Wells, Benedict «Presque Génial» (RL2020)

Wells, Benedict «Presque Génial» (RL2020)

Auteur:  Benedict Wells est né en 1984 à Munich. A l’âge de 6 ans il commença son parcours dans trois internats bavarois. Après son diplôme en 2003, il emménagea à Berlin. C’est là qu’il décida de se consacrer à l’écriture plutôt qu’à des études universitaires. Pour assurer sa subsistance, il fit plusieurs petits boulots. En 2008, il publia un premier roman applaudi par la critique Becks letzter Sommer, qui lui valut le prix Bayerischer Kunstförderpreis (prix Bavarois des arts et de la littérature). Le roman a été adapté à l’écran et projeté dans les salles de cinéma en 2015. Son troisième roman « Fast genial » a acquis une grande notoriété et s’est retrouvé au classement des meilleures ventes pendant plusieurs mois. Après des années passées à Barcelone, Wells est récemment rentré à Berlin. Benedict Wells est déjà l’auteur de plusieurs romans, dont « La Fin de la solitude » et « Le Dernier été ». En 2019 il publie un recueil de nouvelles « La vérité sur le mensonge«  (RL2019).  « Presque génial«  parait en français à la RL2020 et « Hard Land  » en 2022.  Depuis La Fin de la solitude, tous ses romans sont publiés par Slatkine & Cie et repris au Livre de Poche. « Hard Land », paru en Allemagne en 2021, est resté 52 semaines dans la liste des meilleures ventes du Spiegel et a déjà été cédé dans 17 pays.

Slatkine & Cie – 24.08.2020 – 416 pages – Traduit par Dominique Autrand

Résumé : Francis, dix-sept ans, vit avec sa mère dans un Trailer Park, à Claymont, New Jersey. Lorsqu’il apprend qu’il est le fils d’un donneur anonyme sélectionné pour son QI, Francis se met en tête de retrouver son géniteur. Il entraîne dans son road trip son meilleur ami, le geek Grover, et la mystérieuse Anne-May, dont il vient de tomber amoureux.

Mon avis : Un grand merci aux Editions Slatkine pour cet excellent moment de lecture. J’avais déjà eu un aperçu de l’univers de cet auteur en lisant son recueil de nouvelles « La vérité sur le mensonge« l’an dernier.

Tout n’est pas au beau fixe dans la vie de Francis, jeune ado né sous le signe du « loser ». Il habite avec sa mère dans un camp de caravanes et les conditions sont dures. Sa mère, bipolaire, navigue entre état dépressif et internement en hôpital psychiatrique. Déjà qu’il n’a jamais connu son père et qu’il en a souffert, il a été abandonné une deuxième fois quand son beau-père, qui quittera sa mère en emmenant son demi-frère. Pendant un des séjours de sa mère à l’hôpital, il fait la connaissance de Anne-May , une adolescente qui y est également internée et tombe amoureux fou. Et lorsque sa mère fait une tentative de suicide, elle lui laisse une lettre en lui révélant la vérité sur sa naissance et lui donnant une piste pour retrouver qui était son père : un donneur de sperme dans un programme de « banque de sperme de personnes ayant un QI de génies.
Fort de cette information, le jeune homme va se lancer dans un road-trip qui va lui faire traverser tous les Etats-Unis à la recherche de son génie de père. Cette lettre ouvre pour lui la voie de l’espoir : s’il est fils de génie, son père lui a forcément transmis des capacités hors du commun et il ne reste plus qu’à trouver lesquelles… Il part avec son seul ami et l’adolescente rencontrée à la clinique ; au programme un road-trip, la découverte du jeu à Las Vegas, et l’enquête pour retrouver le nom de son père et ensuite faire sa connaissance.
En plus du côté « aventure et découverte de l’amour » plusieurs thèmes importants sont cœur du roman : les expériences scientifiques en matière de génétique, l’eugénisme, l’importance de la présence d’un père dans la vie d’un enfant, le rêve américain, la quête identitaire, l’importance de la génétique dans la vie, l’addiction, les rapports sociaux, l’amour, l’amitié, le mensonge, la puissance du rêve, la fracture sociale, l’importance de transmission, des racines.
Et comme le suspense est présent tout au long du roman, cela fait une lecture très plaisante même si parfois la partie « amoureuse » est un peu longuette…

Extraits :

Bien sûr que sa mère serait bientôt rétablie, le problème était plutôt qu’elle se remettrait à aller mal un jour ou l’autre. Parce qu’elle semblait ne plus pouvoir échapper à la trinité diabolique : les hommes, la maniaco-dépression, le séjour en clinique.

