Utroi, Wendall « Le paradis des vauriens » (2021)
Auteur : Wendall Utroi, auteur français de romans à suspense. Policier aux différentes facettes, officier de police judiciaire (OPJ), instructeur, Wendall Utroi est curieux de tout et attiré par les missions à l’étranger. Il a commencé à écrire son premier roman « Un genou à terre » alors qu’il était en mission en Afghanistan en 2009. Ancien policier formateur, vit aujourd’hui à Romans-sur-Isère. Il diffuse son premier roman sur Internet en 2014 et rencontre un succès inespéré. Auteur de sept romans, il reçoit en 2018 le Prix des lecteurs des plumes francophones. L’un de ses romans, Wanda, a fait l’objet d’un court métrage tourné au Canada ayant remporté deux prix internationaux. En 2018 « La tête du lapin bleu » qui ressort en 2020 sous le titre « Les yeux d’Ava». En 2020, il publie « La Loi des hommes » aux Editions Slatkine et en 2021 « Le paradis des vauriens », toujours chez Slatkine. En 2024 il publie « Le courage des lâches » aux éditions La Trace.
Editions Slatkine – 7.10.2021 – 477 pages – Grand Prix Noir Charbon 2021
Résumé :
« Dans ce nouveau roman, j’ai voulu donner vie à deux enfants blessés : Kalya, d’origine tsigane, que recueille un ferrailleur, et Sans-Nom, un gamin un peu chétif, fils d’une prostituée. L’histoire prend sa source dans les plaines du Nord au milieu des années 30 et vient mourir dans le sud-est de la France beaucoup plus tard. Deux lieux, deux époques et deux terribles destins. Aimer le destin, c’est le forcer à vous écouter pour que, un jour, à son tour, il vous aime un peu.
J’ai une affection particulière pour ces deux personnages. Ils m’habitent depuis toujours. Je voudrais tellement qu’ils entrent dans vos vies. » Wendall Utroi
Mot de l’Editeur : Le Paradis des Vauriens est le neuvième roman de l’auteur des Yeux d’Ava et de La Loi des hommes. Une saga comme on les aime, avec de la haine et de la colère, un peu de violence, beaucoup de joie et l’amour, toujours.
Mon avis :
Dès le tout début du roman, on est embarqués dans l’aventure et j’ai vibré jusqu’à la dernière ligne. Un roman qui se déroule sur deux périodes ; quelques repères historiques pour remettre en mémoire le contexte politique et historique de l’époque mais nous ne sommes pas noyés dans les informations ; la bonne dose pour être dans un roman et non dans un roman historique.
J’ai une préférence pour l’époque 60 et ses personnages …
J’apprécie le soin du détail dans la description des lieux et des personnages – tant principaux que secondaires – qui est permet de faire partie du paysage, d’avoir l’impression de vivre avec eux.
Une rencontre. Celle de deux solitaires, deux abimés par leur courte vie, deux « différents ». J’ai été me renseigner sur le prénom de Kalya : comme il est dit dans le roman c’est un prénom gitan qui vient de Roumanie, qui veut dire sainte. Mais pas que… En plus de l’idée de pureté et de sagesse, ce prénom signifie « gardienne des clés » et est une variante de « Katherine » ce qui ne peut que me plaire (!) Au vu de la réaction de « Sans-Nom» dans ses rapports aux filles, je soupçonne fortement que Kalya est la gardienne des clés du cœur de « Sans-Nom » mais c’est juste mon intuition. J’aime beaucoup l’importance donnée au rapport entre les deux enfants et leur prénom. Les proches de Kalya s’adressent à elle en l’appelant Kaly, ce qui pour moi crée une distance entre le monde dans lequel elle vit et l’importance qu’elle accorde à sa personnalité car c’est à peu de choses près la première information qu’elle donne sur elle. Ce prénom ne lui correspond pas, tout comme « Sans-Nom » ne se reconnait pas dans le prénom qui a été donné à la naissance.
La relation Hugo- Kalya est juste magique. J’ai beaucoup aimé la partie qui parle de la lecture, le lien qui va se créer grâce aux mots et le partage qui en résulte Cette amitié et cet amour fusionnel, la description de la manipulation exercée dans l’univers clos des sectes menant à la décérébration des membres
Les problèmes de société et les idées sociales sont aussi au cœur du roman : la violence envers les femmes, l’alcoolisme, les mensonges et dénonciations calomnieuses, la discrimination sociale, le racisme l’affrontement entre bandes, la peur et donc l’agressivité envers ceux qui sont différents, l’établissement de communautés (voire de sectes qui vivent plus pu moins en autarcie) dans lesquelles le gourou a certaines prérogatives. Et le courage des femmes et jeunes filles qui n’hésitent pas à se dresser face à l’injustice.
