Minoui, Delphine « Badjens » (RLE2024) 160 pages


Minoui, Delphine « Badjens » (RLE2024) 160 pages


Autrice: Delphine Minoui, née en 1974, est une journaliste franco-iranienne spécialiste du Moyen-Orient et plus particulièrement de l’Iran.

Delphine Minoui est grande reporter au Figaro, spécialiste du Moyen-Orient. Prix Albert Londres 2006 pour ses reportages en Iran et en Irak, elle sillonne le monde arabo-musulman depuis 20 ans. Après Téhéran, Beyrouth et Le Caire, elle vit aujourd’hui à Istanbul, où elle continue à suivre de près l’actualité syrienne. 

Ecrits :  Jeunesse d’Iran : Les Voix du changement ( Autrement – 2001) –  Les Pintades à Téhéran (Jacob-Duvernet – 2007), Moi, Nojoud, dix ans, divorcée (Michel Lafon), de Tripoliwood (Grasset – 2011), Je vous écris de Téhéran (Seuil – 2015), Les Passeurs de livres de Daraya (Seuil – 2017),  L’Alphabet du silence (Éditions Iconoclaste – 2023),  Badjens (Seuil 2024)

 Editions du Seuil – Cadre rouge – 19.08.2024 – 160 pages

Résumé:

« Bad-jens : mot à mot, mauvais genre. En persan de tous les jours: espiègle ou effrontée. »
Chiraz, automne 2022. Au cœur de la révolte « Femme, Vie, Liberté », une Iranienne de 16 ans escalade une benne à ordures, prête à brûler son foulard en public. Face aux encouragements de la foule, et tandis que la peur se dissipe peu à peu, le paysage intime de l’adolescente rebelle défile en flash-back : sa naissance indésirée, son père castrateur, son smartphone rempli de tubes frondeurs, ses copines, ses premières amours, son corps assoiffé de liberté, et ce code vestimentaire, fait d’un bout de tissu sur la tête, dont elle rêve de s’affranchir. Et si dans son surnom, Badjens, choisi dès sa naissance par sa mère, se trouvait le secret de son émancipation ? De cette transformation radicale, racontée sous forme de monologue intérieur, Delphine Minoui livre un bouleversant roman d’apprentissage où les mots claquent pour tisser un nouveau langage, à la fois tendre et irrévérencieux, à l’image de cette nouvelle génération en pleine ébullition.

Mon avis:

Tout commence à la naissance d’une petite fille, Zahra (Bad-jens pour sa Maman – mauvais genre vu que c’est une fille) à Chiraz, une ville du Sud-Ouest de l’Iran.

C’est la révolte de cette jeune fille, qui exprime la révolte de toute sa génération. C’est la révolte contre le port du foulard imposé depuis l’arrivée au pouvoir des Ayatollah, c’est la révolte contre le régime des Mollahs. C’est la révolte contre son père, qui ne voulait pas d’une fille. D’une fille invisible aux yeux de tous, sauf de sa mère.
A 9 ans elle quitte l’enfance, au moment où le foulard devient obligatoire, où elle entre dans le monde des femmes dans la société…
Et à 16 ans, elle monte aux barricades: c’est la révolte, la révolution des filles, des femmes, déclenchée par la mort d’une jeune étudiante iranienne d’origine kurde de 22 ans, Mahsa Amini, suite à des violences policières. Le soulèvement des jeunes (et des moins jeunes), la diffusion des mots et des images au niveau planétaire, la rage plus forte que la peur, une génération en marche.
C’est un témoignage poignant et révolté sur la vie quotidienne des femmes, sur la façon dont les hommes se conduisent, jeunes ou vieux, sur le poids de la présence masculine à la maison, sur l’oppression vécue à chaque instant… C’est un cri…

Extraits:

C’est mon père qui avait insisté pour l’échographie. Il voulait s’économiser le papier peint bleu sur le mur de ma future chambre et le joli berceau en osier en cas d’« erreur », comme il m’a longtemps appelée.

L’islam, religion d’État, interdit l’avortement.
Sauf qu’en Iran tout se négocie, même la religion.

J’ai appris à me dédoubler pour exister. Je suis « moi ». Je suis « toi ». Zahra et Badjens à la fois. À deux, on se sent mieux. On s’additionne pour corriger la soustraction.
D’aussi loin que je me souvienne, c’est à l’école que j’ai pleinement intégré cette double identité.

Je me suis reprogrammée.
Il y aura un dedans et un dehors.
La vie imposée et la mienne.
À l’école et dans la rue, je serai celle qu’on veut que je sois.
À la maison, celle que je veux être.

Mais ce qui m’exaspère au plus haut point, c’est ce culte de la mort à tout bout de champ.
Comme si nous valions mieux sous terre que sur terre.

C’est juste que notre génération refuse d’hypothéquer sa vie contre la peur des autres !

Le message implicite de mes tenues est justement que je ne veux pas être comme ces hommes qui m’imposent leurs lois. Mon père, tout autant que les ayatollahs !

À la maison, comme en public, il faut toujours sauver les apparences. Ne pas donner l’air de.

La victime est devenue la « fautive ».
Coupable de s’être défendue.

Elle parle d’un « printemps » assassiné, dont les bourgeons continuent à germer.
– Tu peux arracher les racines d’un arbre, il repoussera toujours sous une autre forme, à une autre saison !

Parfois, je me fais peur : à force de mettre des masques, la vraie « moi » finira-t-elle par se dissoudre dans le néant ?

Les mots sont des armures contre la prison de nos maux.

En persan, ce n’est peut-être pas anodin, il n’y a ni masculin ni féminin.
Comme si les lettres mâles avaient endormi les femelles avec un coton d’éther.
Au final, tout est neutre.
On ne dit pas « la chaise » ou « le chaise ». On dit « chaise ».
On ne dit pas « il aime » ou « elle aime ». On dit « aime », tout simplement.
Un genre unisexe. Ou plutôt asexué. Le masculin neutralise le féminin, l’annule et le tue.

Elle tourne sur elle-même, toupie de sa propre tragédie.

Devant mon écran, je me marre en regardant cette vidéo YouTube où un milicien s’adresse à ses camarades :
« Impossible d’en découdre avec toutes ces jeunes manifestantes. On a beau leur tirer dessus, on se prend des vases, des fers à repasser, des pots de fleurs sur la tête… »

Ils voulaient assassiner nos rêves.
Nous sommes devenues leur pire cauchemar.

Image : Iran : (« Je m’imagine plutôt ce pays, qui a la forme naturelle d’un chat »)

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