Francis imagina qu’il prenait sa pusillanimité entre ses mains et qu’il la déchirait comme une feuille de papier ; un vieux truc que lui avait appris son coach.

Elle n’était pas petite, mais on l’aurait dit transparente, comme en filigrane.

Certains textes évoquaient aussi les enfants SDF d’Amérique, plus de deux millions, tous les laissés-pour-compte et les exclus du pays auxquels personne ne s’intéressait et que le gouvernement faisait tenir tranquilles à coups de télévision, d’Internet et autres drogues, jusqu’au jour où viendrait l’insurrection.

Il n’était qu’une giclée de sperme d’un génie inconnu qui ne lui avait plus accordé la moindre pensée depuis.

Jusqu’à une date récente, son avenir était comme une page préimprimée où était écrit en grosses lettres noires « raté », « décrocheur scolaire », « ouvrier à la chaîne ».

Que deviendraient ces moments insignifiants tellement importants pour lui ? Personne ne connaissait ses pensées ni ses souvenirs. Tout cela tomberait dans l’oubli quand il mourrait et au bout de quelques rotations terrestres ce serait comme si ça n’avait jamais été. Tout serait perdu, envolé à travers le cosmos.

«  Autrefois je me disais qu’il valait mieux voir les choses avec humour… ne pas les prendre trop au sérieux.
Il s’arrêta une seconde.
« Mais c’est faux. Car il arrive un moment où plus rien n’est drôle, et on est bien obligé de prendre la vie au sérieux. »

Peut-être que l’homme est intrinsèquement mauvais, peut-être que malgré toutes les bonnes choses le bilan final est toujours négatif. Je veux dire, dans les films on prétend toujours qu’on apprend de ses erreurs et qu’on peut devenir quelqu’un d’autre… mais, dans la plupart des cas, c’est un mensonge. C’est pour ça que rien ne change jamais. Je crois qu’il y aura toujours la guerre, toujours la faim, l’injustice et le mensonge.

Mais as-tu jamais songé que pour développer ton potentiel il faut d’abord savoir qui tu es ?

« L’essentiel c’est que tu prennes tes foutus espoirs et tes rêves sous ton bras et que tu t’y cramponnes. Tu peux crier, tu peux désespérer, tu peux te lamenter. Mais même si tu ne crois plus en toi, ne les lâche surtout pas. Car si tu le fais c’est foutu, mon petit gars. Ta vie est terminée à l’instant même. Tu déambuleras encore des années à travers le monde, mais tu seras mort à l’intérieur depuis longtemps… comme la plupart des gens ici. »

Les uns pensent que révéler les noms des donneurs de sperme au risque de détruire leur vie est irresponsable. Je pense, au contraire, que c’est la vie des enfants qu’on détruit en ne le faisant pas. Le donneur de sperme sait ce qu’il fait, il prend le risque. Tandis que les enfants viennent au monde sans qu’on leur demande leur avis, et sont condamnés à vivre sans père. Je considère que c’est irresponsable.

La biologie de synthèse est déjà capable de produire artificiellement des gènes, il se pourrait que naissent un jour des hommes entièrement conçus en laboratoire…

Chez les scientifiques, on part du principe que l’intelligence est héréditaire. Mais ça ne fait pas tout, c’est comme quand on plante des graines dans le sol. L’éducation, la famille, l’environnement dans lequel le petit humain grandit jouent aussi leur rôle, c’est l’engrais.

Tu sais, on dit toujours qu’à force de travail et d’application on arrive à tout, mais on oublie que la chance et la poisse jouent un rôle encore plus grand. Quand on regarde l’histoire d’une vie, un écart minuscule suffit parfois à casser l’équilibre, à tout faire basculer d’un côté ou de l’autre. Et pour finir, c’est le hasard qui décide, beaucoup plus souvent qu’on ne le pense.

Il y a les gènes mais il y a aussi ce qu’on en Tout semblait possible à Las Vegas, tout le monde était à égalité, comme nulle part ailleurs. Les deux cheiks en djellaba blanche. Le rappeur noir en costume qu’il connaissait bien. Le politicien qu’il avait vu à la télévision. De même que la dame élégante d’un certain âge en tailleur sombre, l’homme à lunettes et veste en velours et le type blond en sweat-shirt Tommy Hilfiger dont les visages ne lui disaient rien. Ces gens ne pouvaient pas être plus différents. Mais ici, face à ces trente-six numéros plus le zéro, ils avaient tous les mêmes chances.

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