Truc, Olivier « Le Détroit du loup» (2014) Série La police des rennes 02
Auteur : journaliste, écrivain et scénariste français né à Dax le 22 novembre 1964. Il habite Stockholm depuis 1994. Journaliste, il est le correspondant du « Monde » et spécialiste des pays nordiques et baltes. Il est aussi documentariste pour la télévision.
Romans : Tétralogie : La police des rennes : Le Dernier Lapon (2012) – Le Détroit du loup (2014) – La Montagne rouge (2016) – Les chiens de Pasvik (2021)
Roman indépendant : Le cartographe des Indes boréales (2019)
Métailié Noir – Bibliothèque Nordique – 04.09.2014 – 410 pages/ Point poche – 17.09.2015 – 521 pages
Tétralogie « La police des rennes » : Deux officiers de la police des rennes, Klemet et Nina mènent l’enquête dans le Pays Sami (Grand Nord)
Résumé :
Hammerfest, petite ville de l’extrême nord de la Laponie. Un troupeau de rennes traverse le détroit du Loup à la nage pour rejoindre les pâturages de printemps. Pour une raison étrange, le renne de tête fait brusquement demi-tour, semant la confusion dans le reste du troupeau. Surpris par le mouvement de panique, un jeune éleveur se noie. Klemet et Nina s’interrogent : incident ou coup monté ? L’inquiétude des deux enquêteurs grandit lorsque Hammerfest est frappée par une série de morts mystérieuses.
Le printemps dans le Grand Nord, une lumière qui obsède, une ombre qui ne vous lâche plus. A Hammerfest, petite ville de l’extrême nord de la Laponie, au bord de la mer de Barents, le futur Dubaï de l’Arctique, tout serait parfait s’il n’y avait pas quelques éleveurs de rennes et la transhumance… Là, autour du détroit du Loup, des drames se nouent. Alors que des rennes traversent le détroit à la nage, un incident coûte la vie à un jeune éleveur.
Peu après, le maire de Hammerfest est retrouvé mort près d’un rocher sacré. Et les morts étranges se succèdent. En ville les héros sont les plongeurs de l’industrie pétrolière, trompe-la-mort et flambeurs, en particulier le jeune Nils Sormi, d’origine sami. Klemet et Nina mènent l’enquête pour la police des rennes. Mais pour Nina une autre quête se joue, plus intime, plus dramatique. Elle l’entraîne à la recherche de ce père disparu dans son enfance.
Une histoire sombre va émerger, dévoilant les contours d’une vengeance tissée au nom d’un code d’honneur implacable. Après Le Dernier Lapon qui mettait pour la première fois en scène la police des rennes, Le Détroit du Loup, deuxième roman d’Olivier Truc, confirme ses talents de raconteur d’histoires et sa capacité à nous emmener sur des terrains insoupçonnés.
Mon avis : Un peu plus lent à démarrer si on parle de la partie policière, mais est-ce vraiment un roman à lire uniquement pour l’enquête ? Je ne crois pas. L’important c’est le contexte, la façon de nous faire connaitre le Grand Nord et de nous brosser le tableau de la situation économique et sociale. Qu’il est difficile de faire cohabiter les intérêts d’une région et la nature et les traditions ! Quel plaisir de se retrouver en Laponie en compagnie des Sami et de leur problème d’identité. C’est le mois d’avril, le soleil ne se couche pour ainsi dire jamais et la pauvre Nina a bien du mal à s’y accoutumer ; Nina qui sera l’un des personnages centraux de ce livre et qui devra être forte pour affronter la vérité sur sa famille. A l’honneur aussi une autre jeune femme Anneli, une jeune Sami dont le mari disparait tragiquement dès le début du roman.
La vie des habitants du lieu est un contexte passionnant et on va replonger dans le passé, dans la dure vie des plongeurs, des éleveurs de rennes… Il y a les étrangers et les locaux… Et toujours le policier Klemet, un personnage très discret mais très attachant.
Le pétrole menace le territoire des éleveurs de rennes. Les routes de la transhumance sont menacées et ce n’est pas uniquement pour une question de tracé car les rennes – comme les anguilles et les saumons – ont la mémoire des lieux pour mettre bas. Pas aussi longue mais il leur faut quand même plusieurs années pour s’adapter. La mer de Barents est un lieu de développement prioritaire pour le pays, on y creuse des puits : c’est le lieu des plongeurs.
Dans ce pays où les rennes ont encore des droits et provoquent certaines nuisances, les habitants des villes n’ont pas la même approche de la vie que les éleveurs de rennes…
Des sites religieux et les pierres sacrées sont en danger et les Samis qui vivent encore dans la région ne veulent pas que les promoteurs et les industriels y touchent. Qui va gagner, de l’écologie ou de l’argent ?
