Chaon, Dan « Somnambule » (RLH2024) 384 pages

Chaon, Dan « Somnambule » (RLH2024) 384 pages

Auteur:

Dan Chaon, né le 11 juin 1964 à Sidney dans le Nebraska, est un romancier et nouvelliste américain. Il enseigne à l’université à Cleveland (Ohio), où il vit aujourd’hui.

Romans : Le Livre de Jonas  (2006) You remind Me of Me, 2004 – Cette vie ou une autre (2011) You remind Me of Me, 2004 – Une douce lueur de malveillance (2018) Ill Will, 2017  Somnambule (2024) Sleepwalk, 2022

Recueils de nouvelles : Fitting Ends, 1996 (non traduit) –   Parmi les disparus (2002) Among The Missing, 2001 – Surtout rester éveillé (2014) Stay Awake, 2012 

Albin-Michel – 28.02.2024 – 384 pages (Traduit par Hélène Fournier)

Résumé:

Au volant de son camping-car, accompagné de Flip, son fidèle pitbull, Will Bear sillonne les routes d’une Amérique ravagée par les coupures de courant et envahie de drones géants. En tant que mercenaire itinérant, il accomplit sous de multiples identités diverses missions, parfois au péril de sa vie : assassinats, pose d’explosifs, transport de prisonniers… Mais sa bonhommie naturelle et ses microdoses quotidiennes de LSD l’aident à garder le sourire.

Jusqu’à ce qu’une jeune femme l’appelle sur l’un de ses téléphones, pourtant intraçables. Elle prétend être sa fille biologique et se dit en grand danger. Est-ce la vérité ou un piège mortel ? Faut-il se débarrasser d’elle ou au contraire saisir cette opportunité pour enfin changer de vie ?

Jouant avec les codes du roman noir et de la dystopie, Dan Chaon nous propulse dans un monde dominé par la violence et la technologie – un univers à la fois si loin et si proche du nôtre.

« Mon livre préféré a longtemps été Mrs Dalloway de Virginia Woolf, mais j’en ai un nouveau : Somnambule de Dan Chaon. C’est un roman initiatique, au sens le plus abouti du terme. Une expérience de lecture unique. » Laura Kasischke

« Chaon confirme son statut d’auteur majeur de la littérature américaine contemporaine. » Le Figaro

« Dan Chaon nous avait subjugués avec Une douce lueur de malveillance. Il frappe  plus fort encore avec Somnambule. » Les Echos

Mon avis:

Un homme, pas très net, qui vit en marge de la société et effectue des opérations peu claires sous de nombreuses identités en traversant l’Amérique au volant d’un camping-car . Il y a même une liste des multiples identités du personnage au début du livre … la Nébuleuse brumeuse) Avant de partir sur les routes il a été emprisonné, est devenu fugitif, a été enfermé en hôpital psychiatrique. Il n’apparaît sur aucun registre, sa naissance n’a jamais été déclarée à l’état-civil et sa mère – une sociopathe –  était déclarée comme morte avant sa naissance. Mais il y a un marqueur qu’il ne peut effacer : son ADN.. Et lui qui se pensait fantôme, intraçable, invisible, a laissé sa trace dans une banque de sperme… Il semblerait même qu’il n’a pas qu’un enfant mais plus d’une centaine…
Will Bear (il se fait appeler comme ça) et Flip (son pittbull) ne sont pas à priori des personnages sympathiques et sont tous des des traumatisés de la vie, qui se méfient de tous et de tout. Il va se retrouver harcelé par des appels téléphoniques sur ses multiples portables réputés intraçables. Au téléphone une voix de femme : elle dit être sa fille biologique et se sentir en danger…
Au fil des conversations téléphoniques une relation va se nouer entre Will Bear et la jeune fille, Cammie. Will va retrouver en elle sa mère (le même rire) et les expériences de sa vie passée. Tous deux ont grandi sans père, tous deux souffrent de troubles mentaux depuis l’enfance. Mais est-ce sa fille? Existe-t-elle? N’est-elle pas un produit de l’Intelligence artificielle? Il connait des tas d’événements historiques qui se sont passés dans les régions qu’il traverse. Coïncidence ? Sa fille a fait des études d’Histoire… Est-ce vrai ? Est-ce-un moyen de s’identifier à elle? On va se rendre compte que plus ça va et plus Will révèle qu’au fond de lui, il voudrait être partie d’une relation, d’une famille et qu’il s’accroche de plus en plus à la possibilité d’avoir une fille, il voudrait tellement y croire.…
Bill carbure aux micro-doses de LSD et à bien d’autres substances …
Et il y a aussi la question de la confiance… A qui se fier ? Des amis? A Esperanza ? Les gens sont-ils virement ce qu’ils sont ? Et la question de nos origines, la recherche de nos parents, de nos racines, de notre hérédité. Will se demande à quoi il sert, à qui il est relié, si il a un passé, un avenir … 

Ce qui m’a un peu plombé la lecture, outre le fait que j’ai été nettement déboussolée et que l’auteur m’a perdue dans ses allers-retours , c’est qu’aucun des personnages ne m’a été sympathique …
Une expérience de lecture unique, telle est l’opinion de Laura Kasischke. On ne peut que lui donner raison. Le terme dont il se qualifie « la Nébuleuse brumeuse » qualifie parfaitement le roman dans sa globalité.

