Moreau, Christiana «La sonate oubliée» (2017)

Moreau, Christiana «La sonate oubliée» (2017)

Autrice :  Christiana Moreau est une artiste peintre, sculptrice et écrivain, de nationalité belge, née à Seraing. Après un recueil de poésie, « Poesimage » (2014), En 2017, elle publie « La Sonate oubliée», son premier roman suivi de  « Cachemire rouge » en 2019.

Editions Préludes – 24.04.2019 – 272 pages – Prix des lecteurs Club, auteur belge 2017 – Prix du premier roman du Rotary Club Cosne-Sancerre 2018
Prix 2018 « Une terre, un ailleurs » des médiathèques Durance, Luberon, Verdon, agglomérations, premier roman

Résumé : 
Deux jeunes filles réunies à travers les siècles par une mystérieuse partition. Deux cœurs passionnés de musique et de liberté. Une ville, Venise du temps de Vivaldi et aujourd’hui.
À 17 ans, Lionella, d’origine italienne, ne vit que pour le violoncelle, ce qui la distingue des autres adolescents de Seraing, la ville où elle habite en Belgique. Elle peine toutefois à trouver le morceau qui la démarquerait au prochain grand concours Arpèges. Jusqu’au jour où son meilleur ami lui apporte un coffret en métal, déniché dans une brocante. Lionella y découvre un journal intime, une médaille coupée et … une partition pour violoncelle qui ressemble étrangement à une sonate de Vivaldi. Elle plonge dans le destin d’Ada, jeune orpheline du XVIIIe siècle, pensionnaire de l’Ospedale della Pietà, à Venise, dans lequel «le prêtre roux», Antonio Vivaldi, enseignait la musique à des âmes dévouées.
Entremêlant les époques avec brio, ce premier roman vibrant nous fait voyager à travers la Sérénissime, rencontrer l’un des plus grands compositeurs de musique baroque, et rend un hommage poignant à ces orphelines musiciennes, virtuoses et très réputées au XVIIIe siècle, mais enfermées pour toujours dans l’anonymat.

Mon avis :  Je viens de lire le deuxième roman de cet autrice, « Cachemire rouge » que j’ai adoré. Alors j’ai récidivé. Et je crois que j’ai encore plus aimé !  Laissez-vous emporter dans un univers de musique et de peinture. Passons ensemble du Pont de Seraing sur la Meuse au quai degli Schiavoni. Bienvenue à Venise, à l’Ospedale della Pietà. Venez faire connaissance de Francesco Gasparini, de l’Abbé Vivaldi, admirer la Vierge à l’Enfant de Filippo Lippi, les fresques de Tiepolo Remettez-vous en mémoire les voix du jeune Carlo Farinelli et du  grand castrat Antonio Bernacchi. Promenez vous masqués pendant le Carnaval, apprenez tout sur les différents masques et leur fabrication (je  dois dire que je ne savais pas ce qui se cachait derrière le masque de chat appelé la « Gnaga » –  allez prendre un chocolat au Caffè Florian)  Faites connaissance avec « Matteo Goffriller, qui était un Maître de la lutherie vénitienne, à l’instar de Stradivarius à Crémone. »

Mais surtout apprenez à voir les couleurs derrière les notes de musique, visualisez les accords. Venise grise et Venise flamboyante, enfance terne et destinée enflammée, laissez vous emporter par la passion, l’amitié. Accrochez vous aux dièses et aux bémols, faites parler les silences, croyez en la chance, le destin, l’amitié, la vérité. Révélez au monde votre fragilité et votre force, laissez parler vos sentiments et avec l’aide de Lionella, faites résonner aux oreilles du monde la musique du cœur. Vibrez ! C’est juste un magnifique voyage, plein de finesse, d’émotion, de sensibilité,  que l’autrice nous offre, à la gloire de deux femmes exceptionnelles qui vont se fondre l’une dans l’autre à quelques siècles de distance. Un énorme coup de cœur.  Et une merveilleuse écriture à la clé, pour sublimer le tout !

Extraits :

Elle enfonça les écouteurs dans ses oreilles pour ne plus l’entendre prodiguer ses conseils et reçut une secousse sismique énorme, un attentat guitaristique. Tandis que Motörhead lui emplissait la tête, elle ferma les yeux et ne tarda pas à s’endormir dans cette tempête sonore de hard-rock.

