Lynch, Paul «La neige noire» (2015)
Auteur : Paul Lynch est un auteur irlandais est né en 1977 à Limerick dans le Donegal et vit aujourd’hui à Dublin. Il a été journaliste et critique de cinéma à Sunday Tribune de 2007 à 2011 et a écrit régulièrement dans le Sunday Times. Il est actuellement écrivain à temps plein.
Son premier roman, « Un ciel rouge, le matin » (Albin Michel, 2014), a été unanimement salué par la presse comme une révélation et finaliste du Prix du Meilleur Livre étranger. A suivi « La Neige noire » (Albin Michel, 2015), récompensé par le Prix Libr’à Nous et largement plébiscité par les lecteurs. Il publie « Grace » en 2019, « Au-delà de la mer » (RL2021)
Résumé : « En 1945, Barnabas Kane, sa femme, Eskra, et leur petit Billy, retrouvent les terres irlandaises après quelques années passées aux États-Unis. Dans le Donegal dont est originaire Barnabas, la famille trime chaque jour dans la ferme dont ils sont devenus propriétaires. Mais, voilà, un terrible incendie réduit en fumée tout ce travail, brûlant le bétail dans d’atroces conditions. Matthew Peoples, leur employé, bravant ces flammes en s’enfonçant dans cette chaleur étouffante, y paiera de sa vie. Barnabas, qui a tenté de le suivre, sera sauvé par les voisins venus en renfort pour éteindre l’incendie. Dès lors, celui que l’on traitera de faux-pays, tenu responsable de la mort de l’un des leurs, se heurtera à l’hostilité du voisinage, aussi bien celle de la veuve Peoples que les autres fermiers.
Paul Lynch nous offre un roman d’une grande force, habité par une nature et des âmes empreints d’une même rudesse inhospitalière. Originaire du Donegal, l’auteur a su décrire comme personne ses paysages sublimes, sa nature âpre, ses habitants rugueux et ses croyances. Malgré ses origines irlandaises, Barnabas sera confronté à la rancœur de ses voisins. Avec Eskra, le duo qu’ils formaient s’effrite peu à peu, lui campé sur ses ambitions terriennes, elle plus objective. Même Bill, leur enfant, leur cache certaines choses. La tension est de plus en plus palpable entre eux et avec les gens du village. L’auteur a su créer une ambiance à la fois oppressante et étouffante, désespérée. Un roman dense »
Mon avis : Dans son précèdent roman, « Un ciel rouge le matin » (voir article) il était question des conditions d’existence de ceux qui débarquent aux Etats Unis sans un sous en poche. Ici il est question du retour d’un Irlandais vers sa terre natale… Et cela va s’avérer pire encore !!! Après quelques années à New York, Barnabas Kane revient avec sa femme, une américaine… Il n’est plus considéré comme un « local » et il suscite la jalousie et la haine de ses voisins. Ce qui était un retour aux sources va se transformer un cauchemar… Il ne fait pas bon être considéré comme étranger dans son propre pays.
Le roman commence par l’incendie de son étable et la mort de l’un de ses voisins venus l’aider pour éteindre le feu : c’est le début de la fin… Alors qu’il tente de reconstruire son étable et de s’en sortir, les habitants du village vont lui tourner le dos. Le livre est de fait l’illustration d’un conflit qui va opposer un homme à la société dans laquelle il tente de retrouver sa place. C’est un livre marqué par la violence ; la violence du feu, de la nature, des éléments, mais aussi la violence des personnages. La rage de s’en sortir, mais aussi le vide, la solitude, la perte de repères, la suspicion… la descente aux enfers… C’est un livre sur la culpabilité, sur l’orgueil, sur la force de caractère et sur l’effondrement … Nous passons par de moments de dépression, de motivation, des états de découragement suivis de périodes d’optimisme : le chaud et le froid soufflent tout au long du roman, à tous les niveaux : la vie et la mort, le feu et la glace, l’amour et la haine, l’espoir et l’abattement.
