Lynch, Paul «  Le chant du prophète » (RLE2025) 304 pages

Lynch, Paul «  Le chant du prophète » (RLE2025) 304 pages

Auteur : Paul Lynch est un auteur irlandais est né le 9 mai 1977 à Limerick dans le Donegal et vit aujourd’hui à Dublin. Il a été journaliste et critique de cinéma à Sunday Tribune de 2007 à 2011 et a écrit régulièrement dans le Sunday Times. Il est actuellement écrivain à temps plein.
Son premier roman, « Un ciel rouge, le matin » (Albin Michel, 2014 – Red Sky in Morning 2013), a été unanimement salué par la presse comme une révélation et finaliste du Prix du Meilleur Livre étranger. A suivi « La Neige noire » (Albin Michel, 2015 – The Black Snow 2014), récompensé par le Prix Libr’à Nous et largement plébiscité par les lecteurs. Il publie « Grace » ( Albin-Michel, 2019 – Grace 2017)  , « Au-delà de la mer » (Albin-Michel, 2021 – Beyond the Sea 2019),«Le Chant du prophète» (RLH2025 – Prophet Song 2023)

Il obtient en 2023 le prestigieux prix Booker pour son cinquième roman, « Prophet Song », un récit dystopique narrant l’histoire d’une femme luttant pour protéger sa famille alors que l’Irlande sombre dans le totalitarisme.

Albin-Michel – 02.01.2025 – 304 pages (« Prophet Song » 2023 –  traduit par Marina Boraso) Booker Prize 2023

Résumé:
A Dublin, un soir de pluie, deux hommes frappent à la porte d’Eilish Stack. Membres d’une toute nouvelle police secrète – le GNSB -, ils demandent à s’entretenir avec son mari, enseignant et syndicaliste, mais celui-ci est absent. Jarry se rend au commissariat dès le lendemain, puis disparaît dans des circonstances troublantes. Tandis que le malaise s’installe peu à peu, Eilish voit son quotidien et celui de ses quatre enfants amputés d’une liberté qu’elle tenait pour acquise. Bientôt l’état d’urgence est déclaré, les rumeurs parlent de camps d’internement… Prisonnière d’une logique cauchemardesque, jusqu’où devra aller Eilish pour protéger les siens ? Récompensé par le Booker Prize, Le Chant du prophète saisit, dans un souffle d’une puissance implacable, le basculement progressif d’une société vers l’autoritarisme. Paul Lynch nous fait vivre cette expérience à travers un regard – celui d’une femme – qui nous renvoie à notre propre aveuglement.

Mon avis:

Comme toujours je me précipite sur les livres de cet auteur. Je l’ai d’ailleurs tous lus et j’ai eu chaque fois le coup de coeur/coup de poing.
C’est juste un livre extra-ordinaire, présenté comme dystopique … mais qui semble malheureusement extrêmement réel. Cela peut sembler étrange mais il est a la fois extrêmement humain et totalement inhumain ! Tellement dur que je n’ose pas le qualifier de coup de coeur … et pourtant c’est le cas ! 

Dystopie ? Cela semble tellement plausible que j’ai eu l’impression d’être plongée dans la réalité et c’est cela qui m’a totalement bouleversée, terrifiée, révoltée.
Une Police secrète qui chamboule toute la société, qui transforme les lois, une dictature déguisée – ou pas …
Une ambiance de cauchemar, dans un roman dans lequel toutes les règles sont bousculées, y compris au niveau de l’écriture avec les dialogues intégrés dans le texte, de longues phrases qui insufflent le chaud et le froid, l’angoisse et l’effondrement et qui nous font passer par toutes les couleurs de la vie… au rythme de l’angoisse et de l’attente interminable…
Et le style tellement sublime, ces descriptions qui mêlent obscurité et lumière, tant au niveau visuel qu’humain. Le choc du bruit et du silence, de l’humanité de certains et l’inhumanité des autres, de la liberté et de l’enfermement, de l’envie de fuir et de celle de faire face, de la vision du chaos et du refus de l’admettre, la confrontation entre un monde de démocratie et la dictature qui est à nos portes. La réalité est bien présente, la Syrie, la guerre en Ukraine, Gaza transposés en Irlande… On bascule dans un monde de non-droit, on vit dans l’angoisse, avec les disparitions, les bombardements… et pourtant… il y a cette lueur d’incrédulité, d’espoir…
On est – il faut le dire – dans une dystopie existante… les fake-news, la perte de liberté, le musèlement des idées, des intellectuels, de la presse, l’opposition entre deux camps – ceux qui se battent, qui résistent  et ceux qui s’aplatissent…
Les personnages sont bouleversants, entre la mère qui refuse de croire à l’impensable, qui se retrouve seule face à ses doutes et incertitudes avec un père atteint d’Alzeihmer et quatre enfants dont un bébé…
Je ne vais pas vous en dire davantage et vous laisser découvrir cette femme fracturée mais debout, cette Irlande divisée en deux, sous les bombes, ce chemin de survie… tout cela dans la peur, une atmosphère anxiogène, l’urgence, la résistance, la douleur …. Et l’espoir en filigrane…

Je vous laisse découvrir ce qu’est le chant du prophète «  un chant identique répété de siècle en siècle… »  comme le décrit l’auteur.  