J’ai eu un peu de mal avec cette lecture. Il faut dire que je ne suis pas trop habituée à ce genre de livres.

Un grand merci à Francis Geffard aux Editions Albin-Michel – Terres d’Amérique pour leur confiance. 

Extraits:

C’est une terre plate couverte d’une herbe gris-jaune à perte de vue, avec des clôtures en fil de fer barbelé et des pylônes électriques ; ce à quoi l’amnésie ressemblerait si elle était un paysage. 

Nombre d’institutions publiques et privées aimeraient mettre la main sur moi – à commencer par des medtechs qui auraient pu avoir accès à mes vieux dossiers médicaux et à mon ADN juste pour me faire chanter. Mais j’ai aussi des ennemis chez les raéliens, Los Ántrax et les suprémacistes blancs, sans compter que certains membres du Front de Libération du Kekistan ont essayé de me localiser et que je suis quasiment sûr de figurer sur la liste noire de Gudang Garam. Et puis cet Adnan, qui sert d’intermédiaire pour le Hezbollah, aimerait sans doute m’éliminer. 

Mais une forte bouffée de solitude montait en moi – ce désir ardent d’avoir une famille qu’un dieu cruel a certainement fait naître en nous.

Vous êtes davantage un ingrédient », déclare-t-elle, et je remarque que sa voix se tend. « Il n’existe même pas vraiment de mot pour qualifier notre relation. On ne peut pas utiliser les mots “père” et “fille”, si ?

Ça fait plus de trente ans que je n’ai pas entendu la voix de ma mère, mais quand Cammie a ri, j’ai bien cru que ma mère sortait du téléphone et me mordillait le visage.

Qu’espérait-elle trouver chez un père ? Et moi, d’ailleurs ? Je ne m’en souviens pas. Peut-être rien du tout. Je me serais peut-être accroché à n’importe quelle vie placée devant moi, et je me demande si Cammie est pareille. Cette pensée me glace le sang.

La pauvre, il y a un optimisme désespéré dans sa voix qui sonne authentique

Mais apprendre à se connaître pose des problèmes. Quand Cammie dit : « J’ai fait des études d’histoire », elle est vraiment désinvolte, et fière de ce bon point que lui confère le mot études. Ce n’est pas grand-chose, mais ça me fait prendre conscience que, liés par le sang ou pas, nous ne sommes pas du tout du même pedigree.

Dieu que je déteste quand un souvenir s’impose à moi ! Le temps ralentit et j’ai un mauvais pressentiment – ce serait la fin la plus tragique, rendre son dernier souffle en ayant une lente prise de conscience. Je souhaite me réveiller un jour sur une île déserte, complètement amnésique.

À l’heure actuelle, pratiquement chaque individu se bricole sa propre version de la réalité qui dépend des médias, des sites Internet et des influenceurs YouTube à qui il a décidé de faire confiance, et donc, par principe, je me contente d’écouter les gens avec une oreille attentive en espérant qu’il y a un fond de vérité au cœur de leurs croyances.

Personne n’a dit que l’apocalypse serait inédite. Ça peut être un virus, une guerre nucléaire, une terrible catastrophe écologique, ou encore un astéroïde. Parmi la douzaine d’alternatives menant à la fin des espèces, c’est du virus qu’on a hérité.

C’est un nom mélancolique, délicat, avec de la dentelle de toiles d’araignée et des saules et des châteaux en ruine moussus dans un voile de brume.

Je suis né pour être utile. Comme la plupart des gens. Rares sont ceux qui traversent l’existence sans être la propriété de quelqu’un.

– Il y a une différence entre être utilisé et être utile, vous savez.

Le problème quand on compartimente les différents aspects de sa vie, c’est qu’après on a plus de mal à prendre du recul pour avoir une vue d’ensemble. Mais ça fout les jetons de se dire que tous ces éléments qu’on a cloisonnés, qu’on croyait distincts, sont peut-être reliés. Forment peut-être une constante.

Pourquoi est-ce que les bières sont toujours stressées ? Parce qu’elles ont la pression.

si vous connaissez l’histoire des États-Unis, vous savez que ce genre de sectes va et vient comme les ondulations d’une rivière, elles sont oubliées puis remplacées, encore et encore. C’est un peu comme si on ne retenait jamais la leçon.

Les gens sont fous, voilà ce que je veux dire. Du moins, la plupart d’entre eux. Il est tellement plus facile de tuer que de connaître le tourment de l’empathie, et jusqu’au bout nous ne pourrons pas nous empêcher de nous diviser en tribus, même quand nous ne serons plus qu’une poignée. Même le jour du Jugement dernier, nous calculerons nos profits et nos pertes et penserons gaiement à ce que nous accumulerons le lendemain.

Las, comme on disait autrefois. Comme le monde serait heureux si nous tous, l’humanité entière, pouvions nous réveiller complètement amnésiques sur une île déserte.

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