Solà, Irene «Je t’ai donné des yeux et tu as regardé les ténèbres  » (2024) 192 pages

Solà, Irene «Je t’ai donné des yeux et tu as regardé les ténèbres  » (2024) 192 pages

Autrice: Irene Solà est une écrivaine, poète et artiste née le 17.08.1990 à Malla en Catalogne. Ses poèmes et ses courts-métrages ont été présentés à la Whitechapel Gallery de Londres, ainsi qu’à Barcelone, Santander et Gérone. Je chante et la montagne danse a obtenu quatre prix littéraires, dont le prix de littérature de l’Union européenne en 2019. Il sera traduit en dix-sept langues. Le livre a également été adapté au théâtre en Catalogne.Edmond Raillard est professeur émérite à l’Université Grenoble Alpes et traducteur du castillan et du catalan. Il a reçu le Grand Prix de la Société des gens de lettres, le prix Laure-Bataillon, et le prix Rhône-Alpes du livre.

Romans : « Je chante et la montagne danse » (2022) – «Je t’ai donné des yeux et tu as regardé les ténèbres  » (2024)

Seuil – Collection Cadre vert – 19.08.2024 – 192  pages – Traduit du catalan par Edmond Raillard (Et vaig donar ulls i vas mirar les tenebres -2023) –

Résumé:
Entre les falaises des montagnes catalanes, se cache le mas Clavell. Dans cette maison reculée, à l’aube, une femme âgée, exagérément âgée, entame son dernier jour. Et toutes les femmes nées et mortes entre ces murs sont là pour la veiller. Joyeuses, elles préparent une fête en l’honneur de celle qui au soir viendra les rejoindre. Cette seule journée contient dès lors quatre siècles de souvenirs. Ceux de Joana, qui voulait un mari.
Ceux de Bernadeta, dont les yeux voient ce qu’ils ne devraient pas. Ceux d’Angela, qui n’a jamais mal. Ceux de Margarida, qui au lieu d’un coeur entier a un coeur aux trois quarts, plein de rage. Ou ceux de Blanca, née sans langue, la bouche comme un nid vide, qui se contente d’observer. Ou d’autres encore. Après « Je chante et la montagne danse », Irene Solà signe un roman vivant et drôle, peuplé de légendes et profondément poétique.
De sa prose puissante et musicale, elle célèbre la lumière et les ténèbres, la vie et la mort, la mémoire et l’oubli.

Mon avis:
J’avais eu le coup de coeur en lisant son premier roman «  Je chante et la montagne danse »(2022)
Mais là j’ai eu un choc !  J’aime toujours autant son écriture qui ne ressemble à aucune autre. J’aime ses descriptions, les couleurs, mais du début à la fin du roman on nage dans le malaise. Et j’apprécie toujours les contes, les légendes, les traditions locales qui sont partie intégrante du roman.
Je dois dire que je me suis perdue avec les sauts dans le temps, mais au final la temporalité n’est pas la notion la plus importante… L’important ce sont les ténèbres – intérieures et extérieures – , la mort, l’enfer, le démon…
Il faut relever que même si le roman couvre plusieurs siècles, les chapitres eux ont pour titres les moments du jour (Aube – Matin – Midi – Après-midi – Soir – Nuit) et l’action a pour cadre le Mas Clavell, un personnage à lui tout seul : il est décrit comme tel, glauque au possible et on le visualise par des mots tels que gueule, chair…
Le livre est très sombre, sordide, obscène par moments … Partout règne la puanteur, la noirceur, la violence, la malédiction. Les relations entre les femmes et les animaux prennent une grande place dans le livre, et là aussi le malaise règne… L’ambiance est anxiogène et l’atmosphère viciée au possible.
Le roman parle d’une famille sur plusieurs générations, c’est un roman qui parle principalement des femmes de la famille, de mort, de contes et légendes, d’un pacte passé avec le diable et de la descente aux enfers, celle de Margarida. Les enfants sont maudits et ils naissent avec un morceau en moins (langue, oreille, orteil…) …
Impossible à raconter, c’est noir, et je ne suis pas très sûre d’avoir vu les cotés joyeux et drôle et la célébration de la lumière évoqués dans le résumé…
C’est une expérience de lecture… quand à dire que j’ai aimé … c’est moins évident…

Extraits:

Elle comprit que tout a un prix. Et que le prix est toujours trop élevé.

Dieu a fait les arbres et les rivières et les montagnes et les animaux jolis et profitables. Et le démon a fait les bêtes vilaines et sauvages

Dieu a fait le chat et le démon a fait le rat. Dieu a fait le cheval et le démon le serpent. Dieu a fait la brebis et le démon la chèvre.

La maison craqua comme si on avait écrasé ses os. Ensuite il y eut un long silence que rompit la chouette, dehors, puis à nouveau le silence. La nuit était tapie dans le mas comme une bête sauvage et les ombres se promenaient dans la maison, sans pieds. Chaque recoin avait une noirceur propre, lourde, caverneuse, profonde. La chambre où dormait Bernadeta était sinistre. Le salon était lugubre. L’escalier ressemblait à un puits. L’entrée était glauque. La cuisine, la gueule d’un loup. Sans fond.

L’entrée du mas était humide et sombre, comme une gueule. Ses murs rêches étaient la chair à l’intérieur des joues. Des poutres au plafond, comme un palais rayé, et un sol de roche, une langue usée après tant d’années passées à engloutir. 

avec un couteau il avait détaché les tendons des talons et des genoux de la sorcière, de telle façon qu’après la mise en terre son mauvais esprit ne pourrait plus se relever.

Quand le premier enfant de Margarida fut sur le point de naître, Joana et Blanca bouchèrent les fenêtres et scellèrent les portes pour empêcher les méchancetés et les courants d’air d’entrer. 

Vous, les femmes, vous vous accrochez aux lieux, répondait-il, vous vous y attachez comme des chiennes. Au passé, aux maisons, aux mioches, aux choses.

Le soleil grimpa jusqu’à la moitié du ciel, blanc et froid, comme s’il était nu. Le sentier rouge gisait comme un serpent devant la maison, dans les arbres les feuilles les plus hautes recevaient une caresse défaillante, et le mas fermait les yeux et tendait le visage pour que les rayons délicats lèchent sa façade.

Le brouillard se levait en murmurant, un matin après l’autre, et les enveloppait avec tellement de soin que, parfois, le soleil se couchait sans qu’il se soit dissipé. Tous ensemble, ils les préservèrent et les dissimulèrent avec tant de jalousie que, non seulement ce mas tombé en disgrâce tomba aussi, rapidement, dans l’oubli des autres habitants dispersés de la contrée, mais la maison était si bien cachée que même le temps qui passe finit par l’oublier, les années s’en désintéressèrent, ainsi que des femmes qui l’habitaient.

Si on ne peut pas garder sa mort pour soi toute seule, alors qu’est-ce qui nous reste qui soit rien qu’à nous ?

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