Bois, Ariane « Dakota Song » (2017) 428 pages

Bois, Ariane « Dakota Song » (2017) 428 pages

Autrice : Ariane Bois Heilbronn est française, romancière et journaliste. Elle est titulaire d’un DEA d’histoire contemporaine de Sciences Po (1984) et d’un M.A. en journalisme de l’Université de New York (1986). Elle a été grand reporter au sein du groupe Marie-Claire et critique littéraire pour le magazine « Avantages » de 1988 à 2015. Ariane Bois est critique littéraire pour les romans et les essais au Groupe Psychologies depuis 2018.
Elle a écrit : Et le jour pour eux sera comme la nuit (Ramsay, 2009), Le Monde d’Hannah (Robert Laffont, 2011), Dernières nouvelles du front sexuel (2012) , Sans oublier (Belfond, 2014), Un couple, une ville (2015), Le Gardien de nos frères (Belfond, 2016). Dakota Song (Belfond, 2017), L’île aux enfants (2019), L’Amour au temps des éléphants (2021), Eteindre le soleil (2022)

Belfond, 30.03.2017, 448 pages / Charleston poche, 12.01.2021, 428 pages

Résumé : 

New York, 1970. Shawn Pepperdine, jeune de Harlem, assiste horrifié au meurtre de son meilleur ami. Pour échapper aux assassins, il trouve refuge dans les sous-sols du Dakota, l’immeuble le plus mythique de Manhattan. Dans une ville en pleine ébullition, le Dakota reste, lui, immuable : un club très fermé, un château médiéval sur Central Park, un havre de paix des  » rich and famous « . S’y côtoient Lauren Bacall, Leonard Bernstein et Rudolph Noureev. 

Ici, Polanski tournera les images du film Rosemary’s baby. Devenu le premier portier noir du Dakota, Shawn côtoie ses résidents : Nigel, Abigail, Nathan, Cherie, Becky, Andrew, Tyler, et les autres. Quand la plus grande star du monde, John Lennon, emménage à son tour, l’immeuble et sa communauté s’enflamment… Dakota Song raconte l’histoire d’un jeune homme écartelé entre deux mondes et les destins entremêlés de sept New-Yorkais amoureux fous de leur ville. 

Un portrait survolté d’une Amérique en pleine révolution artistique, intellectuelle et sexuelle, celle de la Beatlemania et du disco, du Studio 54 de Warhol et du Chelsea Hotel, du scandale du Watergate et d’une décennie de violences.

Mon avis:

Bienvenue dans le monde du DAKOTA, immeuble situé à Manhattan, au coin de Central Park West et de la 72ème rue. Bienvenue aussi à Harlem, mais c’est une autre histoire…
Ou plutôt c’est un Pau la rencontre entre un jeune de Harlem et le microcosme Dakotien…
Immersion dans le Dakota ( un personnage à part entière) mais aussi dans une galerie de personnages très attachants – qu’ils soient réels ou de fiction:
Shaun, Juan , Nigel, Abigail, Nathan, Cherie et Steve , Beckie et Christopher , Tyler et Telete, Andrew (Samuel) Binder, et les autres … ceux qui y résident et ceux qui y travaillent …
Et coté célébrités on va en côtoyer : Lauren Bacall, John Lennon , Yoko Ono, Sean Lennon,  Rudolf Noureev, Leonard Bernstein, Roberta Flack…

Gros coup de coeur pour ce roman qui est en plus instructif et social. Une sorte de chronique journalistique ( l’autrice a fait ses études de journalisme à New-York) et aussi un roman qui nous permettra de vivre dans le New-York des années 70/90 qui verra l’inauguration du mythique Studio 54, le moment où la parole gay commence à se faire entendre… Et le racisme … pas seulement contre les noirs, mais aussi contre les asiatiques, l’antisémitisme…
Tout commence par l’exfiltration de Harlem d’un jeune, pour fuir un gang qui a tué son meilleur ami. Et il va trouver refuge au Dakota ! Et devenir d’abord préposé au courrier, puis portier; le premier portier noir du Dakota. Et je ne vous en dis pas plus mais je vous encourage vivement à lire ce roman à la fois social, historique, qui parle de l’Amérique des années 70, et mélangé la grande et la petite histoire, dont bien sûr le meurtre de John Lennon… Des bas-fonds au luxe, je vous invite à marcher dans les pas de Shaun …

