Geni, Abby «Zoomania» (2021)

Geni, Abby «Zoomania» (2021)

Auteur : Avec son premier roman, « Farallon Island » Abby Geni a été la lauréate 2016 du prix de la Meilleure Fiction décerné par la Chivago Review of Books et du prix de la Decouverte Barnes & Nobles. Elle est également l’auteur d’un recueil de nouvelles (The Last Animal), encore inédit en français). « Zoomania » (2021) est le deuxième roman d’Abby Geni. On y retrouve son sens de l’insolite et du silence, et cette rare, cette unique et attentive présence au monde animal.

Actes Sud Littérature – États-Unis – 06.01.2021 – 368 pages – traduit par Céline Leroy – titre original « The Wildlands »

Résumé :

À Mercy, petite ville d’Oklahoma, une tornade de catégorie 5 a dévasté le quartier et la vie de la famille McCloud, laissant les quatre enfants orphelins, sans toit, sous la responsabilité de Darlene, l’aînée, avenir sacrifié au seuil de son envol. Très vite, les médias font des trois jeunes sœurs, contre rétribution, l’image vivante, idéalement photogénique, de la tragédie. Heurté dans ses principes, Tucker, le frère rebelle, se fâche. Et disparaît.
Au troisième anniversaire de l’événement, Cora, la benjamine, a neuf ans. La tornade est son premier souvenir. Tucker lui manque terriblement. Le quotidien entre filles dans un mobile home a perdu de son charme. Quand une bombe explose dans l’usine de cosmétiques locale, libérant tous les animaux du laboratoire, les sœurs McCloud ne font pas tout de suite le lien. Mais c’est l’étincelle d’un tout autre cataclysme.
Dans une folle cavale à travers l’Ouest américain, aux confins éperdus des jeux de l’enfance et de l’engagement militant, Zoomania met à l’épreuve les limites de l’amour et de la loyauté. Sur fond d’urgence écologique et de défense de la cause animale, entre thriller et méditation sur la nature, Abby Geni nous invite à un apprentissage de l’absolu aussi violent qu’enivrant.

Mon avis :

Deuxième livre de Abby Geni et je ne suis pas déçue, loin de là. Pourtant elle avait mis la barre très haut avec « Farallon Island » ! A nouveau les animaux, les relations humaines, la quête identitaire, la culpabilité, les conditions climatiques et l’absence sont au centre du roman. Mais traités de manière totalement différente.
S’il allait un seul mot pour décrire le roman ? Disparition…
Disparition de la mère – à l’accouchement de sa dernière fille, Cora
Disparition de la maison et du père – emportés par la tornade
Disparition de tous les projets de vie – suite au changement de vie consécutif à la tornade (4 orphelins : 3 filles – Darlène, Jane et Cora et 1 garçon – Tucker – )
Disparition du frère – il se volatilise suite à une querelle avec sa sœur ainée Darlène
Disparition de la plus jeune, Cora à l’âge de 9 ans (volontaire? enlèvement ? fugue?)
Disparition des espèces animales – à cause des prédateurs suprêmes : les humains…

Quelle aurait été la vie de ces 4 orphelins s’il n’y avait pas eu de tornade ? Un roman qui met l’accent sur la protection des animaux, sur les conditions de vie/de survie des animaux sauvages en captivité/en liberté, sur la mort des insectes, des forêts, des océans, de l’habitat des animaux… Un roman qui parle aussi des relations entre frère et sœurs, de l’influence des uns sur les autres, des actes qui découlent du désir ou du besoin de ses sentir proches les uns des autres, sur les dérives des belles causes.
et je m’arrête là pour vous laisser tout le suspense intact…
Un roman poignant, qui pose de bonnes questions.
Et que je recommande vivement.

Extraits :

Je vivais dans un monde de femmes depuis plus de deux ans. J’avais appris à mes dépens combien les hommes sont inconstants.

La douleur était sourde mais profonde, comme l’appel sans réponse d’un coyote solitaire.

On ne pouvait pas se sentir chez soi dans une maison sans animaux.

