Rash, Ron « Incandescences » (2015)
Auteur : Ron Rash, né en Caroline du Sud en 1953, a grandi à Boiling Springs et obtenu son doctorat de littérature anglaise à l’université de Clemson. Il vit en Caroline du Nord et enseigne la littérature à la Western Carolina University. Il a écrit à ce jour quatre recueils de poèmes, six recueils de nouvelles – dont Incandescences (Seuil, 2015), lauréat du prestigieux Frank O’Connor Award, et cinq autres romans, récompensés par divers prix littéraires : Sherwood Anderson Prize, O. Henry Prize, James Still Award. Un pied au paradis (2002 / 2009), Le Chant de la Tamassee (2004 / 2016), Le Monde à l’endroit (2006 / 2012) , Serena (2008 / 2011) , Une terre d’ombre (2012/ 2014) et Par le vent pleuré (2016 / 2017) , Un silence brutal (2019).
Résumé : Les douze nouvelles de ce recueil sont des portraits de désespoir rural, des tranches de vie oblitérées par la misère, le manque d’éducation, la drogue. Situées dans le décor sauvage et magnifique des Appalaches, déjà rencontré dans Le Monde à l’endroit et Une terre d’ombre, elles évoluent entre l’époque de la guerre de Sécession et nos jours. Elles décrivent avec une compassion affligée et lucide de pathétiques gestes de survie, une violence quotidienne banalisée par la pauvreté, des enfants sacrifiés par leurs parents au culte de la crystal meth ou des actes meurtriers commis sous couvert de bonnes intentions. Elles parlent aussi de vieux mythes et des croyances qui perdurent dans cette contrée imperméable au progrès et à la modernité. A mi-chemin entre le minimalisme de Raymond Carver et le gothique de William Faulkner, Ron Rash écrit une prose d’une noirceur poétique, laissant par instants entrevoir un éclair d’humanité même chez les êtres les plus endurcis.
Mon avis (nouvelle par nouvelle) : Dans un monde de misère, de douleur, de survie plus que de vie, l’amour et l’argent sont en conflit.. Mais que sont-ils face à la faim, la solitude, la drogue… Et toujours ces paysages désertiques et extrêmes, de neige, de froid, de glace, d’hiver, sous des ciels noirs mais ou malgré tout des étoiles qui brillent… de la boue, de la crasse… et soudain une lueur, une bougie, un éclair blanc.. qu’il provienne du ciel ou d’une lame… qui illumine la scène. Mais j’ai toujours du mal à apprécier les nouvelles comme genre littéraire. J’aime l’écriture de Ron Rash et c’est un amuse-bouche, un « avant-gout » un peu frustrant car j’aime m’imprégner des ambiances et là je ne fais que mettre le doigt dans la place…
1. Les temps difficiles :
Toujours le contraste entre ombre et lumière – que ce soit dans la nature ou dans les caractères des personnages – chez Ron Rash. Des œufs disparaissent dans le poulailler. En pleine période de misère, chaque œuf représente de l’argent. Qui est l’auteur de ces larcins ? Un voisin, un animal domestique, un animal sauvage ? Alors que les propriétaires du poulailler traquent le coupable, des réflexions mettent en lumière ce que révèle la misère dans le caractère des gens. Agressivité, ressentiment, honneur, importance de chaque miette de nourriture, mais aussi bienveillance et compréhension…
Extraits :
« Ce vallon-là est si bougrement sombre qu’y faut y faire entrer la lumière au pied-de-biche »
«Son visage tout entier rayonnait, comme si la courbe de ses lèvres déroulait une vague lumineuse de la bouche au front »
« Avec leurs vêtements en loques pendant sur leurs corps efflanqués, on aurait cru des épouvantails en route pour un nouveau champ de maïs »
« Au bout d’un certain temps, la lune et les étoiles pâlirent. À l’est, l’obscurité s’éclaircit jusqu’à prendre la couleur du verre bleu indigo. »
2. Le bout du monde : L’alliage de la misère et de la méthamphétamine est à l’origine du rapprochement de deux frères.. L’un d’entre eux est prêteur sur gages. Il revend sans état d’âme ce que lui apporte son neveu, tout en sachant bien que les objets sont volés dans la maison familiale ; tant que cela reste en famille il ne veut pas s’en mêler. Le jour ou le neveu lui amène des objets volés, il retournera dans la maison familiale pour régler le problème à sa façon…
3. Des confédérés morts : La aussi on part sur le vol et la revente. Mais il y a opposition entre les motifs.. D’un côté s’enrichir par appât du gain, de l’autre aider. Et si je puis dire… la morale de cette histoire punira la mauvaise raison de voler (si il peut y en avoir une bonne) .. J’aime bien le mimétisme entre l’origine des gens en le langage parlé.