J’ai retrouvé avec infiniment de plaisir le Dakota, immeuble que j’avais découvert avec le merveilleux roman de Tom Barbash « Beautiful Boy » (RL2020)

Extraits:

Contrairement à moi, il avait quitté le lycée pour obtenir son diplôme de caïd.

La « Mecque noire » des États-Unis, comme on appelle Harlem depuis quelques années, ressemblait à ce que j’avais toujours connu : la drogue et le crime prospéraient.

Mogadiscio sur Hudson », voilà comment on surnommait mon quartier de bruit et de fureur dans les allées chic de Manhattan. Et on nous laissait nous entre-tuer. La moitié d’entre nous estimait ne jamais atteindre l’âge de trente-cinq ans : eh oui, au XXe siècle ! Cela me rendait fou car je l’aime, mon ghetto, malgré ses vitres crevées, ses squatters, ses collines de déchets où des arbres s’obstinent à pousser.

L’humour est une arme, mais parfois, face à un regard haineux ou à une moue de dégoût, la fureur inonde mes veines comme une maladie.

— Et voilà le Dakota ! s’exclame Eddy. Neuf étages de splendeur absolue. Un monde caché en plein Manhattan !

Le Dakota, forteresse palatiale en plein Manhattan, faisait figure de petit royaume, un écrin d’irréductibles privilégiés au cœur de la cité. La Grosse Pomme pourrissait lentement mais le Dakota ne changeait pas. 

Elle a lu quelque part qu’on parle huit cents langues à New York. Cette Babel donne le tournis.

Avec tout leur argent, avaient-ils encore des désirs, des envies, des rêves ou des soucis comme nous tous ?

Le Dakota, « ce château dans le ciel », l’avait impressionnée. Hérissé de flèches, de gargouilles, de tourelles, entouré de douves, l’immeuble lui évoquait le manoir de la famille Addams, et elle s’égarait dans ce dédale de halls, d’ascenseurs, de portes compliquées.

— Le Dakota est un paquebot. Notre rôle : lui permettre de naviguer par tous les temps. Le vôtre ne se limite pas à appuyer sur un bouton mais à veiller au confort et au bien-être de tous les Dakotiens.

Et puis, je suis le premier portier noir du Dakota : sacrée fierté d’avoir fait plier une institution aussi conservatrice ! Je n’attends pas de médaille, mais je me couche avec le sentiment d’avoir travaillé pour que chaque jeune né comme moi du mauvais côté de la ville puisse un jour saisir l’aide qu’on lui offre.

L’avantage avec les bêtes, c’est qu’elles vous aiment sans distinction de couleur de peau ou de compte en banque, et on n’est pas tenu de leur faire la conversation.

Chacun son monde, après tout. Le Dakota n’est ni ma maison, ni seulement un lieu de travail. Plutôt un sas entre deux univers, pour reprendre mon souffle, réfléchir à ma vie. Je m’y sens protégé, presque dans une bulle. Pour certains, je suis invisible ; pour d’autres, on me voit trop. J’observe les riches comme à travers une glace sans tain et j’en apprends davantage qu’à l’école.

« Nombreux sont ceux qui vivent en nous », comme disait l’immense Pessoa.

Je me demande bien ce qu’ils font ensemble, ces deux-là, tant ils sont dissemblables. Ma grand-mère répétait toujours qu’on ne doit pas mélanger les légumes avec les fruits…

Cet endroit s’incruste dans votre tête, respire par vos pores, prend vie dans vos muscles. Est-ce un immeuble ou une sorte de déité qui soumet ceux qui l’approchent ?