Je me secouai. Je m’étais donné comme règle d’essayer d’éviter l’apitoiement. La pitié de toute la ville était déjà assez lourde à porter pour ne pas y ajouter la mienne.

Tout ce qui venait de l’Oklahoma était résistant et guerrier. Ici, seuls les plus forts survivaient. Nos serpents étaient équipés de venin et d’un signal d’alarme. Nos insectes portaient des armures contre les prédateurs et la déshydratation. Nos oiseaux avaient des serres, une vision télescopique et des os creux. Ces animaux étaient conçus pour résister aux rigueurs de l’environnement. La moindre faiblesse ou mollesse avait été violemment arrachée de leur lignée génétique par les tempêtes de sable, les sécheresses et les tornades. Les catastrophes faisaient autant partie de l’Oklahoma que le ciel usé par les intempéries.

Il n’y avait pas eu d’enterrement. Les êtres aimés sont censés laisser des restes – des cendres dans une urne, un corps en terre, quelque chose à quoi se raccrocher, à quoi rendre visite, pour faire son deuil.

Elle ne savait plus trop qui elle était sans un placard rempli de ses vêtements, sans ses livres sur les étagères, ses posters aux murs, sans toutes les manifestations physiques de son ancienne identité.

Cette prise de conscience lui tomba dessus comme une froide pluie d’automne qui vient petit à petit, mais assombrit inexorablement le paysage.

Elles restèrent ainsi un moment, enlacées comme deux arbres plantés trop près l’un de l’autre, les troncs confondus en une seule et large base.

Est-ce que tu crois que tout arrive pour une raison ? Au cours de leur dispute, il avait parlé de catastrophes naturelles et de sonnettes d’alarme. Il avait parlé de trouver du sens et d’avoir un but.

Le temps s’écoulait bizarrement. Il passait parfois à toute vitesse, quelques heures englouties en un clin d’œil, et à d’autres moments, il dégoulinait lentement comme le miel d’une cuiller.

Il aimait déjà les animaux à l’époque. Il était devenu végétarien très jeune, déclarant que la viande était un meurtre et, au dîner, rappelait à toute la famille à quoi aurait ressemblé leur repas s’il était encore en vie.

Le taux d’extinction normal pour un écosystème stable était d’une à cinq espèces par an. Le taux d’extinction actuel était mille fois supérieur. Des dizaines d’espèces s’éteignaient chaque jour.

Les garçons semblaient plus simples que les filles – pas plus idiots, exactement, mais calibrés de manière moins élaborée.

Je ne savais pas trop ce que je pleurais : ma mère perdue, notre ferme perdue, ou la petite fille perdue que j’avais été autrefois.

Avant que l’Oklahoma ne devienne un État, on le désignait par l’expression Terres non assignées. C’était un désert aride et dépourvu d’arbres, inadapté à l’agriculture ou à l’élevage, et inadéquat à recevoir les tribus indiennes qu’on avait déplacées de force.

La tornade lui avait peut-être transmis quelque chose de sa propre essence – son mouvement impossible à arrêter, son imprévisibilité, sa capacité de destruction.

Dans son franc-parler habituel, il lui rappelait que le changement était inévitable et irrépressible. Que de petites vagues pouvaient en créer de plus grosses, prendre des chemins inattendus. Il lui disait de ne pas s’appesantir sur le passé et de ne pas craindre l’avenir car chaque instant est suivi d’un autre, parfois merveilleux, parfois terrible, que tout cela était toujours imprévisible, des composants essentiels à la complexité d’un monde vaste et magnifique.

Vocabulaire :
Anthropocène
 :  époque de l’histoire de la Terre qui a été proposée pour caractériser l’ensemble des événements géologiques qui se sont produits depuis que les activités humaines ont une incidence globale significative sur l’écosystème terrestre. (Wikipédia)

2 Replies to “Geni, Abby «Zoomania» (2021)”

    1. j’attends ton avis avec intérêt. Un livre que j’ai beaucoup aimé qui pose – comme je l’ai dit – les bonnes questions mais apporte les mauvaises réponses…

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