Wells, Benedict « La vérité sur le mensonge » RL2019
Auteur: Benedict Wells est né en 1984 à Munich. A l’âge de 6 ans il commença son parcours dans trois internats bavarois. Après son diplôme en 2003, il emménagea à Berlin. C’est là qu’il décida de se consacrer à l’écriture plutôt qu’à des études universitaires. Pour assurer sa subsistance, il fit plusieurs petits boulots. En 2008, il publia un premier roman applaudi par la critique Becks letzter Sommer, qui lui valut le prix Bayerischer Kunstförderpreis (prix Bavarois des arts et de la littérature). Le roman a été adapté à l’écran et projeté dans les salles de cinéma en 2015. Son troisième roman « Fast genial » a acquis une grande notoriété et s’est retrouvé au classement des meilleures ventes pendant plusieurs mois. Après des années passées à Barcelone, Wells est récemment rentré à Berlin. Benedict Wells est déjà l’auteur de plusieurs romans, dont « La Fin de la solitude » et « Le Dernier été ». En 2019 il publie un recueil de nouvelles « La vérité sur le mensonge« (RL2019). « Presque génial« parait en français à la RL2020 et « Hard Land » en 2022. Depuis La Fin de la solitude, tous ses romans sont publiés par Slatkine & Cie et repris au Livre de Poche. « Hard Land », paru en Allemagne en 2021, est resté 52 semaines dans la liste des meilleures ventes du Spiegel et a déjà été cédé dans 17 pays.
Slatkine & Cie – 12. 09.2019 – 224 pages – Traduit par Dominique Autrand
Résumé : Dix ans, dix histoires.
Une partie de ping-pong aussi longue qu’un purgatoire, une vie courte comme une balade en montagne, un inconnu qui prend la place de Georges Lucas…
Dix récits reliés entre eux par ce fil invisible qu’est la licence romanesque, cette aptitude des très grands écrivains à distordre la réalité pour rendre acceptable l’incommunicabilité entre les êtres.
Dix histoires inoubliables d’un monde où le mensonge, le rêve et la vérité se superposent, s’entrechoquent et s’interpénètrent.
Ce qu’on appelle un roman.
Mon avis et les extraits correspondant aux nouvelles : Merci aux éditions Slatkine & Cie pour l’envoi de ces nouvelles. C’est la première fois que je lis cet auteur et j’ai beaucoup aimé ce recueil de nouvelles qui donne envie de découvrir les romans. De fait je ne vais pas tarder à lire « La Fin de la solitude » paru chez Slatkine & Cie et au Livre de Poche, 2018 et à vous proposer une petite chronique…
1. La promenade : L’histoire d’une errance dans la montagne qui se confond avec une errance dans l’espace-temps. Un homme part se promener, se perd et sur le chemin du retour, il bascule dans une vie qui diffère de ce qu’il croit être la sienne, une perte de contact avec la réalité. Serait-il frappé de la maladie d’Alzheimer ? Quoi qu’il en soit, il se retrouve dans une réalité parallèle dans laquelle présent et passé se confondent…
« Les larmes lui montèrent aux yeux. Il eut honte, mais il était trop épuisé pour s’en défendre. Avec ses mains froides il s’essuya le visage, puis repartit en clopinant. À chacun de ses pas, il imaginait un puits dans lequel il déverserait toutes ses souffrances ; un truc qu’il avait appris du temps de son service militaire. »
2. La pension : Quels sont les liens qui se tissent entre des jeunes qui sont mis en internat pour des raisons différentes ? Que deviennent les amitiés des jeunes garçons qui ont vécu quelques années en internat ? Les relations avec ceux qui ne sont pas de notre famille, de notre monde, de notre pays : des jeunes qui sont réunis dans un internat pour diverses raisons et que la vie rapproche, qui forment un noyau soudé par l’âge dont la notion d’étranger est exclue.
«On dormait à six par chambre, il n’y avait de toute façon pas de place pour la différence. »
« Ce qui intéressait les autres, ce n’était pas d’où on venait et qui on était, mais ce qu’on faisait et de quoi on était capable. »
« La pension était un lieu sans parents, il y avait donc des règles précises et il était important de se défendre. »
« Nous étions trop jeunes pour savoir conserver nos amitiés. »
3. La Muse : Une autrice et le problème de la page blanche. Une nouvelle sur les affres de la création. Le jour où un (pas une) muse vient reveiller sa création et lui souffle l’inspiration, elle va en tomber amoureuse. Confrontée au choix : écrire et devenir célèbre ou vivre le grand amour, que va-t-elle choisir ? Beaucoup de sensibilité dans cette nouvelle qui est je pense celle que j’ai préféré.
