Qiu, Xiaolong «Chine, retiens ton souffle» (10/2018)
Auteur : Qiu Xiaolong est né à Shanghai en 1953; c’est un auteur chinois de roman policier, poète et amateur de taï chi. . Lors de la Révolution culturelle, son père est la cible des révolutionnaires et lui-même est interdit de cours. Il soutient néanmoins une thèse sur le poète T. S. Eliot et poursuit ses recherches à Saint-Louis, aux États-Unis. Les événements de Tian’anmen le décident à s’y installer et c’est en anglais qu’il écrit la célèbre série policière mettant en scène l’inspecteur Chen ainsi que les nouvelles du cycle de la Poussière Rouge. Traduits dans vingt pays, ses livres se sont déjà vendus à plus d’un million d’exemplaires à travers le monde.
Série Chen Cao : Mort d’une héroïne rouge, Visa pour Shanghai, Encres de Chine, Le Très Corruptible Mandarin, De soie et de sang, La Danseuse de Mao, Les Courants fourbes du lac Tai, Cyber China10, Dragon bleu, tigre blanc, Il était une fois l’inspecteur Chen, Chine, retiens ton souffle, Une enquête du Vénérable Juge Ti (attribuée à l’Inspecteur Chen) ,
Page spéciale : Qiu, Xiaolong « Les enquêtes de l’inspecteur Chen »
Autres ouvrages : Cité de la Poussière rouge, La Bonne Fortune de Monsieur Ma, Des nouvelles de la Poussière rouge
Liana Levi – 18.10.2018 – 246 pages
11ème enquête de Chen Cao
Résumé : Officiellement, l’inspecteur Chen est toujours à la tête de la brigade des affaires spéciales ; en réalité, il a été mis au placard. Le secrétaire Li fait pourtant appel à lui, ainsi qu’à son fidèle coéquipier Yu, car un tueur en série sévit à Shanghai. En quatre semaines, quatre victimes ont été frappées à la tête en pleine rue, à l’aube, par un mystérieux assassin. D’abord Peng, une aide de nuit à l’hôpital et après elle, un présentateur météo, une agente immobilière et une journaliste.
A côté de chaque corps, un masque antipollution jaune… Faut-il voir dans ce détail un message contre la pollution atmosphérique endémique qui inquiète les citoyens ? Parallèlement, un groupe de militants écologistes, auquel appartient une amie de Chen, la journaliste Shanshan (cf Les courants fourbes du lac Tai), cherche à éveiller les consciences et à secouer le Parti : car si les plus riches s’équipent de purificateurs d’air ou fuient le pays, parmi le commun des mortels, cancers et maladies respiratoires se multiplient.
Chen est convoqué par le camarade Zhao, ancien secrétaire du Parti à la commission de contrôle de la discipline, pour enquêter sur les activités du groupe.
Mon avis : La pollution atmosphérique et le développement de la Chine ne font pas bon ménage. L’écologie ne peut pas être ignorée dans le contexte mondial actuel. La belle Shanshan, que nous avions vu s’éloigner irrémédiablement emportée par les courants fourbes du lac Tai refait surface et Chen ne peut pas rester indifférent, en souvenir du temps passé. Chen semble par ailleurs refaire surface aussi, mais pas officiellement car il continue de déranger fortement en faisant passer la justice avant les intérêts politiques. L’urbanisation à outrance qui a commencé sous l’influence de Deng Xiaoping a engendré une qualité de l’air malsaine mais le système chinois, corrompu, refuse de l’admettre. La population a été sacrifiée sur l’autel de la croissance économique mais il commence à devenir impossible de cacher la triste réalité et nier l’évidence risque fort de porter préjudice au Parti. Le livre traite également le sujet épineux des publications sur Internet, de la liberté de publier et de lire la presse, et Chen, fidèle à lui-même va tout mettre en œuvre pour résoudre les énigmes qui lui sont proposées avec intelligence, en mettant en avant les valeurs humaines et l’intérêt de tous, sans pour autant se saborder frontalement pour faire triompher ses convictions.