J’avais préféré le premier, moins violent mais le talent de cet auteur pour les descriptions et sa façon de décrire la vie à la campagne, les sons, les lumières, les paysages est superbe
Extraits :
Dans la pièce, le crépuscule cisèle des ombres qui s’étirent comme les fauves noirs d’une ménagerie au réveil.
Le champ livré à l’abandon n’est qu’un terrain inégal et bossué, qui s’allonge comme une jambe atrophiée le long d’un pâturage plus vaste dont le sépare une rangée d’arbres
Le feu grondait si fort dans son avidité qu’il ressemblait à une puissance colossale lâchée sur la terre, une force épique dont la brutalité possédait l’énergie féroce d’une mer qui déferle. Des formes humaines dressées face à elle, qui n’avançaient que pour être repoussées.
Un peuplier frissonne sur leur passage, comme si son feuillage était doté de mémoire.
Le festin des oiseaux. En les guettant depuis la fenêtre, elle se persuade que la nature est ainsi faite, voilà tout, mais elle ne peut empêcher le poing de l’épouvante d’étreindre ses entrailles.
La charrue est toujours à sa place sur la parcelle en pointe, immobile comme un animal se préparant à l’attaque, tendu, les crocs prêts à lacérer la gorge de la terre, et pourtant elle ne bouge pas, endure avec une patience de chien le froid mordant et les averses
Si on regarde les nuages d’une certaine manière, ils ressemblent à des îles lointaines sur la mer, au milieu de la brume, et j’imaginais que j’étais un capitaine de bateau parti à l’aventure, qui naviguait pour les rejoindre.
Le hurlement qu’il y a dans ses yeux.
Elle devine un mouvement à l’intérieur de lui, comme une turbulence atmosphérique qui brasserait ses tourbillons vers de lointaines collines, sa lourde massé chargée de vents.
Il ne peut pas indéfiniment tenir la bride à ce qui enfle à l’intérieur de lui – un homme peut-il endiguer la marée par sa seule force, repousser l’implacable océan sans étoiles qui monte pour tout détruire ? Lorsque la lame s’abat sur lui, elle l’engloutit entièrement.
Il secoue la tête avec véhémence, comme pour congédier les mots qu’elle vient de prononcer.
Les gens d’ici sont habités par la crainte de Dieu, mais ils n’ont de chrétien que le nom. Ils ne considèrent que leurs intérêts personnels.
Une photographie, un bout de papier jaunissant et corné qu’elle approche de son nez. Le temps a des odeurs de poussière et de pot-pourri, à quoi se mêlent des parfums indéfinissables qui émanent peut-être du jour où le cliché a été pris.
Il y a pourtant dans leurs yeux une présence qu’ils ne peuvent camoufler, l’expérience des véritables difficultés de la vie, d’une existence aux trop rares promesses.
Mon cœur cognait aussi fort qu’un coup de fusil.
Partout s’exprime la férocité du printemps, ce soulèvement contre les forces de la mort qui renferme un déploiement de puissance continu, capable de dérouler les feuilles des bourgeons et de tirer la fleur de son bulbe.
Un antique faciès modelé par la langue du vent et de la pluie. Sous le parchemin de sa peau, ce ne sont pas des os qui se devinent, mais du bois de tourbe, comme s’il avait été engendré par la mousse, un être sans âge menuisé et sculpté par les soubresauts paresseux de la terre.
C’est déjà l’heure bleue, et on a l’impression que, sous cet éclairage, les choses deviennent plus intenses, comme si la venue du soir prêtait aux arbres davantage de substance, et que la trame de la nature s’enrichissait de mystère.
la bonté finit par s’aigrir au contact de l’amertume
Lorsqu’il est éveillé, le poids des années l’accable si lourdement qu’il craint de ne plus pouvoir quitter son lit ni retourner au cœur du monde, il a l’impression d’avoir été jeté hors de sa propre vie. Des images fugaces lui passent par la tête, des souvenirs impromptus viennent rôder dans son esprit, dangereuses bêtes sauvages en liberté, dont chacune exhale un fumet particulier.