« Elle pouvait certes écrire sur lui, mais ne serait-ce pas une absurdité pure et simple ? Chercherait-elle éternellement son bonheur dans un monde fictif plutôt que dans le vrai ?
Cette pensée la tarabustait et un soir qu’elle se retrouvait une fois encore perdue au milieu des organisateurs et des invités à l’issue d’une lecture, elle comprit soudain qu’elle non plus n’était rien d’autre qu’un fantôme. Et qu’à chaque ligne qu’elle écrivait, elle aussi disparaissait de plus en plus dans ses histoires. »
« Allons donc, j’ai accompagné nombre d’auteurs pendant toutes ces années, et presque tous m’ont raconté un jour ou l’autre la même chose que vous. Ma foi il faut choisir, c’est vrai. Soit l’amour, soit l’art. Et mes auteurs ont choisi l’art. »
4. Ping-pong : Un huis-clos. Deux hommes seuls, sans famille, sans amis, qui ne se connaissent pas, se réveillent prisonniers avec pour seule compagnie une table de ping-pong et aucune idée de l’endroit où ils se trouvent, du pourquoi et comment ils sont arrivés là, et dans le flou le plus absolu en matière de temps qui passe. Quelle va être la nature de leur relation ? Des liens vont-ils se tisser ? un rapprochement du fait de leur situation ? Un esprit de compétition et une agressivité liée à la perte ou au gain de parties ? Quel est le rôle de cette table de ping-pong ? Une sorte de défi ? Pourquoi les ravisseurs ont-ils décidé de la mettre à leur disposition ? Vont-ils un jour recouvrer la liberté ? et si tel est le cas, vont-ils garder le contact ? Passe d’armes psychologique très intéressante jusqu’au final…
« Je sentais mon esprit se décanter et se débarrasser du lest inutile, chaque synapse de mon cerveau ne travaillant plus qu’à améliorer mon jeu. Le ping-pong avait depuis longtemps envahi mes rêves, je passais tous les coups en revue, je tressaillais quand j’en avais raté un, je me réveillais et je voyais la table éclairée par le plafonnier. Même en dormant j’entendais le bruit obsédant de la balle heurtée par la raquette. Ping, pong. Ping, pong. Ping, pong. La balle bondissait à travers mes rêves. »
5. Richard : Richard, le chat et la vieille dame. Une nouvelle poignante sur la solitude, le manque, l’absence, le manque de communication et l’indifférence et le manque d’empathie des jeunes face à la solitude des personnes âgées. Et qui parlera fatalement à tous les amoureux des chats.
« Elle pensa à son mari défunt. Si sa mémoire avait été un cinéma, leurs années communes seraient devenues un classique qu’on aurait projeté tous les soirs. Peut-être plus tout à fait aussi captivant, parce qu’elle pouvait dire chaque réplique du scénario en même temps que les acteurs, et peut-être aussi que l’image était devenue un peu floue et la bande-son moins nette, mais ce n’était pas grave. »
« Son moment préféré, ce sont les secondes où je mets le blanc de poulet dans sa gamelle. Mais mon moment préféré à moi, ce sont les secondes où je tourne la clé dans la serrure. J’entends Richard qui est chaque fois derrière la porte à miauler. Il est aussi seul que moi et il passe son temps à m’attendre. Et lorsqu’il m’entend enfin entrer dans l’immeuble, il se met aussitôt à miauler : Tu étais où pendant tout ce temps ? »
6. La nuit des livres : La nuit de Noel, les livres de la bibliotheque prennent vie et parlent entre eux. Conflit de génération entre les vieux classiques et les petits nouveaux… Ce sont d’abord les « vieux sages » qui s’ouvrent, les gros succès, ceux qui sont célèbres et reconnus. Comme dans la vie, les grands ont la priorité. Et je vous laisse au pays des livres, découvrir la finalité de cette discussion de Noel… Une de mes préférées. Plus qu’à lire « La Fin de la solitude » paru chez Slatkine & Cie et au Livre de Poche, 2018.
