès, il n’y a pas d’ascenseur, il faut prendre l’escalier, et les marches sont branlantes.
elles brûlaient du même feu, portaient le même poids, celui des femmes qui savent à l’avance ce qui arrivera, et qui attendent sagement de voir le monde s’écrouler pour en reconstruire un à leur mesure.
Qu’il était loin le temps où son cœur battait si fort qu’il semblait exploser dans sa poitrine. De cette époque, il restait des souvenirs, des souvenirs gardés dans un tiroir qu’on évite d’ouvrir.
Une fille moyenne pour un type moyen. Elle occupait le vide sentimental de son cœur comme un locataire aimable.
Il ne faut rien lâcher, mais s’il n’y a aucune main à tenir, ça me paraît compliqué.
Dans sa bouche, dans sa voix, dans ses yeux qu’elle ne voyait pas puisqu’il lui tournait le dos, c’était quelque chose d’indécent, il disait ma sœur comme on dit mon amour à sa maîtresse, ma chérie à sa femme. Il disait ma sœur pour dire je t’aime.
…les problèmes arrivaient dans sa vie tels des malheurs bienvenus qui la poussaient en avant au lieu de l’immobiliser.
Derrière eux, la surface de l’eau, encore frémissante, ressemblait à un grand drap gris, aux ondulations sensuelles, la poitrine d’une géante semblait reposer sous les vagues
Un fusil à la place des yeux. Un fusil chargé à l’infini. Il ne savait pas avec quoi.
L’orage balafrait leurs vingt ans de vie commune. Mais la tempête, la vraie, était sur le point de tout emporter sur son passage.
Il ne faisait pas le poids. Personne ne peut rien faire devant la douleur d’une femme bafouée. Le pire, c’est qu’elle ne souffre pas de ce qu’elle sait, mais de ce qu’elle imagine.
Ils ne se regardaient plus, ils ne se voyaient plus. Chacun fouillait en lui-même, à la recherche d’une lame plus aiguisée pour écorcher l’adversaire.
Nous avons trois familles.
Celle que l’on rêve d’avoir, celle que l’on croit avoir et celle que l’on a vraiment. Déjà qu’avec une seule, rien n’est simple, alors toutes en même temps, pas étonnant que ça craque.
Les enfants n’aiment pas se sentir supérieurs à leurs parents. Aucun homme ne mérite la pitié de son gosse. Plutôt crever.
Le monde ne comprendra jamais que les grands hommes ne sont pas ceux qui gagnent, mais ceux qui n’abandonnent pas quand ils ont perdu
Le passé n’était plus qu’une diligence aux chevaux fatigués qui le ramenait sans cesse au même point de départ.
il désirait échapper à sa bienveillance, à sa ponctualité, à son dévouement. Il l’aimait, comme on aime une photo d’un passé bienheureux.
Il s’enfonçait dans sa haine de lui-même, chaque jour il rajoutait une pierre à l’édifice, conscient qu’il avait échoué, que ses jambes n’étaient pas assez musclées pour le porter au-delà de ce quartier sans âme ni caractère.
il est des rêves impossibles à rattraper, même au pas de course.
Anthime s’écarta de sa propre enveloppe et plongea en lui-même comme un scaphandrier s’enfonce dans les tréfonds de l’océan.
6 Replies to “Coulon, Cécile «Le cœur du Pélican» (01/2015)”
Ta phrase « un vrai coup de poing dans ma petite gueule » m’a fait basculée dans ce choix avec une avide gourmandise et je l’ai attaqué de suite.
Et voilou je l’ai lu !!
Mon avis :
L’histoire est celle d’un adolescent grandissant dans les espoirs des autres, dans leurs ambitions qui leur ont fait ne pas se soucier de l’être qu’il est mais qui se préoccupent plus de celui qu’il serait.
Anthime a grandi dans les yeux des autres qui le portaient aux nus comme un dieu vivant qu’il n’était pas. Il s’est laissé engloutir par ces bouches avides d’une vie qu’ils ne pouvaient vivre qu’à travers lui pour se faire frissonner en ayant l’illusion que résonnent en eux un peu de cette vie extraordinaire qu’ils vivaient par procuration.
Mais Anthime lui le sait, aux tréfonds de lui-même qu’il court après l’image que les autres se font de lui, une image de lui qu’il n’est pas et qui courra après toute sa vie jusqu’à en perdre la raison.
C’est un livre fort sur le thème de l’homme qui vit à travers le regard des autres mais qui se fait rattraper par sa propre réalité.
L’écriture est puissante, étonnamment mûre pour cette écrivain de 24 ans, c’est fluide, rythmé mais il reste un bémol pour moi sur les 100 premières pages où j’ai eu l’impression que l’auteur était hésitante à prendre ses marques ou du moins à mon goût pas assez vite mais les 100 dernières m’ont fait oublié ce sentiment de légère confusion de ne pas savoir où l’auteur voulait nous mener.
Au final elle nous emmène là où il faut, l’émotion est soutenue, pari gagné sans pour autant m’avoir fait chavirer le cœur.
Je le conseille tout de même, une auteur à suivre, étant et en devenir…
Merci Cath de m’avoir donné envie de le lire 😉
L’histoire est celle d’un adolescent grandissant dans les espoirs des autres, dans leurs ambitions qui leur ont fait ne pas se soucier de l’être qu’il est mais qui se préoccupent plus de celui qu’il serait.
Anthime a grandi dans les yeux des autres qui le portaient aux nus comme un dieu vivant qu’il n’était pas. Il s’est laissé engloutir par ces bouches avides d’une vie qu’ils ne pouvaient vivre qu’à travers lui pour se faire frissonner en ayant l’illusion que résonnent en eux un peu de cette vie extraordinaire qu’ils vivaient par procuration.
Mais Anthime lui le sait, aux tréfonds de lui-même qu’il court après l’image que les autres se font de lui, une image de lui qu’il n’est pas et qui courra après toute sa vie jusqu’à en perdre la raison.
C’est un livre fort sur le thème de l’homme qui vit à travers le regard des autres mais qui se fait rattraper par sa propre réalité.
L’écriture est puissante, étonnamment mûre pour cette écrivain de 24 ans, c’est fluide, rythmé mais il reste un bémol pour moi sur les 100 premières pages où j’ai eu l’impression que l’auteur était hésitante à prendre ses marques ou du moins à mon goût pas assez vite mais les 100 dernières m’ont fait oublié ce sentiment de légère confusion de ne pas savoir où l’auteur voulait nous mener.
Au final elle nous emmène là où il faut, l’émotion est soutenue, pari gagné sans pour autant m’avoir fait chavirer le cœur.
Je le conseille tout de même, une auteur à suivre, étant et en devenir…
Merci Cath de m’avoir donné envie de le lire 😉
J’ai un peu cafouillé et du coup mon avis est en double, hihi…
C’est un roman très réussi, avec une vraie ambiance. Le rire du grand blessé reste mon préféré de l’auteure.
Pour ma part, j’ai été un peu interpellée par la crédibilité qui s’insinue plus ou moins dès le départ. Comment Anthime, surnommé le Pélican, peut-il être aussi célèbre avant même d’avoir accompli de véritables performances ???
Sinon très bonne lecture.
Cette histoire ne m’a pas laissée indifférente.