O’Connor, Joseph « Le bal des ombres » (2020) 480 pages

Auteur: né le 20 septembre 1963 à Dublin, est un écrivain irlandais. Il est le frère aîné de la chanteuse Sinéad O’Connor.
Après des études à Dublin puis Oxford, il commence à écrire à plein temps en 1989.Pendant 10 ans, il est journaliste pour deux journaux : The Esquire et l’Irish tribune.Il vit maintenant à Dalkey, un quartier sud de Dublin.
Romans : Le Dernier des Iroquois – Desperados – À l’irlandaise – Inishowen – Yeats is Dead! (2001), roman collectif non traduit – « L’Étoile des mers » : adieu à la vieille Irlande – Redemption Falls – Muse – Maintenant ou jamais – Le bal des ombres (2020) – Dans la maison de mon père (2024)
Editions Rivage – 08.01.2020 – 462 pages / Rivages poche – 12.01.2022 – 480 pages (titre original « Shadowplay « (2019) traduit par Carine Chichereau)
Joseph O’Connor rejoint le catalogue des Editions Rivages après de longues années passées chez Phébus, où il était l’un des auteurs emblématiques.
Résumé:
Avec ce roman malicieux sur la vie de Bram Stoker, créateur du mythique Dracula, le romancier irlandais Joseph O’Connor revient à la veine historique qui a fait son succès et fait revivre la Londres victorienne, sa vie théâtrale et ses personnages excentriques, dont la fantasque Ellen Terry, sorte de Sarah Bernhardt anglaise et figure féministe hors du commun. Roman d’amour, roman sur les mystères et les errances de la création, ce texte est une célébration de l’Art de raconter et de vivre des histoires.
« Le bal des ombres », situé dans le Londres de 1878 où l’on rencontre, autour du Lyceum Theatre Ellen Terry, la Sarah Bernhardt anglaise; Henry Irving, grand tragédien shakespearien et Bram Stoker, administrateur du théâtre et futur auteur de Dracula. Autres figures croisées dans cet émouvant roman victorien, Oscar Wilde et Jack L’Eventreur. Mais le personnage principal demeure le théâtre.
Mon avis:
Si je connaissais Bram Stoker, auteur irlandais connu principalement pour son roman « Dracula », je ne savais pas qu’il avait été Directeur/Administrateur de théâtre . Ce roman est une sorte de biographie romancée de Stoker et des personnes de son entourage. Il nous parle de sa vie en tant qu’Administrateur du Lyceum Theatre, nous retrace la tournée de la troupe aux Etats-Unis, son amitié et sa collaboration avec Henry Irving, acteur de théâtre anglais de l’époque victorienne. Irving qui aurait servi de « modèle » au personnage de Dracula. On découvre le mythique Lyceum Theatre et tout ce qui a été fait pour le réhabiliter. On parcourt Londres et aussi Dublin
Ce livre romanesque parle d’amitié, d’amour et est principalement un roman sur le théâtre, sur la création, et sur le Londres de l’époque victorienne, époque pendant laquelle la terreur rôde dans les rues en la personne de Jack l’éventreur.
On croise ou évoque de nombreuses personnalités du monde de la culture et bien évidemment du théâtre – etpas que des anglophones – (Ellen Terry, Bram Stoker, Henry Irving, Oscar Wilde, George Bernard Shaw, Chaucer, Francis Bacon, Dante, Grimm, Brontë, Mark Twain, Dickens , Yeats, Sherlock Holmes, Mary Shelley, etc …)
On y parle beaucoup de Shakespeare (personnages, pièces…)
On navigue entre rêve et réalité, on côtoie des fantômes et des esprits ; on y parle effets spéciaux de l’époque, nouvelles technologies, art du maquillage et de l’illusion.
Entre réel et surnaturel, être et paraître…
Et je m’arrête là pour vous permettre de faire un petit bout de chemin dans le monde de la création…
Extraits:
En chaque personne existe un second moi, auquel très peu de gens ont accès. Vous qui lisez ces lignes, vous possédez cette seconde personnalité, inconnue, cachée derrière celle que tout le monde voit – et c’est la part la plus intéressante de votre être, la plus curieuse, la plus héroïque, celle qui permet d’expliquer que parfois vous nous déconcertiez. C’est votre moi secret. (Edward Gordon Craig (fils d’Ellen Terry))
Les légendes, les mythes, les fées, les sorcières, toutes ces histoires que sa mère, originaire de Sligo, se mettait à marmonner jadis après un ou deux verres de sherry. Toutes ces vieilleries poussiéreuses et pompeuses d’Hibernia, dont seuls les défunts et les fous se souviennent. Il voit bien qu’elles contiennent une force d’une certaine nature, à bas bruit, mais cela ne le touche pas, c’est comme observer la bruine
Brûlez l’abbaye d’un Irlandais, et il prendra les armes. Brûlez celle d’un Anglais, et il prendra la plume.
