Tuti, Ilaria « Fille de cendre » (2022) 409 pages

Tuti, Ilaria « Fille de cendre » (2022) 409 pages

Auteure : Née le 26 avril 1976, Ilaria Tuti vit à Gemona del Friuli, au nord-est de l’Italie. Passionnée de photographie et de peinture, elle a étudié l’économie et a travaillé comme illustratrice.
Série Teresa Battaglia : Véritable phénomène dans son pays, « Sur le toit de l’enfer » (« Fiori sopra l’inferno »)  premier volet de sa série autour de Teresa Battaglia, lui a valu d’être surnommée par la presse italienne la « Donato Carrisi au féminin ». Le tome deux « La nymphe endormie » (« Ninfa dormiente ») parait en 2018 (2019 pour la traduction française), le tome trois « A la lumière de la nuit » (Luce della notte) en 2021 , suivi du tome quatre « Fille de cendre »  (Figlia della cenere) en 2022, (Madre d’ossa). (La ragazza dagli occhi di carta) est le premier livre de la série, une nouvelle. 
Autres romans :  « Fleur de Roche» 2023 (Fiore di roccia 2020)

Robert Laffont ( La Bête noire) – 27.10.2022 – 409 pages (Traducteur Johan Frederik Hel-Guedj)

Résumé :
Une enquête à hauts risques pour la commissaire Teresa Battaglia. Incarcéré depuis vingt-sept ans, le tueur en série Giacomo Mainardi demande à voir la commissaire Teresa Battaglia. Il a des informations capitales à lui communiquer sur une enquête en cours. Affaiblie par sa maladie d’Alzheimer qui ne cesse de progresser, Teresa suit les indications données par Giacomo. C’est dans la basilique d’Aquilée qu’elle poursuit son enquête au coeur des ruines.
Là, le secret qui la lie à ce tueur risque d’éclater au grand jour. Le temps presse ; bientôt Teresa oubliera tout jusqu’à s’oublier elle-même…  »

Sandrone Dazieri  « L’Italie tient enfin sa reine du thriller ! »
Elle :  « Ilaria Tuti mêle habilement émotion et suspense. »

Mon avis :
J’ai retrouvé pour la quatrième fois,  avec une émotion toujours croissante la Commissaire Teresa Battaglia. Une femme forte et fragile à la fois, qui a un lourd passé mais qui fait preuve d’un courage à toute épreuve. Une femme qui a ses secrets, ses failles et ses faiblesses, mais qui est humaine, droite et loyale et surtout qui ne juge pas les autres; son humanité lui permet de dissocier les actes des personnes et de les comprendre sans s’arrêter aux faits.
Une femme qui ressent la vie dans son corps et dans son esprit. Une fois encore l’autrice associe l’enquête à l’âme des personnages et pas qu’à celle de Teresa. Et une fois encore, Teresa peut compter sur son équipe soudée pour la soutenir et la protéger; on retrouve également l’horrible préfet Lona qui lui en veut depuis près de 30 ans. Dans ce roman, Teresa se dévoile et c’est extrêmement émouvant. Son passé nous explique sa façon de voir les choses, son humanité, et nous explique aussi le titre du livre : une femme qui renait de ses cendres. 

C’est un thriller psycho-psychologique profond que l’autrice nous livre une fois encore.  Elle nous entraine dans le monde confus de la perte de repères, de la perte des réalités, dans un univers où les sensations et les émotions prédominent, où la mémoire s’efface lentement mais surement. A la fois elle perd pied mais à la fois elle continue d’avancer.  Alors oui c’est un roman sur la mémoire, mais aussi sur la mémoire du passé lointain… la mémoire qu’il convient de garder présente dans la vie, la mémoire de sa vie, de ses souvenirs, mais aussi celle des générations précédentes, et cela englobe les siècles passés.
Elle situe son intrigue dans le site historique d’Aquilée, lieu historique et hautement symbolique, nous raconte l’histoire du lieu, y mèle l’Antiquité, Isis et Osiris et bien d’autres divinités et personnages de l’Egypte ancienne, puis du christianisme. Et Aquilée devient partie intégrante de l’intrigue. (Je pourrais comprendre que toute la partie historique puisse ne pas plaire aux personnes qui sont réfractaires à l’Histoire avec un grand H. Pour moi c’est un plus incontestable et cela m’a donné l’envie d’en savoir plus sur Aquileia.)
Deux époques de la vie de Teresa, mais un seul meurtrier qui a des liens particuliers avec elle que je ne vais pas divulgâcher. Un homme qui est à la fois le mal absolu et son contraire, en dépit de ses actes. Un homme qui relie ses actes à un symbolisme puissant, un symbolisme qui enveloppe tout le roman. On retrouve aussi l’importance du « trophée » dans le cheminent de la pensée du tueur en série.
Elle nous parle en toile de fond – mais totalement intégrée à l’intrigue – d’art, de mythologie (égyptienne en particulier)  et de trésors archéologiques. Et quand elle met en particulier l’art de la mosaïque au centre de l’intrigue, cela me parle…
J’espère de tout coeur que ce quatrième tome n’est pas le dernier de la série mettant en scène Teresa Battaglia car nous la quittons fort diminuée. ….