L’émotion est bien présente tout au long du roman et surtout dès que Kayla pointe le bout du nez… parce qu’elle est vraie, naturelle et spontanée ; elle rayonne de bonheur quand elle se fait belle pour faire honneur à son amoureux …
Tout comme je suis emportée par les romans de Di Fulvio, j’ai été emportée par ce roman qui met en scène des adolescents principalement (mais pas que) car il ne faut pas oublier Lucia, la mère, et les deux sœurs Sarah et Steph… Steph est un caractère plus intéressant que Sarah (qui est comme Lucia, plus passive et dans l’ombre de ceux qui les dominent). Il y a un parallèle entre les deux femmes de la vie de « sans nom », leur coté protecteur au moment de la rencontre… mais malgré toute la bonne volonté de Sarah, comment se montrer à la hauteur de Kayla. L’amour ne naît-il pas de l’amour ?
Merci pour cet amour fou et cette formidable rencontre avec des personnages qui vont continuer d’exister une fois le livre refermé.
Jamais je n’aurais imaginé que le Furet du Nord existe depuis si longtemps et j’ai adoré apprendre pourquoi il s’appelait ainsi. Ces informations ancrent l’écrit dans la réalité et c’est super.
J’aime aussi l’ancrage dans la mythologie et la religion du fait des noms choisis. Tous les membres de la secte portent des noms qui les définissent parfaitement : – Mitra, supposé représenter la souveraineté sur le plan terrestre, dont le nom signifie « contrat », était le garant de l’amitié et des accords entre les hommes, de l’honnêteté ; les disciples … Isaac, Joel, Amos. Toujours sur mon obsession des prénoms, je trouve le prénom Thalion (que je ne connaissais pas) qui signifie « inébranlable » ou « fort » très bien trouvé !
Au final, la violence est partout dans le monde, mais l’amour et l’espoir sont des étoiles auxquelles il faut s’accrocher pour aller de l’avant …
A la deuxième lecture du roman, je me suis encore plus attachée à Kayla… La scène dans laquelle on découvre que Kayla ne sait pas lire prend à la gorge ; j’ai ressenti la détresse de la petite qui tente de faire semblant pour cacher ce dont elle a honte et la raison pour laquelle elle avait fui l’école, ostracisée à cause de sa « différence »
Et un énorme merci à Wendall Utroi pour ce moment de bonheur.
Extraits :
La Faucheuse, je l’emmerdais. Elle n’était rien qu’une lumière éteinte, le vide, le néant, un détail de la vie, un interrupteur qu’on manipulait de façon définitive. Il suffisait de plonger dans un livre d’histoire, on y parlait de la vie des grands et des petits, mais leur mort ne tenait qu’en une ligne. La mort, je l’emmerdais, celle des autres et la mienne aussi.
La lune se prenait pour un astre, elle brillait dans un cercle de lait qui se diluait dans l’étendue noire. J’aimais m’y perdre, imaginer tous les mondes, là-haut. Un ciel si grand que, lorsque mon regard se perdait dans les étoiles, il m’écrasait et me rendait si petit, si insignifiant, que mes peines s’allégeaient, elles aussi. Je me sentais tel un grain de sable, ballotté dans le grand sablier. Je me débattais, me cognais aux parois, marchais sur les autres pour ne pas glisser dans l’entonnoir, un combat perdu d’avance. Ma vie se résumait à ça, me débattre, encore et toujours, pour ne pas sombrer dans l’ennui. Vivre et s’ennuyer, c’était pire que tout, c’était mourir déjà, et moi je ne voulais pas crever de mon vivant. Je m’étais battu plus d’une fois, contre les autres, contre leurs règles et leur façon de vouloir me les imposer, leur façon de m’obliger à marcher dans les clous. Certains n’avaient pas aimé mon mode d’emploi: vivre, quitte à en crever ou à crever les autres. Crever les autres.
Je me penchai sur la balustrade et observai l’Isère. Elle s’écoulait grise et pâle comme une âme tourmentée. Elle charriait bois et branches dans son lit impétueux, tourbillonnait par endroits. Je restai médusé devant ses reflets d’ardoise et sa force.