– Shakespeare n’était pas un expert de Shakespeare ?
– Il se voyait comme un artisan. Pareil aux menuisiers de son théâtre.
Ce qui est rassurant en Irlande, c’est qu’il ne s’y passera jamais rien. Le temps de la lutte est passé, les années de guerre et de révolution.
La lune est presque pleine. Son éclat scintille sur les flots. Des flocons se mettent à voltiger, et cette beauté soudaine les électrise, ils n’ont jamais vu la neige tomber sur la mer, spectacle qui d’après les marins porte chance.
Je me méfie de ceux qui disent que la vie ne serait pas possible sans l’art. Elle l’est, pourtant, pour des millions de pauvres. Ils n’ont pas le choix en la matière. La vie ne serait pas possible sans ces choses superficielles que sont la nourriture. Ou un logis. Affirmer autre chose est une posture.
Jouer la comédie, c’est ma profession, ce qui me nourrit. Mais l’art est aussi spirituel, c’est une chambre secrète de l’âme. Il est difficile de savoir où elle se trouve, ou encore où se trouve la clef qui en ouvre la porte, par conséquent parfois il faut briser cette porte avec violence. Voilà ce que signifie avoir du style. C’est la force. Une fois entré dans son propre style, les proportions changent.
Être un artiste, c’est savoir que les fantômes existent.
Nous sommes innombrables, disent les rangées de sièges de velours. Vous croyez que la poussière s’abat sur nous. En fait, c’est nous qui la créons. Nous grinçons quand vous vous levez, gémissons quand vous vous asseyez.
– Les droits d’auteur sont une forme d’orgueil, voire d’égoïsme d’une certaine manière. Comment pourrait-on être propriétaire du travail de l’imagination ? Autant mettre des droits d’auteur sur les chants d’oiseaux. Ou l’aube.
L’amitié, pour moi, c’est se reconnaître. Une sorte de retour vers les siens. Ça ne s’explique pas. Pourtant, tous les humains en ont fait l’expérience une fois ou deux. Quand nous nous sommes rencontrés, je vous ai reconnu.
Vous savez, être comédien, ce n’est pas faire semblant d’être quelqu’un d’autre, mais trouver l’autre en nous, et le mettre en avant. Ça n’a rien de compliqué, les enfants le font ; vous n’avez qu’à les regarder lorsqu’ils jouent. Ce n’est pas paraître, c’est être.
La terreur et la pitié. Voilà ce que disaient les Grecs. C’est le secret du théâtre. Et ils savaient de quoi ils parlaient.
Observer, c’est la viande et la boisson. Je me nourris des autres.
Pleurer ? Oui, elle peut pleurer. Pas besoin d’un corps pour ça. Les larmes sont la partie visible du chagrin, au-dessus de la surface, ce n’est pas là qu’a lieu le naufrage.
En tant qu’incarnation du mal assoiffée de sang, je comprends bien que le défi qui consiste à me capturer sur une page soit considérable. Mais était-il nécessaire de souligner les aspects négatifs ?
Je dois vous dire, monsieur, qu’être un vampire n’est pas une sinécure. Les horaires ne portent guère à la sociabilité. Les costumes sont démodés. La possibilité de rencontrer des filles, limitée.
Mais tu ignores ce que réfléchir veut dire. Tu es la vampirisation même. Tu prends tout et tu ne donnes rien, tu te repais de ceux qui sont autour de toi.
Quand je repense aux milliers d’heures gâchées qu’il représente, à ce mausolée de papier, aux centaines de kilomètres que j’ai effectués en sa compagnie, je me hais d’être né avec cette maladie de l’écriture, et d’avoir gaspillé à son service la vie que j’aurais pu mener.
– J’aurais tellement aimé écrire, moi aussi. Jamais eu le courage. Se dévoiler de la sorte, ça me faisait peur.
– Tu te dévoiles tous les soirs de ta vie sur scène.
J’aime rester assis à observer les gens. Je travaille comme ça, tu sais. Je me nourris des autres.
Nulle conversation ne s’ensuit, rien qu’un silence partagé. À croire qu’ils assistent ensemble à une pièce. Voilà tout ce qu’il demande ce matin, et c’est très bien, car c’est là tout ce qu’elle peut donner. Et elle ne veut plus rien de lui. Cela fait tant d’années. La plupart des choses qui se passent entre un homme et une femme ne peuvent se comprendre, voilà pourquoi les gens inventent les poèmes d’amour, afin de meubler le silence.
Les mots tournent en cercle. Petits morceaux friables de souvenirs amers, acides comme la glace au citron, piquants comme le sel, supplantés par la puanteur d’un cercueil pourrissant.