Loubière, Sophie « De cendres et de larmes» (2021)

Loubière, Sophie « De cendres et de larmes» (2021)

Autrice : née le 10 décembre 1966 à Nancy en Lorraine, est une romancière, journaliste et productrice de radio française. Elle est sociétaire de la SACD et de la Société des gens de lettres (SGDL), et prix SACD Nouveau Talent Radio 1995.

Romans : La Petite Fille aux oubliettes – Petits polars à l’usage des grands – Je ne suis pas raisonnable – Éléphanfare – Dernier parking avant la plage – Pour en finir avec les hommes (et la choucroute) – Petit atelier de bricolage… de plage – Dans l’œil noir du corbeau – L’Enfant aux cailloux (2011) – Black Coffee (2013) (lu avant la création du blog) – À la mesure de nos silences (2015) – White Coffee (2016) – Cinq cartes brûlées (2020) – De cendres et de larmes (2021)

Fleuve Noir – 03.06.2021 – 352 pages – Pocket – 9.6.2022 – 384 pages

Résumé :
La descente aux enfers d’une famille ordinaire… Madeline, Christian et leurs trois enfants rêvent depuis longtemps d’un appartement plus grand. Alors, quand l’occasion se présente pour le père de famille d’obtenir le poste de conservateur au cimetière de Bercy, avec un pavillon de fonction de 190 m2, la famille Mara décide de changer de vie. Mais rapidement, la situation se dégrade. Suite à une tempête, la maison se révèle humide et mal chauffée.
Mickaël, l’aîné des enfants, ne va plus en cours ; Anna, la plus petite, enchaîne les bronchites ; et Eliot, le cadet, semble porter un lourd secret. Tandis que Madeline essaie tant bien que mal d’être sur tous les fronts, Christian, qu’elle ne reconnaît plus, se plonge à corps perdu dans la peinture. Et si ses toiles sont puissantes, elles n’en sont pas moins inquiétantes. Madeline sent bien que quelque chose ne tourne pas rond.
Elle sent, avec angoisse, enfler une menace qui pèse sur sa famille…

Mon avis :
Une fois de plus Sophie Loubière change de registre et nous propose un roman totalement différent de ces précédents. Et c’est ce que j’aime en elle. Elle me surprend toujours. Entre Black Coffee, l’enfant aux cailloux et Cinq cartes brulées, l’ambiance change mais la sensibilité et l’enfance sont toujours là…

Le premier personnage est le lieu où habite la famille… La maison qui se trouve dans le cimetière, mais une maison qui n’est pas normale. Nous sommes aussi à un tournant de la vie de ce couple, de cette famille recomposée avec trois enfants. De jardinier municipal, l’homme va devenir gardien de cimetière et avoir donc une maison de fonction. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, tout va changer pour le meilleur… sauf que le meilleur va vite devenir le pire…. Certes le fait d’emménager dans une grande maison au lieu de vivre entassés les uns sur les autres est un plus, mais vivre dans un cimetière a aussi des contraintes… c’est un jardin mais pas un jardin comme les autres… Chaque enfant a sa chambre, mais les chambres ne sont pas des chambres comme les autres. Le mari va enfin pouvoir profiter d’un atelier et s’adonner à la peinture mais il va vite délaisser sa famille pour se consacrer à son atelier. Madeline, la femme, a un métier stressant et prenant, sans horaires, elle est caporal des sapeurs-pompiers et son métier est très important pour elle et elle a pour métier de sauver des vies.
Dans un cimetière, on peut aussi faire des rencontres… et un des enfants, Eliott va y rencontrer une jeune fille qui essaie de se dérober à la vue de tous.
D’ailleurs les trois enfants englobent leur lieu de vie dans leur vie ; la petite y rencontre des gens qui y vivaient – dont la petite fille qui lui a laissé son ours en peluche. Eliott y rencontre une jeune fille qu’il va vouloir aider et Michael va réaliser des films qu’il va poster sur Internet.
Beaucoup aimé l’atmosphère dans laquelle baigne ce roman. C’est un environnement clos, qui baigne dans le souvenir, dans le gothique, dans la mort, dans le surnaturel, dans l’angoisse, dans le fantastique… Et si les habitants sont libres d’en sortir, ils m’ont semblé en quelque sorte prisonniers du passé du lieu et de son histoire, englués dans un monde étrange et presque, dirais-je confinés dans un lieu qui va les dévorer…
Le suspense monte … ce qui commence gentiment va finir en apothéose mais je ne vais pas en dire davantage… si ce n’est qu’on s’attache aux personnages et que l’autrice nous emmène dans un monde à la limite du paranormal, en évoquant au passage des sujets actuels et importants : L’incendie de Notre-Dame, le deuil, les gilets jaunes, les gangs qui emploient des jeunes filles mineures pour voler les touristes dans les grandes villes…
Encore un coup gagnant pour l’autrice qui touche au cœur avec sa grande sensibilité..