Extraits :
« On est sur une crête maintenant, et je vois toute une flopée d’étoiles éparpillées dans le ciel. Une nuit comme y en a pas de plus claires, et je me dis que c’est pas difficile pour Dieu de me voir de là-haut. Cette idée me tracasse un peu, mais c’est bien plus facile d’avoir un jugement sur un truc si on le voit entièrement en bien ou entièrement en mal. Faire ce qu’on est en train de faire c’est un péché, certainement, mais pas s’occuper de celle qui vous a enfanté et élevé, c’est un péché pis encore. Voilà ce que je me dis en tout cas »
« J’ai une pelle et une pioche, je dis. Je sais aussi comment faire autre chose que m’appuyer dessus. »
« Y me comprend mais y rigole, c’est tout, y me raconte ce qu’il a combiné dans sa tête. Je commence à répondre que jamais de la vie je ferais un truc pareil, mais y tend la main comme pour arrêter la circulation, et y me demande de lui épargner mon oui ou mon non jusqu’à ce que j’aie eu le temps de bien peser tout ça dans ma tête »
Attendre c’est ce qu’on fait pendant deux semaines, pasque ce premier soir dans ma cour quand je lève la tête vers le ciel la lune est toute maigrelette et a pas l’air de grand-chose de plus qu’un truc à quoi on suspendrait un manteau
« Finalement la bonne nuit arrive, la pleine lune qui vient se poser tout contre le monde. Une « lune de chasseur », il appelait ça mon père, et c’est pas difficile de voir pourquoi, pasqu’une lune comme ça, ça aide vraiment pour vadrouiller dans les bois. »
4. L’envol : La méthamphétamine est aussi le sujet de cette nouvelle. Un jeune garçon va tenter d’aider ses parents pour leur montrer son amour et ensuite va trouver le moyen d’échapper à la vie. L’argent c’est une chose mais c’est loin d’être le remède universel…
Extraits :
« Sa mère ne cessait de remettre du petit bois dans le feu, en disant à Jared que s’il regardait bien il verrait des ailes d’anges battre dans les flammes. « Les anges descendent parfois par la cheminée, tout comme le Père Noël », lui expliqua-t-elle »
« Il était parvenu à mi-pente lorsque la lame accrocha le soleil de midi et l’acier lança un éclair »
« Pendant quelques instants il resta assis à écouter combien le monde était silencieux et immobile »
5. La femme qui croyait aux jaguars : Nouvelle sur la solitude. Personne ne connait cette femme. Bien qu’elle travaille, elle n’a personne avec qui parler. Son passé est mort le jour où elle a perdu le bébé qu’elle venait de mettre au monde. Elle a perdu l’espoir.. et toute sa ville s’est écroulée. Pour tromper sa solitude, elle se penche sur les disparus… que ce soit le jaguar comme animal ayant vécu dans sa région dans des temps reculés ou des enfants disparus sans laisser de traces…
Extraits :
« Les derniers jours ont été d’autant plus épuisants qu’elle a dû s’entretenir avec quantité de gens. Elle est fille unique, les longs silences de ses jeunes années peuplés de livres et de jeux qui ne nécessitaient pas d’autres joueurs »
« la solitude reparaissant dans la vie de Ruth comme un lieu géographique, un paysage ni hostile ni accueillant, simplement familier »
« Leur couple était devenu un inextricable échange de douleur »
« Quelque chose en elle largue les amarres. Elle s’allonge sur le banc, pose sa tête sur son avant-bras. Elle ferme les yeux et elle s’endort. »
6. Incandescences : La nouvelle qui a donné le titre au recueil : encore sur la solitude à laquelle est confrontée une femme. Elle vit seule depuis la mort de son mari et le départ de ses filles ; elle rencontrera un étranger de passage… Ce n’est pas un causeur mais c’est une présence.. Est-elle prête à fermer les yeux sur tout pour ne pas mourir seule…
Extraits :
« C’était comme si ses longs silences lui donnaient une plus grande faculté de communiquer d’autres façons »
« Parce qu’elle savait ce que l’on espérait d’elle – qu’elle reste là, seule, à attendre que les années, peut-être les décennies, passent jusqu’à ce qu’elle meure à son tour. »
7. Retour : Celle que j’ai le moins apprécié. Changement d’époque… De retour dans ses montagnes, un soldat se remémore … . Une nouvelle « humaine » sur la guerre, ou le thème du vol des morts est abordé. Pour quelques dollars, il aurait pu dépouiller un mort… Le soldat respecte son adversaire tombé au combat … et à son retour chez lui, de passage au cimetière face à une croix, établit un parallèle entre lui qui est en vie et le disparu, les sommets de son Amérique et les neiges éternelles du Japon. Un dernier moment avant de retourner à sa vie d’avant… Un peu trop ébauchée et pas assez aboutie à mon gout..