Ni Hugo ni Lucia ne reparlèrent ensemble de ce moment, la chape lourde du secret s’était refermée et pesait sur eux, cependant la mémoire restait intacte. Le garçon se rassura, après tout, sa mère veillerait toujours sur lui et le protégerait, et lui, il en ferait de même. Les secrets, ça soudait les âmes.
— Je sens qu’on va faire une belle équipe tous les deux. Je m’appelle Kalya, c’est un prénom gitan qui vient de Roumanie, il paraît que ça veut dire « sainte ».
Elle éclata de rire.
— Il faut bien une exception ! Et toi, tu t’appelles comment ?
Moi, mon prénom ne veut rien dire ! C’est le prénom d’un mort, je ne l’aime pas plus que ça !
— C’est drôle ça ! Comme tu veux ! Je t’appellerai… « Personne » … ou… « Sans-Nom » ! s’exclama-t-elle. J’aime bien, c’est mystérieux, tu ne trouves pas ?
— Personne ou Sans-Nom ?
— Ouais ! Comme les agents secrets !
— La peur de mourir empêche de vivre, ne pas la connaître c’est se sentir libre.
À partir d’aujourd’hui, ici, tu t’appelles Amos, ça veut dire celui qui porte un fardeau. Tâche de ne pas l’oublier
— Parfois, j’aimerais que le silence gronde dans ma tête. Qu’il efface tous ces mots tourmentés, ces mots qui font peur, me révoltent et me disent de faire du mal. Qu’il souffle sur les choses immondes qui traînent dans mes souvenirs. Je rêve d’un vent de silence qui balaierait ma mémoire pour que tout recommence, et qu’enfin renaisse l’espoir. Le mal me fascine, j’aimerais que cela change, mais dehors, seul le mal règne en maître.
Après plusieurs mois d’apprentissage cousus de bienveillance et pleins de patience, la jeune fille s’était sentie fière des progrès accomplis en lecture. Elle parvenait, certes avec difficulté, à énoncer des phrases simples sans l’aide de son ami. Oubliée la honte, finis les subterfuges. Hugo se voulait un professeur calme, efficace. Après Notre-Dame de Paris, que Kalya avait adoré, ils s’aventuraient désormais dans le monde des abysses avec Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne. La jeune fille découvrait la magie des mots, insatiable, gourmande, imaginative. Chaque ligne engloutie, chaque page tournée la menait vers un univers marin au goût salé peuplé de monstres et de dangers. La lecture, tricoteuse de moments magiques, tissait et scellait la complicité des deux amis en un lien puissant. L’un ouvrait les portes du savoir, l’autre s’engouffrait dans un monde de questions, de rêves, d’émotions. À travers ce partage, tous deux trouvaient un bonheur délicieux.
Je cherchais à me brûler les ailes, elle crachait du feu, on ne pouvait que s’entendre. Ensemble, on pavait la route du diable de mille conneries, de mauvaises actions, j’avais besoin de goûter aux vertiges de la vie, elle était ma falaise.
À cette heure matinale, personne ne le remarqua. Quand les joues portent les traces de la nuit, que les rêves pèsent encore sur les pensées, personne ne remarque personne.
Jour après jour, semaine après semaine, le temps devenait un ennemi. L’ennui me guettait, sournois, tapi dans un coin. L’ennui et le temps formaient un duo destructeur.
2 Replies to “Utroi, Wendall « Le paradis des vauriens » (2021)”
Je suis en train de le lire et je cite : « Trop mou, sans ambition, trop lent, trop vieux. Certes, il avait mis en place un système cohérent, en respectant ses principes de bienveillance, mais il progressait au pas d’un lémurien. »
L’auteur n’a dû jamais regardé un lémurien ! Quel contresens énorme, étonnant pour un auteur pour lesquels les mots sont sa matière, son métier. Mais bon, allez je continue, l’histoire, le rythme me plaisent.
Bon, tant pis pour le lémurien, je suis prête à croire que certains sont très lents, aussi lents que des aïs. Et puis en comparaison au reste du livre ce serait vraiment injuste et réducteur. Alors autant j’avais trouvé que l’auteur avait forcé le trait d’Ava autant celui-ci sonne juste de bout en bout. Oui tu as raison Cath, il m’a fait penser aux livres de Luca Di Fulvio. J’ai été happée par l’histoire, son rythme. J’ai tout aimé dans ce livre, pas une once d’ennui et même quand mes yeux pesaient lourds le soir, je persistais, je tenais pour continuer à dévorer ses mots. Monsieur Utroi, vous m’avez conquise. C’est un coup de cœur, merci pour ce bon moment de lecture.