Une fois de plus, j’aime ces livres qui m’en apprennent davantage sur les mythologies et les divinités, Ici ce sont les divinités et les croyances du peuple Sami : son chamanisme, ses pierres dressées. Dans le tome un de la série, les tambours magiques étaient à l’honneur. Dans ce tome, ce sont les « sieidis » (Il s’agit de formations rocheuses inhabituelles, de pierres rocheuses géantes, de grosses pierres naturelles ou des pierres érigées. Ce sont souvent des rochers de forme exceptionnelle, facilement reconnaissables ou des pierres seules dans un champ. Il peut également s’agir de lits de bois. Le chamanisme Sami considère ces points focaux spirituels et les vénère comme des passerelles vers le monde des esprits. – Wikipedia). Coté traditions, on y apprend que les animaux blancs sont vénérés, d’où l’importance de la perte d’un renne blanc.
Les divinités sont celles de la nature et une des divinités à laquelle est attachée Anneli est la déesse Gieddegeašgálgu, déesse féminine des Sami du Nord, qui vit autour des campements et qui est sollicitée en cas de problèmes.
Un voyage passionnant dans ce monde et une enquête qui ne laisse pas indifférent.
Je ne vais pas tarder à attaquer le troisième tome de cette tétralogie, La Montagne rouge (2016).
Extraits :
Toute la beauté du monde le pénétrait quand elle parlait. Ses mots semblaient sortir d’un nuage. Ils en avaient la blancheur pure, la douceur ouatée.
Nous avons pris l’habitude depuis des années de l’accueillir le temps de la transhumance de printemps. Pour les anciens comme lui, ce sont de bons souvenirs. Ils ne sont plus capables d’aider physiquement, mais ils sont là le soir, ils racontent les histoires, ils maintiennent la tradition. Ils transmettent l’esprit de notre peuple. Nous aimons ces moments où les générations se retrouvent. Ce sont des moments devenus rares car la mécanisation de l’élevage de rennes met les éleveurs sous pression.
il fallait se considérer comme bien loti si on arrivait à établir les preuves d’un crime ou à relier un criminel à un délit. Découvrir le motif d’un crime, disait-il toujours, c’est la cerise sur le gâteau, et la plupart du temps on restait dans l’ignorance si l’auteur du crime ne l’avouait pas.
Vous avez vos églises, vos monuments, vos musées, nous avons ces pierres. Nous sommes un peuple de la nature. Ces pierres conservent l’esprit de notre histoire. Si tu en approches, tu entendras les histoires en couler le long des fissures, tu entendras les prières qui ont été murmurées là voici des siècles par un berger inquiet pour ses rennes qui s’apprêtaient à traverser. Si tu colles ton oreille au rocher de Sieidejavri, tu entendras la prière de cette femme sami qui supplie pour que son fils malade trouve la paix.
Il avait l’air de penser qu’on pouvait changer les habitudes des troupeaux par la simple volonté. Sans savoir qu’un troupeau revenait toujours sur le même pâturage de printemps car c’était là et nulle part ailleurs que les femelles mettraient bas, comme les saumons revenaient à leur rivière natale pour frayer. Il fallait des années, quatre ans peut-être, pour qu’un troupeau se réhabitue à de nouvelles terres.
Une sensation bizarre. Ce mot, faute. À qui la faute ? Sa question n’avait rien de policier. Était-ce une fatalité que les Sami soient écartés de leurs territoires et poussés à adopter le même mode de vie que leurs voisins non sami ? Est-ce que moi, je suis malheureux finalement ?
Ces histoires de chamans, de tambours, de pierres sacrées, de joïks, tout ça était apparenté par les pasteurs luthériens à des expressions diaboliques, hérétiques. Les tambours ont été brûlés, mais tu ne brûles pas un rocher sacré.
– Peut-être, sauf si, pour certains, déplacer un rocher sacré revient à brûler un tambour.
Depuis que les nomades sami avaient démarré l’élevage de rennes il y a bien longtemps, voilà cinq cents ans ou plus, ils avaient considéré qu’ils n’étaient que de passage sur les territoires qu’ils traversaient. On y restait quelques semaines, puis on continuait vers le nord, vers le sud, au gré des saisons, au gré de ce que la nature pouvait offrir aux rennes. Et, immuablement, des pâturages d’été aux pâturages d’hiver, les voies de la transhumance étaient un long et lent cheminement qui exigeait des hommes la conscience de leur place dans la nature. D’une année à l’autre, il fallait revenir sur ses pas et retrouver la terre en l’état. On ne laissait pas de traces derrière soi, on en faisait un point d’honneur et l’harmonie régnait. Il en allait autrement aujourd’hui. Le nomadisme était mort avec l’arrivée des scooters, des quads et des hélicoptères.