Nohant, Gaëlle «La femme révélée» (RLH2020)

Nohant, Gaëlle «La femme révélée» (RLH2020)

 

Auteur : Née à Paris en 1973, Gaëlle Nohant vit aujourd’hui à Lyon. Légende d’un dormeur éveillé (prix des Libraires 2018) est son troisième roman après L’Ancre des rêves (prix Encre Marine, 2007) et La Part des flammes (prix France Bleu/Page des libraires, 2015 et prix du Livre de Poche, 2016) Elle a également publié L’Homme dérouté (nouvelles) en  2010. En 2020 elle publie « La femme révélée » et en 2023 « Le bureau de l’éclaircissement des destins »  .

Éditions Grasset – 02.01.2020 – 381 pages,

Résumé : Paris, 1950. Eliza Donneley se cache sous un nom d’emprunt dans un hôtel miteux. Elle a abandonné brusquement une vie dorée à Chicago, un mari fortuné et un enfant chéri, emportant quelques affaires, son Rolleiflex et la photo de son petit garçon. Pourquoi la jeune femme s’est-elle enfuie au risque de tout perdre ?
Vite dépouillée de toutes ressources, désorientée, seule dans une ville inconnue, Eliza devenue Violet doit se réinventer. Au fil des rencontres, elle trouve un job de garde d’enfants et part à la découverte d’un Paris où la grisaille de l’après-guerre s’éclaire d’un désir de vie retrouvé, au son des clubs de jazz de Saint-Germain-des-Prés. A travers l’objectif de son appareil photo, Violet apprivoise la ville, saisit l’humanité des humbles et des invisibles.
Dans cette vie précaire et encombrée de secrets, elle se découvre des forces et une liberté nouvelle, tisse des amitiés profondes et se laisse traverser par le souffle d’une passion amoureuse.
Mais comment vivre traquée, déchirée par le manque de son fils et la douleur de l’exil ? Comment apaiser les terreurs qui l’ont poussée à fuir son pays et les siens ? Et comment, surtout, se pardonner d’être partie ?

Vingt ans plus tard, au printemps 1968, Violet peut enfin revenir à Chicago. Elle retrouve une ville chauffée à blanc par le mouvement des droits civiques, l’opposition à la guerre du Vietnam et l’assassinat de Martin Luther King. Partie à la recherche de son fils, elle est entraînée au plus près des émeutes qui font rage au cœur de la cité. Une fois encore, Violet prend tous les risques et suit avec détermination son destin, quels que soient les sacrifices.
Au fil du chemin, elle aura gagné sa liberté, le droit de vivre en artiste et en accord avec ses convictions. Et, peut-être, la possibilité d’apaiser les blessures du passé. Aucun lecteur ne pourra oublier Violet-Eliza, héroïne en route vers la modernité, vibrant à chaque page d’une troublante intensité, habitée par la grâce d’une écriture ample et sensible.

Mon avis :
C’est le récit d’une petite fille qui a découvert le ghetto de Chicago avec son grand-père et qui va devenir au fil des ans une femme forte et indépendante. C’est l’histoire d’une blanche qui est outrée de voir de quelle manière les Noirs américains sont traités. Quand elle se rendra compte que sa vie actuelle, qu’elle a choisi pour la protection et le confort financier est en opposition complète avec les valeurs qui lui ont été inculquées pendant son enfance, elle va modifier son comportement et se retrouver vite en grand danger. Eliza/Violet va devoir fuir pour rester fidèle à elle-même, en abandonnant tout derrière elle (à part son appareil photo) pour ne pas renier son âme et sauver sa vie et le seul moyen de survivre sera l’exil. Le début peut sembler un peu léger : une femme qui fuit et se fait dérober les bijoux qu’elle avait emporté pour assurer son installation à l’étranger. Mais après ce début un peu romance, tout bascule. Au centre du roman deux villes : Chicago et Paris.  Chicago en 1950 et vingt ans après : le ghetto noir, mais aussi les soulèvements qui vont avoir lieu à la fin des années 60 : Le Mobe, le Black Power, les clivages raciaux, les Black Panthers, Nixon, la Guerre du Vietnam, les assassinats de Martin Luther King et Robert Kennedy. Un livre sur la liberté, sur la presse, sur les politiques, sur les mobilisations contre le racisme, contre la guerre du Vietnam. Un livre aussi sur la violence faite aux femmes, tant à Chicago sur Eliza qu’à Paris sur Rosa. Un livre sur les marginalisés, les exilés, les personnes ravagées par la vie qu’elle va mettre en lumière et défendre tout au long de sa vie, tant à Chicago qu’à Paris.
Le tout sur fond de deux belles histoires d’amour, sur le poids du passé, sur le rapport mère-fils, sur le temps figé et suspendu dans l’attente d’un amour du passé, sur l’importance de garder la tête haute et avancer. C’est aussi un livre sur le dur choix d’une femme d’abandonner son fils pour le préserver mais avec toujours un but ultime : le retrouver.
Un magnifique témoignage et hommage aussi à la photographie et au travail des photographes de terrain. A travers l’objectif elle m’a donné envie de découvrir/redécouvrir l’œuvre de Doisneau, Lewis Hine, Alfred Stieglitz, Willy Ronis, Russel Lee. Une belle immersion aussi dans le monde des caves abritant les joueurs de jazz et de blues…
J’ai énormément aimé cette description de la fonction « bouclier » de l’appareil photo qui permet de mettre une distance entre la personne qui prend la photo et le sujet. Cela permet de se soustraire à l’émotion pour se recentrer sur le coté technique et cadrage mais au final, lors de la révélation sur du papier photographique, le terme technique « révélation » porte bien son nom. En effet il révèle la sensibilité et le regard de celui/celle qui prend le cliché et révèle au monde la réalité qui est vue par l’œil qui prend la photo ; de fait elle peut aussi bien montrer une scène ou influencer.
Un coup de coeur sur fond historique.