Epoustouflant ! 

Un grand merci aux éditions Albin-Michel pour la découverte et leur confiance.

Extraits: ( souvent des extraits de phrases car elles sont si longues… comme ces guerres qui n’en finissent pas de passer)

… ils entretiennent la confusion, et si l’on prétend qu’une chose en est une autre et qu’on le répète assez longtemps, eh bien elle finit par le devenir, et il suffit de le répéter indéfiniment pour que les gens l’acceptent comme une vérité – rien de bien neuf là-dedans

… elle sait comment vont les choses, tous les garçons grandissent et finissent par quitter le foyer pour défaire le monde sous prétexte de le façonner, la nature en a décidé ainsi.

Elle observe le mensonge surgir de sa bouche, le mensonge inaperçu qui accomplit son ouvrage, tandis que son fils se laisse retomber sur la banquette en soufflant, tout ce qu’elle lui dit est systématiquement tenu pour vrai.

– Elle démarre la voiture, déjà effrayée par les autres mensonges qui suivront forcément, qui sortiront de sa bouche, elle trouve scandaleux de mentir à un enfant, ne serait-ce qu’une seule fois, car sitôt qu’on l’a proféré le mensonge ne peut plus être annulé, il subsiste hors de la bouche telle une plante toxique qui paralyserait la langue.

L’impression de vivre désormais dans un pays étranger, le pressentiment d’un chaos qui ouvre grand la gueule pour les attirer à l’intérieur.

Quelque part dans l’obscurité de son corps, une bougie est allumée pour lui, mais lorsqu’elle cherche à étendre sa clarté au-delà, elle ne rencontre que les ténèbres.

… elle comprend que le bonheur se niche dans ce qui relève de l’ordinaire, qu’il réside dans les mouvements quotidiens comme s’il devait rester invisible, telle une note qui demeure inaudible tant qu’elle ne résonne pas depuis le passé

Tôt ou tard, la douleur devient trop violente pour que la peur résiste, et lorsque la peur aura disparu, le régime sera forcé de capituler.

– Elle est assise à la cuisine devant son ordinateur, désarrimée, désaccordée, tandis que la nuit entre par la fenêtre ouverte et que la ville adresse ses murmures aux arbres rêveurs.

Sa détresse soudaine quand elle monte l’escalier, elle constate que le temps n’est pas une ligne horizontale, mais un poids à la trajectoire verticale qui va s’écraser au sol.

Non, maman, c’est à toi de m’écouter cette fois, je veux que tu entendes ce que j’ai à dire, je suis privé de ma liberté, tu comprends ça, quand on s’incline devant eux on n’a plus la liberté de penser, d’agir et d’exister, je ne peux pas vivre dans ces conditions, la seule liberté qu’il me reste, c’est celle de me battre

… j’essayais de sonder le problème qui se tenait devant moi comme une immense obscurité, ce silence qui dévore chaque seconde de ma vie, à force j’ai cru perdre la raison et puis je me suis réveillée et j’ai commencé à saisir ce qu’ils nous font, c’est tellement intelligent, comme méthode, ils te prennent quelque chose et ils le remplacent par le silence, et toi tu ne vis plus, tu es constamment face à ce silence, tu n’es plus qu’une chose confrontée à ce silence, une chose qui attend que ce silence s’achève, une chose à genoux qui le supplie à voix basse, une chose qui attend qu’on lui restitue ce qu’on lui a enlevé pour pouvoir reprendre le cours de sa vie, mais ce silence n’a pas de fin, tu comprends, ils te laissent vaguement espérer que ce qui te manque te sera un jour rendu et toi tu restes là paralysée, amoindrie, émoussée comme un vieux couteau, et ce silence ne finit jamais parce qu’il est la source de leur pouvoir, sa signification secrète.

… il continue à vivre dans ton cœur, il est près de toi à cet instant et te tient contre lui, et il sera toujours là pour la bonne raison que l’amour reçu dans l’enfance reste à jamais logé en nous, et ton père t’aimait énormément, son amour pour toi, personne ne peut te l’enlever ni l’effacer, ne me demande pas pourquoi, fais-moi seulement confiance car c’est la pure vérité, ça fait partie des lois du cœur humain.

Les journées passent et Eilish regarde la pluie de lumière s’écouler comme un ruisseau, l’hiver emporte chaque jour ce que le jour a laissé connaître, et pourtant cette connaissance persiste dans son cœur, ce cœur pareil à un tambour que battrait son chagrin.

… maintenant, je me rends compte que ce que je prenais pour de la liberté n’était qu’une façon de se battre, la liberté, on ne l’a jamais eue.

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