Pyun, Hye-Young « La nuit du hibou » (2022) 304 pages

Pyun, Hye-Young « La nuit du hibou » (2022) 304 pages

Autrice: Née en 1972 à Séoul, Pyun Hye-young a commencé sa carrière d’écrivain en 2000, en remportant le prix de Sinchunmunye décerné par le quotidien Seoul Sinmun pour sa nouvelle Essuyer la rosée. Elle a étudié l’écriture créative à l’université de Séoul Yedae et a obtenu une maîtrise en littérature coréenne à l’université d’Hanyang. Elle a publié deux recueils de nouvelles Aoï Garden en 2005 et Vers la basse-cour en 2007. Ce dernier a obtenu le prix du Hankook Ilbo. Elle a aussi reçu le prix Lee Hyo-sok en 2007.

Romans traduits en Français :
Cendres et Rouge (éditions Philippe Picquier, 2012) – Dans l’antre d’Aoï Garden (Decrescenzo éditeurs, 2015) – La Forêt de l’Ouest (Decrescenzo éditeurs, 2017) – Le Jardin (éditions Philippe Picquier, 2019) – La Loi des lignes (éditions Philippe Picquier, 2021) – La nuit du hibou (Editions Rivages noirs, 2022)

Rivages noirs – 01.06.2022 – 304 pages – traduit du coréen par Pascale Roux

Résumé:
Un avocat part à la recherche de son frère disparu dans un village de montagne entouré par une étrange forêt. Un roman d’épouvante coréen dans la veine de La petite fille qui aimait Tom Gordon de Stephen King.

« Ceux qui ont déjà lu Le Jardin auront une idée de la façon dont cette autrice vénéneuse envisage l’enfermement. Pire qu’un confinement, anxiogène comme chez King, distillé avec la finesse et la malignité d’un poison oriental », Le Point.

Mon avis:

Suis très mitigée… Le roman m’a plu du point de vue psychologique mais n’a pas grand chose à voir avec ce à quoi je m’attendais … Mais au final une surprise des plus intéressantes.
Le personnage central est un avocat, Lee Ha-in qui part à la recherche de son frère disparu pour faire plaisir à leur mère. Il déteste son frère mais décide de se rendre dans un petit bourg perdu pour retrouver sa trace. Aux derniers nouvelles, il travaillait comme garde forestier, mais il semble que dans le bourg personne ne le connaisse. A-t-il seulement existé? Je dis bien « il semblerait ». Une affaire de disparition d’une personne qui semble ne jamais avoir existé dans leur paysage .
Tous les habitants du lieu sont très énigmatiques et peu causants. Ce n’est pas la forêt qui est angoissante – d’ailleurs on ne peut pas y pénétrer en cette période – mais l’atmosphère générale de l’endroit qui est juste malsaine et étouffante. Tous les habitants du bourg semblent plus ou moins liées entre eux, et le point de convergence se précise au fil des pages.
Roman d’épouvante? Non… mais plongée dans l’enfer des ténèbres, oui.… malaisant certainement. Des personnages alcooliques, des non-dits, des personnalités troubles et dérangeantes. Une ambiance dans laquelle il est difficile de démêler le vrai du faux, le réel de l’irréel, la vérité de l’hallucination.  

Les personnages sont envahis par leurs ténèbres personnelles – leur passé, leurs actions, leurs peurs, leurs addictions – et s’y perdent comme dans une forêt dense et étouffante. Ils ne savent pas comment mener leur vie, trouver un chemin de fuite pour retrouver le droit chemin dans leur vie, et tournent en rond, reviennent sur leurs pas, se perdent, comme des une vraie forêt.. Ils sont enfermés en eux-mêmes comme un hibou des une cage…

Pour être glauque c’est glauque , une plongée dans l’addiction.
En toile de fond – à part la forêt somme toute assez peu présente – la société sud-coréenne. 

Comme toujours dans les romans asiatiques je me fais la petite liste des personnages car autrement je les mélange tous!
– Park In-su : le gardien
– Yu-jin : femme du gardien
– Lee Ha-in : l’avocat (frère du disparu)
– Lee Kyeong-in : le frère disparu
– Ha-kyeong : employée de l’Institut
– An-nam : propriétaire du bar
– Chang-ki: propriétaire de la blanchisserie
– Han Seong-su: propriétaire de la librairie
– Monsieur Jin : Le responsable des postes de garde
– Colonel Kim : le recruteur

Extraits:

– Impossible d’être en mauvais termes avec mon frère aîné.
– Je suppose que c’est parce qu’il a bon caractère.
– C’est parce qu’il est mort.