 

Dans les beaux quartiers, on parle du « pouvoir noir » avec un frisson dans la voix. Laissez-moi rigoler ! Il est où, notre pouvoir ? Les types des Panthères Noires que j’apercevais dans mon quartier, avec leur col roulé sombre, leur veste en cuir et leur poing tendu vers le ciel, ont tous disparu. Beaucoup ont été assassinés, le reste croupit en taule.

Tel un organisme vivant, le Dakota acceptait certains résidents et en rejetait d’autres, parfois violemment.

Son enfance est une terre lointaine, qu’il ne visite plus même dans le sommeil, qui lui échappe de toute façon, malgré les cachets.

C’est plutôt une qualité, un atout dans la vie, de ne pas se montrer servile, surtout avec les puissants.

Le grand écart entre deux mondes est devenu ma gymnastique mentale, la base de ce nouvel équilibre qui m’étonne. 

Bienvenue au Studio 54, le paradis sur terre, mon pote. Sex and drugs and rock’n’roll.

c’est ça la boxe ! De la poésie en acte, une danse dans la lumière, entre hommes qui se respectent. Pas seulement une affaire de muscles, de fric, de combines.

Les livres, les amis, les voyages… Tout cela peut vous aider. Pensez à vous…

— C’est une partie du problème. Je me suis pliée aux désirs des autres pendant si longtemps que j’ai oublié les miens.

6 Replies to “Bois, Ariane « Dakota Song » (2017) 428 pages”

  1. Autant j’avais aimé Le monde d’Hannah, autant j’ai adoré Dakota Song.

    Situé à l’ouest de Central Park, sur la 72e rue, le Dakota est un des immeubles les plus célèbres de New York. C’est là que Roman Polanski a posé l’intrigue de Rosemary’s Baby et s’y est vu refuser le tournage. C’est devant ses grilles qu’a été assassiné son plus célèbre résident, John Lennon.

    Entre 1970 et 1980, alors que New York est au bord de la faillite, c’est toute une époque qui se dévoile à travers le microcosme que constituent les locataires et le personnel de cet immeuble mythique.

    Par petites touches, chapitre après chapitre et année après année, nous apprenons à connaître les différents personnages.

    Il y a le portier Shaw, un jeune noir confronté quotidiennement à la violence de Harlem, qui apprendra beaucoup de certains locataires du Dakota mais qui se heurtera aussi au racisme des autres. Il y a Nigel, le timide professeur homosexuel. Il y a Abigail, jeune fille pourrie gâtée qui cache une profonde fêlure. Il y a Nathan, le psychanalyste juif méprisé par sa belle-famille et dont l’épouse se passionne pour les tueurs en série. Il y a Chérie, l’ancienne serveuse dont le seul but est d’intégrer la haute société new-yorkaise. Il y a Becky, amoureuse d’un mari qui ne la mérite pas. Il y a Tyler, l’enfant qui ne voit jamais ses parents. Et il y a tous les autres. Tous tellement attachants qu’on n’a pas envie de les quitter.

    Un très beau roman.

  2. Je ne sais pas pourquoi (peut être le DEA d’histoire contemporaine de Sciences Po et d’un Master en journalisme) qui ont attiré mon attention. Quand j’ai vu en plus de quel immeuble il s’agissait (style néo-Renaissance, du XIXème siècle : Rosemary’s Baby me rappelle des souvenirs de lycée), je me suis dit quel sujet captivant.

    1. Oui j’ai beaucoup aimé. Je dois dire que la vie des immeubles est souvent un sujet qui me plait beaucoup ( comme l’Immeuble Yacoubian par exemple)

  3. Je me souviens de ce livre égyptien. Un immeuble permet d’avoir un panel d’une société multiculturaliste et de diverses professions. Je ne suis pas certain que cette diversité socio-professionnelle se retrouve dans le Dakota Building. Même si les cheminements de chacun ne sont pas identiques.

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