Ihimaera, Witi « La baleine tatouée » (2022) – 156 pages

Ihimaera, Witi « La baleine tatouée » (2022) – 156 pages

Auteur: Witi Tame Ihimaera-Smiler est né en 1944 à Gisborne, non loin de Whangara en Nouvelle-Zélande. D’abord journaliste, puis diplomate, il s’est mis, en parallèle, à imaginer des histoires liées à sa culture, pour le théâtre et pour le cinéma. Il commence par travailler comme diplomate dans les années 1970. Il enseigne depuis 1990 la littérature anglaise à l’université d’Auckland. Il est considéré comme un auteur majeur de la littérature post-coloniale. En 2005, il a reçu la médaille de l’Ordre du mérite en littérature de Nouvelle-Zélande.

Son ascendance tribale est au peuple Te Aitanga-a-Mahaki ; il est également apparenté aux Tuhoe, Te Whanau-a-Apanui, Ngati Kahungunu et Ngai Tamanuhiri il a passé son enfance à se nourrir des histoires liés à ses origines et ses ancêtres.
Versatile et prolifique, premier romancier maori à être édité, Witi Ihimaera a publié douze romans, six recueils de nouvelles, écrit pour le théâtre et pour le cinéma, coproduit des films et documentaires, édité plusieurs livres sur les arts et la culture de Nouvelle-Zélande et enseigné à l’université d’Auckland. Il a reçu de nombreux prix prestigieux, dont le prix inaugural Star of Oceania de l’université d’Hawai’i en 2009, le prix de la Arts Foundation of New Zealand en 2009, le Toi Maori Maui Tiketike Award en 2010 et le Premio Ostana International Award décerné en Italie en 2010.

Editeur Au Vent des Iles – 03.03.2022 – 156 pages – traduit par Mireille Vignol

Résumé:
Dans les eaux abyssales de l’océan Pacifique, une baleine tatouée pleure l’homme qui la dompta et la chevaucha jadis, son fidèle compagnon…

Kahu grandit dans une tribu māori de Nouvelle-Zélande.
Enfant prodige, elle se confronte très tôt à l’autorité du chef Koro Apirana, son arrière-grand-père, qui refuse l’idèe qu’une femme puisse un jour lui succéder. Mais restera-t-il insensible au chant des baleines et à l’intrépidité de Kahu ? Jusqu’à quel point le respect des traditions doit-il rester figé dans une vision du monde qui ne reflète plus la réalité ?
Witi Ihimaera tisse un conte contemporain captivant et plein d’humour sur le courage, l’espoir, la puissance des femmes et l’importance des liens entre les générations.
Un livre phare qui permit au romancier māori d’asseoir sa renommée internationale.
La Baleine tatouée est le livre néo-zélandais le plus traduit dans le monde.

Mon avis : 

Dès le début ceux qui comme moi aiment les contes et légendes ont l’impression de plonger dans un monde enchanté, avec une écriture qui nous transporte dans un ailleurs de rêves, avec une plume en adéquation. Un univers plein de couleurs, de lumières, avec des reflets… Des animaux sortis droit du paradis… Au commencement, il y avait la mer, la terre, des dieux… et les anciens, avec leurs traditions et leurs coutumes… Et le fait même de parler des animaux en employant les mots māori amplifie cette sensation de se perdre dans le merveilleux…
Merveilleux aussi le dompteur de baleine qui est au centre de cette promenade à la fois poétique et sociétale.

Les personnages aussi sont attachants et leur caractère et comportements tellement compréhensibles ( même si le comportement de arrière-grand-père Koro Apirana, chef de la tribu me fait hurler!) Cet arrière-grand-père qui se refuse à transmettre le pouvoir à une fille, qui refuse de laisser une fille aller à l‘école pour y apprendre tout ce qui concerne les coutumes et l’histoire de son peuple. Et pourtant il est bien conscient que le savoir de son peuple se perd, que les anciens savaient parlera créatures de la mer et que maintenant, plus personne n’en est capable… « Le tohorā (baleine) a toujours eu une place unique dans l’ordre des choses » . Et pour sauver à la fois le peuple des créatures marines et le peuple des hommes, il faudrait que se dresse un individu capable de communiquer avec les dauphins, les baleines, pour les guider vers la survie…

Un énorme coup de coeur pour le personnage de Kahu, la petite fille qui voue un culte à son grand-père qui la rejette. Et pourtant rien n’entame son amour et sa dévotion au personnage de Koro. A chaque fois elle se fait repousser et à chaque fois elle revient. 