J’ai compris qu’il n’y a qu’une chose que les arbres puissent faire : rester droits, ancrés dans les profondeurs de la terre. Incapables de se déplacer. Ils n’ont pas d’autre choix que de demeurer à leur place. 

Il aimait scruter ainsi la réaction des gens quand il leur montrait quelque chose. Même lorsqu’il n’en avait pas particulièrement besoin, il le faisait. Il se plaisait à décoder les changements de la voix et les nuances de l’expression lorsqu’ils mentaient ou inventaient des alibis pour se disculper.

– … tous ceux qui entourent le malade savent également qu’il va bientôt mourir. Savez-vous comment les gens se comportent face à un mourant ?
– Euh… non, je ne sais pas… pas vraiment.
– Eh bien voilà, exactement comme ça : ils sont gênés et nerveux, ils bafouillent. Ma femme disait que ça lui donnait l’impression d’être déjà morte.

Le regard dans le vague, il était le spectateur d’un conflit intérieur entre deux lui-même, celui qui l’incitait à répondre et celui qui cherchait à fuir et prétendait tout ignorer. Ces deux-là se querellaient, cherchant chacun à l’emporter. 

En règle générale, les personnes qui mentent feignent de réfléchir intensément, plus que celles qui disent la vérité. Sans compter qu’un ton élevé et une voix adoucie sont des caractéristiques universelles du mensonge. 

L’alcool crée des problèmes partout, toujours. Ou plutôt : tout devient un grand problème avec l’alcool.

Silence. Rien de paisible à cet instant, mais un silence froid et rude comme le vent qui se levait dans la forêt.

La forêt faisait corps avec les ténèbres et dévorait le ciel, l’air, la terre.

À une époque, l’alcool avait été toute sa vie. Quoi qu’il entreprenne, c’était l’échec assuré, sauf une chose qu’il réussissait à coup sûr : boire. Tout ce qu’il touchait, il le gâchait. Tous ceux qu’il approchait, il leur faisait du mal. Mais l’alcool avait toujours été prodigue avec lui. La boisson lui avait fait presque tout perdre. Il l’avait compris et avait pris la ferme résolution d’arrêter, mais sa promesse avait aussitôt fondu.

Le passé persiste dans le temps et devient destin, il façonne notre existence, ne disparaît jamais, s’accumule dans le présent, s’y mêle et subsiste même dans l’avenir. C’est parce que le passé et le présent ont une existence incontestable et absolue que l’avenir est prévisible.

Il ne voulait pas se laisser duper par l’idéalisme et les accents lyriques de ce mot. Un « rêve », ce devait être quelque chose d’anodin et de terre à terre, faute de quoi on s’exposait à être trahi et humilié. 

Il se sentait comme un funambule qui a lâché son balancier, écarte désespérément les bras mais sait qu’il est déjà trop tard, il va tomber.

Fuir ?
– Oui, courir à toutes jambes, aller là où le feu est déjà passé, parce qu’il ne revient jamais en arrière. Il suffit de trouver où il est déjà passé et ça, c’est facile à voir, tout est carbonisé. Vous n’êtes pas d’accord avec moi ?

Mais ce retour en arrière lui ôtait toute volonté de surmonter les obstacles qui surgissaient dans le présent. Il s’était résigné au point d’oublier qu’un moyen simple de s’en sortir existait, s’il n’avait pas la force de lutter : partir. 

ce n’était pas dans la forêt qu’ils s’étaient égarés, mais dans leur vie.

Ils ne savaient pas que la vie se fissure parfois, à un moment de notre existence où l’on ne s’y attend pas, ouvrant un gouffre profond qu’il devient impossible de combler par la suite. 

Le seul pouvoir de l’imagination, c’est de nous ouvrir la voie des choses possibles.

Les liens qu’on entretient avec un mort, un disparu ou quelqu’un qui est loin sont toujours meilleurs qu’avec quelqu’un qui évolue dans notre environnement. Il arrive bien sûr que ce genre de personnes, les absents, s’immiscent dans notre vie

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