« Non, lire n’était pas son truc, mais il aimait ce que ça sentait ici : un peu la poussière, le vieux papier, le cuir tanné. »
« La bibliothèque tout entière n’était au fond qu’une gigantesque gare remplie de personnages et d’histoires. »
« Les premières minutes furent consacrées aux cancans : des livres récemment empruntés racontèrent ce qu’ils avaient vécu au cours de leurs voyages dans d’autres maisons. Des ouvrages de théorie politique dont les auteurs portaient souvent des noms russes ou français soupirèrent qu’ils auraient bien aimé, eux, qu’on les emprunte à nouveau. »
7. La franchise ou la vérité sur le mensonge : C’est celle qui a donné le titre du livre et c’est celle qui m’a le moins surprise : même si le scénario est intéressant, j’ai eu un peu l’impression de déjà lu… cette histoire de la personne qui venant du futur profite de ce qu’elle sait de l’avenir pour détourner le cours de l’histoire à son profit… enfin dans les grandes lignes. Cap sur les années 70 et donc une histoire du style « Retour vers le futur ».une époque où Star Wars n’existait pas encore… Mais comme j’ai grandi avec Luke Skywalker, Dark Vador et les autres, le thème de la nouvelle m’a forcément plu…
« C’était ce qui fascinait Brooks depuis l’enfance avec les histoires : si folles soient-elles, quand on les raconte il y a toujours un moment où on tient l’autre au bout de son hameçon. »
8. La mouche : Les plus petits et les moins forts finissent-ils toujours par se noyer quand ils tombent dans un piège ? Les jeunes et les intrépides expérimentent, testent, sont attirés par la douceur. Ils tentent de s’en sortir en faisant appel à leurs facultés physiques ou à leur intelligence mais ont en face d’eux des êtres qui les observent, et sous des airs doux et protecteurs, les laissent s’enfoncer, ne font rien pour les aider à vivre de leurs propres ailes. Est-ce inéluctable ?
« Les mots semblaient conciliants, mais un voile de traîtrise se posa sur ses yeux et elle sentit qu’il était en train de planifier la contre-attaque finale. »
« Chaque mot porte, pensa-t-elle avec fierté. Ce n’était pas du tout le cas d’habitude, mais là elle disait exactement ce qu’elle voulait dire. Pourtant il paraissait toujours aussi calme, il n’était pas encore battu. »
« Qu’il se serve de ça comme argument la laissait sans voix, c’était une attaque nucléaire en pleines négociations diplomatiques. »
9. L’émergence de la peur : Plus qu’à lire « La Fin de la solitude » paru chez Slatkine & Cie et au Livre de Poche, 2018 vu que la nouvelle s’adresse à ceux qui ont lu le livre. Je ne vais donc pas trop m’étaler avant de lire le roman. C’est une nouvelle qui traite de la violence familiale. Deux frères, un père alcoolique. Le plus jeune frère morfle un maximum au moment ou le grand devient grand et fort. Il dit qu’il va s’interposer, qu’il va fuir en emmenant le petit. Il explique aussi la raison pour laquelle le père est violent : c’est un raté. Mais il a beau dire qu’il va protéger son petit frère… le gamin continue à se faire cogner. Que va-t-il se passer ? Va-t-il enfin se réveiller ?
« Il avait volontairement relégué son passé à l’arrière-plan et je ne pouvais plus faire la mise au point »
« Sa propre peur se mit soudain à suinter comme d’une plaie mal suturée. Il se sentait infiniment las et assoiffé, et il songea à l’enfant qu’il avait été. À ses parents qui l’aimaient et à tout l’amour qu’il leur portait en retour. »
10. Cent mille : Une nouvelle sur le non-dit, sur l’absence, sur le deuil, le manque, l’incompréhension au sein d’une famille, la peur du dialogue, l’influence du passé sur le présent. Il faut parler, même si on croit que les choses se comprennent sans le dire, cela va mieux en les disant… Et si c’est avant que la voiture ait 100000 kilomètres au compteur, c’est mieux…
« Certains hommes meurent sans comprendre qu’ils doivent mourir. Son père par exemple avait passé sa vie à tout refouler, la catastrophe trente ans plus tôt, la vieillesse qui arrivait, et la mort. Le jour venu il passerait le pas sans la moindre peur et peut-être même en plaisantant. »
« il avait toujours aimé vivre dans son monde imaginaire. »
« Pourquoi cet instant où cinq neuf allaient se transformer en cinq zéros était-il si important pour son père ? Toute sa vie il s’était empressé de refouler les grands drames, les triomphes professionnels, le kilométrage de la voiture était la seule chose à laquelle il s’était toujours cramponné. Pourquoi ? »
« Il avait fait des voyages, eu quelques aventures, mais sans jamais pouvoir s’engager complètement avec une femme. En vérité, il avait le même art de l’esquive dans ses relations amoureuses que son père quand il s’agissait d’avoir une vraie discussion. »
« Au début ça n’avait pas beaucoup d’importance, mais le non-dit n’avait pas tardé à peser comme une chape de plomb sur leur relation. »
« Et soudain il comprit que c’était la vérité. Non pas parce qu’il le savait. Mais parce qu’il le sentait. »