Extraits :

Comme si usurper son identité l’avait chargée d’une responsabilité à son égard, d’un mystérieux devoir qu’il lui incombe d’élucider.

Elle a forcé sur le maquillage, comme on repeindrait un immeuble en train de s’effondrer.

Ici, le passé se fait obsédant. Les plaques au-dessus des porches rappellent que tel poète ou tel homme politique a vécu là, les statues veillent sur les squares et les carrefours. Je me demande si tous ces bras de pierre ne finissent pas par vous ligoter. À Chicago c’est l’inverse, on ne courtise que le futur. Comme s’il fallait oublier le sang versé pour bâtir la ville, ce sang venu de tous les coins du monde se mêler à celui des abattoirs. On se hâte de détruire pour reconstruire de nouveaux symboles de fierté et de puissance, toujours plus hauts, plus arrogants. Le passé est cette boue qui s’accroche à nos chaussures, cet accent qui trahit notre origine. Ce sont ces souvenirs qui nous déchirent.

Une foi humaniste dont les apôtres avaient pour noms Voltaire, Rousseau, Victor Hugo ou Émile Zola.

Il ne faut pas trop s’attacher à ces objets qui vous tirent vers la tombe, vous murmurant que votre vie a perdu sa boussole.

Comme si je n’en finissais pas de tomber d’une falaise et qu’autour de moi le paysage s’estompait, me laissant pour seul repère cette chute interminable.

Comment lui faire comprendre que la beauté dépasse l’esthétique ? Pour moi, elle est l’émotion qui naît d’une parcelle de vérité éphémère. Elle n’a pas d’âge, de couleur de peau, de classe sociale. Elle peut être marquée, tatouée, indéchiffrable.

C’est une guerrière qui protège ses secrets. Ses faux cils, son rouge à lèvres et son fard sont des peintures de guerre.

Derrière l’objectif, cette nature morte recèle l’étrange beauté des ruines.

Je ne m’y sens plus tout à fait une étrangère, ni véritablement chez moi. C’est une parenthèse, une enclave que j’aménage.

Du plus loin que je me souvienne, la solitude m’a toujours manqué, comme on aspire à l’air des montagnes quand on grandit dans la trame serrée des villes.

Depuis des mois, j’habite ce corps comme un vêtement volé. Je l’ai forcé à l’invisibilité, j’étais une proie concentrée sur des signaux de danger infimes, peut-être imaginaires. J’avais oublié qu’on pouvait vibrer d’autre chose que d’angoisse.

Lasse qu’on sourie et murmure dans mon dos, je choisis de disparaître derrière l’objectif. De devenir cet œil qui voyait tout et gravait sur pellicule les mille petites trahisons d’un soir, comme on range des fleurs de ciguë et de belladone dans un herbier, pour s’immuniser contre leur pouvoir.

Les apparences… Parfois on a besoin de s’y raccrocher, c’est tout ce qui reste.

Alors sa voix rauque s’est élevée dans le silence, portant celle de tous les Noirs du Sud qui avaient fui la ségrégation et le Ku Klux Klan pour embrasser un rêve falsifié dans la fournaise des aciéries, les chaînes de montage qui cassaient le corps et la tête.

Quand on apprend à vivre ensemble, la peur disparaît et les préjugés avec. Encore faut-il offrir les mêmes chances à tout le monde…

les Maghrébins étaient les Noirs des Français.

Je m’interroge sur le besoin qu’ont les hommes de se fabriquer des inférieurs, sous toutes les latitudes.

En ce temps-là, la sécurité me paraissait le bien le plus précieux, celui qui gouvernait tous les autres. Pour la trouver, je m’étais choisi un refuge qui s’était refermé sur moi.

Partir n’est pas le plus difficile, a-t-il murmuré. Le plus dur, c’est de se pardonner de ne pas être resté.

J’ai appris à t’aimer, comme on se coule dans la musique en la laissant étirer le cœur et l’âme vers d’infinies métamorphoses.

J’ai fermé les yeux et j’ai repensé à ce que tu me disais toujours : c’est lorsque nous avons réalisé notre impuissance que nous devenons vraiment libres.

Mais tu vois, on ne peut pas rattraper le passé. Je l’ai compris quand j’étais là-bas. Ça m’a libérée. À force de l’attendre, je m’empêchais de vivre.

Vous ressemblez à une maison dont on a fermé les volets pour affronter un très long hiver.

Nous nous sommes dévisagés quelques secondes, comme deux arbres foudroyés qui doutent d’être encore debout.

Et toujours un appareil photo… Ton arme et ton bouclier.

je constate que derrière le racisme, il y a la rapacité d’un système qui a besoin de fabriquer des esclaves. Le problème, ce n’est pas la peur ou la haine de l’autre. Ces barrières-là, on peut les repousser, les faire tomber. Le problème, c’est ce ventre qui a toujours faim, de main d’œuvre à bas prix, d’hommes dégradés.

découvrir qu’au cœur du danger, l’objectif du Leica me permettait de me détacher de moi-même.

One Reply to “Nohant, Gaëlle «La femme révélée» (RLH2020)”

  1. J’ai beaucoup apprécié ce roman. Je me suis facilement attachée à Eliza/Violet.
    Mais j’ai eu quand même un peu de mal avec l’épisode de l’enfant « abandonné »
    J’aurai grand plaisir à lire d’autres ouvrages de cette auteure.

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