Extraits:

— Ne te justifie pas. Cela sonne toujours faux et cela procure rarement l’effet espéré.

Votre terrain de chasse, c’est l’esprit. Le vôtre et celui des meurtriers. Vous réussissez à reconstituer leur histoire, vous voyez naître des intentions qui ensuite se réalisent. 

Vous parvenez à introduire une main dans la gueule d’un tigre, il vous la lèche, et il ronronne.

Elle le vit encaisser le coup, elle éprouvait de la peine pour lui et pour l’enfant qu’il avait été, trahi par le monde des adultes. Elle se détestait, mais l’enfoncer de la sorte était nécessaire, car pour ressentir la douleur des autres il faut parfois raviver la sienne, comme un spectre qui détient encore le pouvoir de vous flanquer la chair de poule.

Vous savez ce qui distingue un artiste d’un tueur en série ? La forme expressive. Pourtant, l’un et l’autre pensent en images, dialoguent avec des représentations intérieures, en communiquant avec leur monde psychique. Ils s’extraient de la réalité pour créer et y retournent uniquement pour concrétiser, autrement dit pour agir.

Croyez-moi si je vous affirme qu’il a été démontré que les phases successives du meurtre en série sont les mêmes que celles de la création artistique : phase aurorale, phase d’excitation, de séduction, phase créative, totémique…

Cela signifie que la région du cerveau reptilien que nous avons encore en commun avec les animaux et que nous conservons en nous depuis des millions d’années se tient toujours prête à partir à l’attaque, monsieur le préfet, et qu’il n’est guère avisé de laisser la chose se produire chez un homme qui éprouve le besoin de tuer pour se sentir bien. Ce serait comme aiguillonner une bête sauvage. En revanche, si nous éliminons les sources de stress, cette bête sauvage retournera se coucher. Nous sommes-nous bien compris ?

Antonio Parri savait lire sur les lèvres rigides des défunts, il était en charge des mystères des viscères, comme un hery-sesheta de l’Égypte antique.

Aquilée les avait accueillis avec ses vestiges à l’odeur minérale de la pierre d’Istrie, avec ses ruines du cirque et des thermes, et celles du port fluvial qui, jadis, reliait la ville à l’Adriatique, avant que le fleuve n’abandonne son lit pour aller s’étendre ailleurs avec plus d’emportement.

Parfois, renoncer signifie simplement recommencer.

si la perfection ne connaît pas la chute, elle ne connaît pas davantage la renaissance.

il n’y avait aucun moyen de détourner un tueur en série de ses intentions, surtout pas une fois engagé le processus mental qui le menait au rituel de l’homicide et aux étapes liturgiques qui suivaient

Sous leurs pieds, les féeries du paradis terrestre laissèrent place au récit biblique du prophète Jonas, jeté à la mer par les Phéniciens et sorti vivant après trois jours passés dans le ventre d’un monstre marin. Une allégorie de la résurrection. Les mosaïques de l’époque théodorienne avaient été découvertes au début du XIXe siècle, après être restées dans l’ombre pendant mille cinq cents ans, recouvertes d’une seconde couche de marbre.

— Les Américains utilisent le mot blue pour désigner une forme de mélancolie aussi délicate qu’inexplicable. Tu sais que le blues tire son nom des blue devils ? Au XIXe siècle, c’était ainsi qu’on appelait la dépression et le delirium tremens.

