Incardona, Joseph «La Soustraction des possibles» (2020) 464 pages
Auteur : Joseph Incardona, né en février 1969 à Lausanne, est un écrivain, scénariste et réalisateur suisse. De mère suisse et de père sicilien, Joseph Incardona est l’auteur d’une douzaine de livres, de scénarios (pour le théâtre, le cinéma et la bande dessinée), ainsi que réalisateur de cinéma. Il habite à Genève.
Romans :
2002 : Le Cul entre deux chaises – 2005 : Taxidermie – 2006 : Banana spleen – 2006 : Dans le ciel des bars – 2008 : Remington – 2009 : Enjeux 7 (Collectif) : 37 m², – 2010 : Lonely Betty – 2011 : 220 volts – 2012 : Trash circus – 2013 : Misty – 2014 : Aller simple pour Nomad Island – 2015 : Derrière les panneaux il y a des hommes – 2016 : Permis C – 2017 : Les Poings – 2017 : Chaleur – 2020 : La Soustraction des possibles –
Finitude Editions – 02.01.2020 – 400 pages / Pocket – 19.08.2021 – 464 pages ( Prix Relay 2020)
Résumé :
On est à la fin des années 80, la période bénie des winners. Le capitalisme et ses champions, les Golden Boys de la finance, ont gagné : le bloc de l’Est explose, les flux d’argent sont mondialisés. Tout devient marchandise, les corps, les femmes, les privilèges, le bonheur même. Un monde nouveau s’invente, on parle d’algorithmes et d’OGM. A Genève, Svetlana, une jeune financière prometteuse, rencontre Aldo, un prof de tennis vaguement gigolo.
Ils s’aiment mais veulent plus. Plus d’argent, plus de pouvoir, plus de reconnaissance. Leur chance, ce pourrait être ces fortunes en transit. Il suffit d’être assez malin pour se servir. Mais en amour comme en matière d’argent, il y a toujours plus avide et plus féroce que soi. De la Suisse au Mexique, en passant par la Corse, Joseph Incardona brosse une fresque ambitieuse, à la mécanique aussi subtile qu’implacable.
Mon avis :
Dans ce livre, je me suis retrouvée chez moi, dans ma ville, avec quelques années de moins. J’ai eu l’impression de faire partie du décor…
Un retour dans le Canton de Genève à la fin des années 80
Le tennis-club du Parc des Eaux-Vives, La Coupole, Le Cotton Pub, Le Griffin’s Café ; Vandoeuvres, Cologny, l’Eglise de Collonge-Bellerive, le 6 Avenue des Amazones à la Gradelle, Plateau de Frontenex, Champel, Anières, Hermance …
Un roman mené tambour battant, avec des rebondissements, dans le milieu des affaires, des gros sous et des gens friqués, recommandables à ce qu’il parait… mais ce que j’ai apprécié c’est que même les pires ont des failles et que personne n’est tout mauvais, qu’ils ont tous des circonstances atténuantes. Avec un détour par le milieu international du grand banditisme, qui n’est jamais très loin de l’argent…
Un fabuleux roman noir, une peinture de la Genève financière qui vous fait froid dans le dos, quand l’appât de l’argent et l’ambition se conjuguent pour diriger nos vies. Par moments touchants, par moment machiavéliques les personnages sont parfois recadrés par l’auteur … une idée sympathique que cette présence du « grand architecte » du roman qui construit magnifiquement bien son intrigue et qui intervient pour donner son opinion.
Un roman que j’ai beaucoup aimé quant au fond mais une toute mini déception : j ’ai été déçue de ne pas m’attacher aux personnages… il s’en est fallu d’un rien pour que ce soit un coup de cœur..
Si vous avez vécu à Genève à la fin des années 80 … ne le ratez pas ! et si vous aimez les intrigues dans le milieu de la finance, ne passez pas à coté !
Extraits :
Ainsi, dans la nouvelle configuration de la modernité : les riches (nobles et aristocrates) n’aiment pas les nouveaux riches (bourgeois) qui n’aiment pas les pauvres (ouvriers).
Derrière chaque richesse se cache un crime, écrit Balzac.
Dans ce biotope, l’autre est un mètre étalon, un moyen de comparaison de ce que nous sommes. Et jamais personne n’est satisfait : il y a potentiellement toujours mieux que soi. Ce qui pousse à plus d’argent, à davantage de beauté, au cumul des richesses. À l’accumulation du capital.
Un baiser rapide sur la joue — la dernière chose qui reste, la seule marque d’affection encore visible comme un tampon sur un envoi en courrier prioritaire.
Nom d’un chien, comme elle fout le camp, l’existence. Jamais l’occasion de s’arrêter. Comme le requin blanc, en mouvement perpétuel pour ne pas mourir.
Il y a une différence notable, soulignée juridiquement, entre l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent. Comme il y a une différence entre l’évasion fiscale et la fraude fiscale. Un peu comme mentir par omission ou raconter sciemment un mensonge.
Couper les ponts signifie, entre autres, vivre au 6 avenue des Amazones, dans le quartier résidentiel de la Gradelle
La vie serait intolérable sans le mensonge. Notre système économique est construit là-dessus. La plupart des relations humaines également. Tout est fiction, tout est virtuel. L’argent, le cours de la monnaie, la bourse… Les sentiments aussi, d’une certaine façon… La religion, tenez, le plus gros mensonge qui soit… Tout repose sur la croyance et la confiance mutuelle.
Le confort qui devient notre propre prison. Nous sécurise et nous enferme.
Mais cet ennui.
Faire semblant avec les autres est facile. Et avec soi-même ?
Un lien se tisse, un lien est tissé entre le banquier privé, le banquier institutionnel, l’homme d’affaires, l’avocat d’affaires et le représentant politique.
L’argent coule sous forme de codes et de chiffrements. Il est un peu comme le monstre du Loch Ness, personne ne le voit jamais, sauf quand il se matérialise en objets : maisons, voitures, propriétés, bijoux, œuvres d’art…
Cette phrase de Voltaire, encore : dans une avalanche, aucun flocon ne se sent responsable.
Voilà que se mesure l’Histoire.
Le feu. La roue. Le web.
Il faudrait peut-être l’aider, le mettre en confiance, mais elle préfère le laisser venir par les mots qu’il cherche, on comprend bien que ce n’est pas un homme de mots. De parole, oui, mais pas de mots.
— À nos âges, on ne recommence rien, on continue, on prend de nouveaux chemins, mais on continue notre route.
— On n’est pas vieux, merde !
— Dans nos situations, si tu préfères. »
Comme l’écrivait Pasolini dans les années 1970, les policiers, fils de prolétaires, mataient la révolte des étudiants, fils de la classe dominante. Il n’y a pas de raisons que ça change.
Le problème, avec la vie qui avance, c’est qu’elle soustrait les possibles.
Le dimanche soir est l’instant de fragilité. Celui où l’on aurait besoin par-dessus tout de bras aimants, d’une voix qui rassure, d’une présence.
« Je croyais qu’on ne mettait pas de glace dans du whisky écossais.
— Ton whisky, tu le bois comme tu veux, c’est ce que te diront les vrais connaisseurs. À partir d’un certain degré, il n’y a plus vraiment de règles.
— De quel degré tu parles ?
— De richesse, de pouvoir. Elle est là, la liberté. Santé. »
La petite église de Collonges Bellerive : son parvis de gravillons clairs, ses roses de Noël dans les bacs, ses platanes alignés et dénudés, ses bancs de bois peints en vert.