Les titres donnés aux parties du roman et les symboles qui s’y rattachent sont aussi très significatifs à mes yeux : L’Alliance – Le lierre – La flamme de la lanterne – La tige brisée du lys – la flamme – La faucille – Le sablier ailé.

*** Je suis allée vérifier : Le roman « L’Ange à fourrure » de Monique Watteau existe bel et bien et a été réédité en epub…
*** l’autrice m’a donné envie de relire l’incontournable « Ravage » de Barjavel…

 

Extraits :

— Au sens étymologique du terme, cimetière veut dire dortoir, en grec ancien.

Petit, il croyait que l’eau d’un ruisseau était si pure qu’elle pouvait laver jusqu’au chagrin et qu’on aspirait le bleu du ciel dans ses poumons si on ouvrait grand la bouche. La connaissance, la conscience de ce qui l’entourait et cette menace invisible n’étaient qu’un lent et inéluctable déchirement.

Son cimetière était une invitation à créer, à photographier, un jardin d’Éden de toutes les tentations esthétiques et chromatiques.

Vous êtes fait pour ce job.
— Parce que je m’appelle Mara ?
— Mara est la déesse hindoue de la mort.
— Ah.
— Vous ne le saviez pas ? C’est aussi un prénom féminin d’origine hébraïque. En hébreu, Mara signifie amertume…

Nombreuses étaient les personnes coupables de défection envers un défunt, même s’’il reposait dans l’écrin soyeux de leur mémoire. Les survivants aimaient s’étourdir de reproches.

De ces œuvres abstraites, de ces mots tus, cachés, empêchés, écrasés, tracés à l’encre ou au crayon, de ces lignes dégradées, souillées, gagnées par la flétrissure, elle percevait la puissance et la grâce, mais aussi cette part dérangeante, inquiétante et sombre comme un ciel d’orage.

Le charme de la misère avait bon dos : les pompiers pénétraient les drames des riches comme ceux des pauvres, l’intervention s’effectuait simplement dans un intérieur plus chic. Il y avait aussi la peur de commettre une erreur. De suspecter à tort, d’empiéter sur la vie privée des gens ou bien de ne pas savoir comment accompagner une victime sans éveiller les soupçons de son bourreau. Madeline avait peu de temps pour sensibiliser une personne à sa situation, lui glisser à l’oreille le contact d’une association ; il fallait éviter de la culpabiliser en lui disant qu’elle aurait dû agir bien avant, au risque de la voir se replier plus profondément dans sa souffrance.

Il lui avait simplement tendu la main, une main pleine d’une amitié qui réchauffe. Et l’oiseau s’abreuvait chaque nuit de ce doux poison qu’est l’espoir.

La flamme : Qu’elle ait la forme d’un trépied ou celle du flambeau inversé, la flamme est un élément essentiel du monde funéraire. Ce symbole profane est resté dans les croyances populaires. Il fait écho au feu perpétuel qui représente la transmission d’une mémoire ou d’un savoir et caractérise la partie immatérielle de nous-mêmes qui survit à la mort. La flamme peut aussi incarner la pensée qui permet d’orienter la marche dans les ténèbres. Le flambeau inversé symbolise également la mort : la flamme s’éteint par manque d’oxygène. Le flambeau est alors la métaphore du corps humain et la flamme celle de l’âme qui s’en échappe.

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