Deux enquêtes se déroulent en parallèle : la mission que Zhao a confié à Chen et une enquête sur un présumé tueur en série que l’Inspecteur Yu et sa femme Peiqin vont mener de leur coté en marge de la hiérarchie. Chen va poursuivre sa mission en solo, il va se plonger dans son passé, se promener comme à son habitude dans le Parc du Bund, si propice à la réflexion. Les stratagèmes de l’art de la guerre, les rituels chinois, les croyances populaires, la tradition, (comme le sacrifice des sept-sept,) la poésie, la mythologie, tant chinoise que grecque (Antée, le lutteur invincible) , Confucius autant de thèmes passionnants qui se sont invités dans le cheminement de la réflexion de Chen pour mon plus grand plaisir et intérêt.
Extraits :
le fait de ne voir qu’un arbre et non la forêt tout entière était une preuve de grande immaturité politique.
Ce que l’on ne peut déchirer / ni même effilocher, / c’est le chagrin de la séparation.
Tout passe comme l’eau d’une rivière, disait Confucius.
Comme dans Les 36 Stratagèmes, il allait devoir traverser la mer sans que le ciel le sache.
Pour chaque réglementation du gouvernement, le peuple a dix réglementations contraires.
Dissimulés sous un voile gris, les monuments semblaient presque irréels, pareils à de sinistres rappels des films en noir et blanc des années vingt. Dans ce décor brumeux, Chen songea au rôle tristement réaliste qu’il devait jouer, celui de l’inspecteur solitaire qui manœuvre dans l’ombre.
Il est évidemment impossible de définir quelle part de la vie intime d’un écrivain se retrouve dans une œuvre de fiction littéraire. Si part il y a…
Face à tant de paramètres inconnus, l’inspecteur devait parer à toute éventualité et avancer à l’aveugle comme le héros de l’opéra de Pékin À la croisée des chemins qui, en pleine nuit, sans savoir qui l’attaque, agite son épée dans le noir.
Épuisé, il avait l’impression d’être « un homme creux » d’Eliot, la tête pleine de paille, une ombre tombant inévitablement entre l’idée et la réalité, la réflexion et l’action.
Je vais essayer de glaner des informations sur Internet avant qu’elles soient bloquées par les autorités. Je connais un moyen de passer au-dessus de la grande muraille.
− Tu parles du pare-feu ?
− Oui.
Les politiques du Parti changent tout le temps. L’année dernière, on nous encourageait à investir hors de Chine, mais maintenant que l’économie ralentit, on nous reproche de placer nos capitaux à l’étranger. Le Parti est capable de changer la loi et de nous reprendre nos biens à tout moment.
« L’invitation à prendre une tasse de thé » était une nouvelle expression pour désigner une pratique courante de la Sécurité intérieure consistant à placer en détention et à interroger des gens en secret. Pendant des jours, des semaines parfois, si le « buveur de thé » ne livrait pas les informations espérées. Comme il ne s’agissait pas d’une procédure officielle, aucun média n’avait le droit d’en parler. L’invitation arrivait à brûle-pourpoint et le « buveur de thé » était souvent tellement traumatisé par l’expérience qu’il n’en soufflait jamais mot.
Donc le problème n’est pas seulement la pollution de l’eau, de l’air ou des produits alimentaires, c’est aussi la pollution des esprits.
Du temps de Mao, les comités de quartier étaient les « chiens de garde » redoutables du Parti, à une époque où le mot yinsi (vie privée) n’appartenait pas au vocabulaire chinois.
Après tout, toute vérité dépend de l’interprétation qu’on lui donne et du point de vue d’où on la considère.
Comme dit Confucius, même si une tâche te paraît impossible, si elle te semble juste, efforce-toi de l’accomplir
Infos : Les 36 stratagèmes (ou stratégies) est un traité chinois de stratégie qui décrit les ruses et les méthodes qui peuvent être utilisées pour l’emporter sur un adversaire. Le traité a probablement été écrit au cours de la dynastie Ming (1366 à 1610) ( voir article Wikipédia)
One Reply to “Qiu, Xiaolong «Chine, retiens ton souffle» (10/2018)”
Celui-ci manque encore dans ma PAL 😉
Il va falloir que je remédie à cela… Toujours bien apprécié Chen, Yu et Peiqin…