Blondel, Jean-Philippe « La grande escapade » (RL2019)
Auteur : Jean-Philippe Blondel enseigne l’anglais dans un lycée près de Troyes depuis une vingtaine d’années.
Il mène en parallèle une carrière d’écrivain, en littérature générale : Et rester vivant (2011) G229 (2011) , 06 h 41 (2013), Un hiver à Paris (2014). Mariages de Saison (2016), La mise à nu (2018), La grande escapade (2019) aux éditions Buchet-Chastel). Il publie en jeunesse chez Actes Sud Junior : Un endroit pour vivre, Au Rebond, Blog (prix NRP littérature jeunesse), (Re)Play ! (Prix des ados du salon Livres et Musiques de Deauville), Brise-glace (Prix des lycéens autrichiens, Prix RTS Littérature Ados, Prix des Lecteurs du Mans et de la Sarthe) et Double Jeu, Il est encore temps (2020)
Buchet-Chastel – 15.08.2019 – 265 pages
Résumé : La Grande Escapade raconte l’enfance – un territoire que Jean-Philippe Blondel a jusqu’à présent refusé d’explorer dans ses romans. Les années 70, la province, l’école Denis-Diderot en briques orange, le jardin public, le terrain vague. Et surtout, les habitants du groupe scolaire. Cette troupe d’instits qui se figuraient encore être des passeurs de savoir et qui vivaient là, avec leurs familles.
1975-1976 ou des années de bascule : les premières alertes sérieuses sur l’état écologique et environnemental de la terre ; un nouveau président de droite qui promet de changer la société mais qui nomme Raymond Barre premier ministre ; les femmes qui relèvent la tête ; la mixité imposée dans les écoles…
Il y a les Coudrier, les Goubert, les Lorrain et les Ferrant ; il y a Francine, Marie-Dominique et Janick. Il y a des coups de foudre et des trahisons. De grands éclats de rire et des émotions. Tous les personnages sont extrêmement incarnés. On y est ! Dans l’ambiance et le décor. Et le lecteur peut suivre, page après page, Jean-Philippe Blondel qui nous fait faire le tour du propriétaire de ce monde d’hier. (sur le site de l’éditeur)
Mon avis : C’est la rentrée ! Alors je fais comme tous les élèves, je pousse la porte du lycée, je fais un bond en arrière, dans le temps, dans les années 70. J’aime infiniment cet auteur tant dans les livres pour adultes que dans la littérature jeunesse.
Une fois encore le roman sonne juste. C’est le roman du changement. Nous sommes quelques années après Mai 68, les mentalités évoluent, les femmes commencent à s’émanciper et les hommes perdent pied. Dans le monde scolaire, tout bascule aussi. Et quand en plus les enfants passent du lycée au collège, que les classes deviennent mixtes… cela ne se fait pas sans heurts. Mais une fois encore, les heurts sont intériorisés, sous contrôle, tout se fait en douceur et par petites touches. Les transformations sont sur la distance, sur la longueur, dans la psychologie et non dans les cris et les heurts… enfin la plupart du temps. Ah le monde de l’école n’est pas un monde facile… tant du coté des élèves que du coté des professeurs. On a tendance à l’idéaliser quand on en est loin… mais entre les sensibilités des jeunes qui ont du mal à vivre leur adolescence et les questionnements des plus vieux qui voient leurs certitudes mises à mal, rien n’est simple… C’est le monde des escapades, des fuites, des émois … mais pas que pour les plus jeunes… et la galerie de personnages est savoureuse et pleine de réalisme et d’humour.
Extraits :
elle est reconnaissante envers ses amies – si peu amies, en fait, puisqu’elles ne se connaissent qu’à travers le prisme du travail – d’être venues la tancer et l’obliger à ouvrir les yeux sur la réalité, à savoir que le propre des enfants est de se dépenser loin des yeux des adultes afin de gagner en autonomie.
Et mieux vaut ne rien savoir que de vivre dans la crainte.
Parfois les adultes ignorent le poids qu’ils peuvent avoir sur la destinée des enfants qui ne sont pas les leurs.
Sept ans auparavant, Lorrain avait rejoint (avec retard et après beaucoup de tergiversations, soit) le camp des soixante-huitards – mais il en était revenu. Certes, il était fondamentalement attaché à la liberté de mouvement, mais lorsqu’on voyait toutes les dérives, la place de plus en plus grande que réclamaient les femmes, les droits qu’on voulait octroyer aux enfants, on ne pouvait que craindre les dérives et, disons-le, oui, le chaos. D’ailleurs, cette mini-révolution s’était terminée en eau de boudin, non ? Et qu’est-ce qu’il en restait ? Des hippies écoutant de la musique anglo-saxonne et des jeunes femmes en minijupe ! Joli tableau !
Un vrai goujon, celui-là. Il frétille tellement qu’il te file entre les doigts sans que tu t’en rendes compte.
Il se corrige. Il s’interdit. Il se dicte une ligne de conduite. Il devient une de ces statues de Giacometti que le maître leur a montrées la semaine de la rentrée : en mouvement mais rigide, et surtout déterminé.
Pourquoi s’intéresser autant à l’existence des autres ? Parce que la sienne est insatisfaisante ? En quoi, par exemple ?
Il a au fond de lui ce côté emprunté des majordomes britanniques ou des bourgeoises provinciales du XIXe siècle qui découpaient le monde en deux parties égales – ce qui se fait, ce qui ne se fait pas.
Elle l’inventerait grand reporter ou agent gouvernemental en mission de reconnaissance diplomatique (le genre de titre qui ne dit rien à personne mais qui en impose). Mais fonctionnaire, franchement. Et encore, il y avait des fonctionnaires tout à fait fréquentables, dans la justice ou dans les ministères. Mais bon, instituteur, quoi. C’était à désespérer.
Le monde est en train de changer et il est contre-productif de s’arc-bouter sur ses anciennes croyances. Elles seront balayées comme les autres. Mai 68 a perdu le combat politique mais gagné la bataille culturelle : les idées de liberté et les envies de transgression se disséminent dans la société et, même si les hippies français semblent dernièrement s’effacer au profit d’une génération superficielle et clinquante qui ne vit que pour les samedis soir en discothèque, leur héritage restera ancré dans les différentes couches du pays.
Il se connaît : s’il repousse son projet ne serait-ce que de quelques heures, celui-ci ne verra jamais le jour.
Il encourage ses élèves à coucher sur le papier leurs impressions aussi souvent que possible. C’est comme ça qu’ils trouveront leurs voies et leurs voix (et les élèves sont médusés par cette homophonie si poétique) et qu’ils développeront une expression vraiment personnelle.
On passe son temps à tenter d’oublier que la mort rôde, et parfois elle frappe de façon tellement ahurissante que la seule réaction possible, c’est de protéger les survivants et de se précipiter sur ceux qui nous entourent encore pour les assurer de notre amour. De notre chaleur au moins. Les tenir en vie. Voilà. Se mettre en rond autour d’eux. Les réchauffer au risque de les asphyxier.