Comme dans la plupart des anciennes religions, au débit était la triade : Ici il s’agit de la triade de Kiwa. Tous les noms des endroits importants se transmettent sous forme de légendes, de chants. Les zones de pêche sont sacrées, sous la protection des gardiens. 

Ce récit est une ode au respect de la nature. C’est aussi un témoignage de l’importance de l’identité culturelle et de l’appartenance – ou non – à une minorité. C’est aussi une manifestation de l’inquiétude face à l’avancée du progrès, qui détruit avec la technologie la vie et les comportements ancestraux. C’est aussi la remise en question des humains qui se croient supérieurs aux dieux, à la nature, aux croyances immémoriales et qui veut imposer le vérifiable et le concret comme règle d’existence.
Alors que le secret de la vie est dans cette phrase «  Alors que tout le monde vive, et que l’harmonie entre terre et mer, entre les tohorā et toute l’espèce humaine, soit aussi maintenue ! »

Je ne vais pas vous raconter ce conte merveilleux. Je vous laisse le découvrir. Ce fut pour moi une lecture magique, de celles qui vous font voyager… et qui me donne envie d’en apprendre davantage sur la mythologie maori.
Ce livre ne pouvait que m’enchanter, car ceux qui me connaissent un peu savent que j’aime tout ce qui se rapporte à la mythologie et que la vie sous-marine me passionne. J’ai eu la chance de nager avec des dauphins en pleine mer, de voir des baleines dans la Péninsule Valdès, en Patagonie. En parlant de baleines, je vous conseille le livre de Sarano, François  « Le retour de Moby Dick» (2017) dans la magnifique Collection Actes Sud –Collection Nature Mondes sauvages

Et après avoir lu le roman, ( mais après seulement) je vous conseille de lire cet article sur le site de l’éditeur  : https://univers-cultures-sauvages.com/litterature/la-baleine-tatouee-de-witi-ihimaera-au-vent-des-iles/

Extraits:

La forme sombre s’élevait, encore et encore. C’était un tohorā . Une baleine, gigantesque. Un monstre marin. Au moment précis où il creva la surface, un poisson volant que l’extase propulsait toujours plus haut vit l’eau et l’air couler comme une mousse orageuse sur la noble créature et sut — oh oui ! – – que l’heure était venue. Car elle portait le signe sacré : un moko 1  en forme de spirale sur son front.

Le tohorā a toujours eu une place unique dans l’ordre des choses, même avant l’époque de Paikea. Ça remonte à des temps reculés, après que le ciel père et la terre mère ont été séparés, quand les enfants des deux divinités se sont partagé les divers royaumes de la planète. Le seigneur Tangaroa prit le royaume de l’océan et le seul à avoir un rang plus élevé que lui, le seigneur Tāne, était le père de l’homme et des forêts. Ensemble, ils ont établi la proche parenté de l’homme avec les habitants de l’océan, et de la terre avec la mer. C’était la première communion.

Il l’aimait infiniment, mais l’amour se change parfois en un jeu de pouvoir entre les ambitions que les parents nourrissent pour leurs enfants et les ambitions que ces enfants nourrissent pour eux-mêmes.

L’homme peut imprimer sa marque dans un lieu, mais, à moins de rester vigilant, la nature reprend vite ses droits.

Parfois, quand on vit intensément, on a tendance à oublier qu’ailleurs aussi l’existence suit son cours et s’adapte comme un caméléon.

Avec leurs mouvements langoureux et lyriques, les baleines semblaient démentir la réalité physique de leur taille ; leur nageoire caudale caressait l’eau et les guidait toujours plus au sud. Autour d’elles et au-dessus d’elles, les lions de mer, les pingouins et autres hôtes de l’Antarctique fusaient, tournicotaient et plongeaient en une valse pleine d’élégance.

L’aurore australe était comme Hine Nui Te Po, la déesse de la mort, qui embrasait le ciel au-dessus de cette terre resplendissante. 

Au lieu d’exacerber sa nostalgie, les souvenirs reléguèrent le passé au second plan ; le vieux mâle se tourna vers le présent et l’avenir.

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