Teresa avait besoin de croire qu’il restait encore quelque chose à sauver dans le cœur d’un assassin, dans la descendance de Caïn, faute de quoi l’obscurité aurait vraiment pris le dessus sur elle aussi.

Parce qu’elle avait peut-être devant elle l’un des fils de Caïn et elle devait croire, elle avait voulu croire qu’elle serait capable de le sauver. Quant à lui, il la tuait tous les jours, un morceau de son âme après l’autre. Ce morceau, elle le ramassait, le recousait au reste. C’était à travers le sacrifice d’elle-même que Teresa attendait la rédemption de cet homme.

— La tortue est un symbole archaïque, elle habite le Tartare, les Enfers. Elle vit dans l’obscurité, alors que le coq annonce la lumière du jour nouveau.

le dépôt d’un cadavre, ou des morceaux d’un cadavre, répond à des exigences strictement personnelles de l’assassin, c’est son acte le plus intime.

La pâleur des morts possédait une couleur que Teresa ne saurait jamais décrire. Elle avait une consistance, elle appartenait au monde de la peur et du mystère.

Elle réussissait à tout percevoir des gens qu’elle avait devant elle, même l’horreur la plus abyssale, comme un état de fait. Voilà pourquoi elle était si forte dans son travail. Elle ne jugeait pas, elle ne se scandalisait pas. Elle cherchait toujours à comprendre. En revanche, cela avait un prix : elle souffrait, avec eux.

— Chez les Égyptiens anciens, eux aussi, la partie de l’âme qu’ils appelaient BA avait l’apparence d’un oiseau. Les âmes doivent se libérer des illusions des archontes et du monde matériel pour continuer leur ascension vers le Plérôme. 

Aberamentho, seigneur de l’Amenti ou de l’Amenthès. L’Amenthès était un lieu correspondant à la quinzième heure de la Nuit décrite dans le Livre des Morts des Égyptiens anciens, les territoires que Râ traverse pour ressusciter. C’était aussi une désignation d’Isis, la déesse cachée. Aberamentho, le serpent parfait qui s’enroule autour de l’axe du monde, constellation du Dragon, est l’une des incarnations de Jésus. C’était vrai. Le corps du chevreau semblait enroulé en spirale. Quelqu’un avait peut-être essayé d’effacer la figure originelle. 

Ces figures sont enfermées dans des octogones, parce que le huit est le chiffre qui symbolise l’outreciel.

— Le lièvre blanc est présent dans le cartouche d’Osiris : l’Unnefer, le ressuscité, le victorieux face à la mort. Un nom du dieu ressuscité qui d’un bond de lièvre va au-delà de la mort.

Il y a des choses touchant aux personnes que nous aimons auxquelles nous ne devrions jamais avoir accès. L’être humain est tissé de plus de mystère que de matière transparente, et cette proportion fait partie de sa nature la plus intime.

Nous sommes tous les victimes de quelqu’un et nous avons été au moins une fois des bourreaux.

Avec cette mosaïque, il montrait au monde l’image qu’il voyait quand il se regardait dans un miroir. Le langage de ceux que nous appelons des « monstres » est toujours issu de l’enfance, ancré.

Elle dérobait des instants de bonheur qui ne resteraient pas enfermés dans la mémoire du téléphone. Elle voulait imprimer les images et en tapisser la maison, dans l’espoir d’y reconnaître, dans ses épisodes de confusion les plus sombres, les visages des inconnus qui étaient à ses côtés. C’étaient des indices qu’elle se laisserait pour elle-même, afin qu’elle sache qu’elle pouvait se fier à eux. Elle n’avait rien d’autre à quoi se raccrocher, mais sa crainte était qu’un jour, dans ces clichés, elle ne se reconnaisse même plus elle-même.

L’inconnu avait manipulé l’imaginaire de Giacomo, ce Lazare, ce cadavre ressuscité qu’il avait toujours cru être. Comme Osiris, il était revenu de l’au-delà, mais il l’avait fait en se parant des couleurs de la mort, exactement comme le dieu toujours représenté avec la couleur verte de la putréfaction.

Je vous invite à aller sur le site Zone archéologique et la basilique patriarcale d’Aquilée de l’Unesco.   https://whc.unesco.org/fr/list/825/ 

Image : morceau de fresque – Basilique Aquilée

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