Fasciné, il réalisait qu’elle « entendait » la musique dans sa tête sans avoir besoin de la jouer. C’était un grand mystère qu’il ne pourrait jamais approcher. Le silence tissait maintenant autour d’eux un voile invisible dans ce temps suspendu. Il se sentait largué, abandonné sur le rivage tandis que la barque glissait au loin, sans lui, sur un lac étranger.

Au commencement du monde, le silence. Puis vient l’harmonie, source de la musique.

Plus que de tenir un journal, il s’agit de coucher sur le papier mon envie de comprendre le monde extérieur que je ne connais qu’à travers le filtre du règlement, étant presque toujours enfermée. Pourtant, le clapotis de l’eau sous nos fenêtres, son odeur spécifique, sa présence obsédante mais invisible résonnent comme un appel à la vie et à la liberté.

Qui donc aujourd’hui pourrait concevoir qu’elle se pâme devant un morceau de bois au timbre envoûtant ?
Et pourtant ! Il y a bien une âme dans un violoncelle.
L’âme, cette pièce d’épicéa placée à l’intérieur de la caisse de résonance.
L’âme qui transmet les vibrations des cordes au fond de l’instrument.

C’est du violoncelle qu’émane la sonorité la plus proche de la voix humaine, et le sien lui murmurait des mots secrets et doux, implorait les caresses de l’archet par des plaintes et des soupirs, avec des nuances de voix graves et rondes.

Le carnaval était devenu un style de vie et un état d’esprit. La République non seulement autorisait mais favorisait le port du masque.

Son nom latin est viola, la violette… Dans le langage des fleurs, la violette symbolise l’amour secret.

une musique en forme de mosaïque, dont les thèmes s’accordaient entre eux par la proximité de leurs mélodies et la constance de leur pulsation rythmique

Je marchais vers Saint-Marc quand j’entendis un pas pressé qui faisait écho au mien et résonnait entre les hauts murs des ca’ comme une symphonie de percussions.

Quand je relus ce que j’avais écrit, je fus étonnée de me sentir sereine alors que mon manuscrit, lui, débordait d’exaltation. Je venais de découvrir un phénomène insoupçonné. Ainsi, la création avait le pouvoir de délivrer ?

Les larmes avaient pâli mon bonheur fragile. L’avenir ne me semblait plus aussi rose mais teinté d’un lilas grisé incertain.

Bientôt, avec la douceur du printemps revenu, il ne te fera plus souffrir. Tu te souviendras du parfum des roses et tu en oublieras les épines.

Il ne me reste que ce carnet, que je remplis fiévreusement de tous mes souvenirs encore intacts. Bientôt, eux aussi seront pâlis aux pages refermées.

Si don Vivaldi a tenu à faire imprimer les sonnets au début des partitions, c’est afin de mieux souligner que les notes ne sont que les contrepoints sonores d’images, d’effets visuels. Jamais auparavant on n’avait songé à faire de la musique comme on peint un tableau, en suggérant un frémissement de volupté, d’envoûtement et d’épicurisme.

Mon frère et moi avons eu la musique pour ensoleiller notre enfance. Elle nous a consolés et donné la lumière qui nous manquait.

Quel contraste avec la Venise du cahier d’Ada ! pensait-elle. Où donc se cachaient la brume, la langueur mélancolique et le mystère qui suintaient à chaque page ?

Marco Ricci :  graveur et peintre « védutiste » italien. Principal initiateur du paysage vénitien au XVIIIᵉ siècle, l’œuvre de Marco Ricci, longtemps restée dans l’ombre de son oncle Sebastiano Ricci, a été réévaluée par la critique (Rococo, Baroque) .  Les concerti des Quatre Saisons sont inspirés de tableaux du peintre Marco Ricci.

3 Replies to “Moreau, Christiana «La sonate oubliée» (2017)”

  1. Merci pour cette belle critique; très heureuse que vous appréciez mes deux romans. Hélas, coronavirus oblige, il faudra attendre 2021 pour lire le prochain dont la sortie est reportée… Prenez bien soin de vous.

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