8. Dans la gorge : Une de celles que j’ai beaucoup aimé. Le présent n’est pas la continuité du passé. Les règles ont changé… Il lui faudra fuir pour échapper à ce qui était pour lui une évidence et qui se transforme en cauchemar…
Extraits :
« Puis son esprit s’était égaré en un lieu où elle n’avait pu le suivre, emportant avec lui tous les gens de son entourage, leurs noms et les liens qui les unissaient, s’ils vivaient encore ou s’ils étaient morts. »
« Le liniment qu’il passait tous les matins et tous les soirs sur ses articulations et ses muscles lui donnait l’impression d’être une machine grinçante et mangée de rouille qu’il fallait graisser et faire chauffer avant qu’elle crachote et prenne vie »
« Il frissonnait, l’esprit en déséquilibre, chaque pensée penchant vers la panique »
9. Étoile filante : Quand sa femme reprend ses études, tout change.. Les deux mondes se télescopent et il assiste à la mort de leur amour…
Extraits :
« C’est pas parce qu’on a de l’instruction qu’on ne peut rien faire d’autre »
« Lynn arrange ses bouquins sur la table. Ils sont empilés là devant elle comme une grande assiette de nourriture qui la rend de plus en plus forte »
« Y a tellement d’étoiles qu’on peut voir comment certaines semblent être passées sur un fil et dessiner des formes »
« Elle a posé sa tête sur mon épaule. « J’espère que ça sera toujours comme ça, elle a dit. S’il y avait une étoile filante, je ferais pas d’autre vœu. »
« T’as intérêt à t’y habituer, dit une voix dans ma tête. Y a un bon paquet de nuits en vue où elle sera pas au même endroit que toi, peut-être même dans une autre ville. Je lève les yeux vers le ciel une dernière fois mais y a rien qui file »
« Je me fabrique un souvenir qui va pas tarder à m’être nécessaire »
10. L’oiseau de malheur : Je pense que c’est ma préférée. Un homme a quitté les montagnes de son enfance et la vie qui allait avec. Il a changé de mode de vie et s’est adapté à un environnement citadin. Quand soudain il est rattrapé par des croyances surgies de son passé. Incompréhension dans le milieu dans lequel il vit, stupeur de son entourage qui pensent qu’il ne peut être que dérangé mentalement ou surmené.
Extraits
« Un lever de soleil rouge annonçait la pluie, tout comme le cri du coucou à bec jaune. D’autres signes, qui étaient annonciateurs d’une vie nouvelle, ou d’une vie touchant à sa fin. «
« Le vieil homme avait également entendu le hibou, et pour lui c’était un son de Jugement dernier, tout aussi définitif que le choc sourd des mottes de terre sur son cercueil »
« Ils l’avaient précipité dans un monde où le ciel ne comptait pas, où la terre ne vous noircissait pas les ongles, ne collait pas à vos souliers ni ne rendait vos mains calleuses, mais était vue, au mieux, derrière des vitres d’immeuble, de voiture et d’avion. Le monde hors sujet et muet. Ses professeurs avaient cru qu’il pouvait quitter le monde dans lequel il avait grandi, et peut-être qu’à son tour il les avait crus. »
« Les superstitions ne sont rien d’autre que l’ignorance de la cause et de l’effet »
« Couper le bois, le ranger, et finalement le brûler, lui procurait du plaisir, du travail qui, contrairement à tant de choses qu’il faisait au bureau, était tangible, en quelque sorte plus réel »
11. « Waiting for the End of the World » : Ce pourrait être la nouvelle tragi-comique du recueil. L’histoire d’un ancien prof qui se retrouve obligé, pour avoir un peu d’argent, de jouer de la guitare dans un bouge. Elle est écrite à la première personne. Il doit chanter toutes les heures une même chanson évoquant la liberté alors qu’il est tout sauf libre de faire ce qu’il veut… et qu’il en a visiblement marre… même si il ne fait rien pour s’envoler… Le chanteur est enfermé dans une « cage » qui a un nom qui évoque l’espoir, joue un titre qui est porteur d’espoir, évoque des paroles qui évoquent l’espoir… et tout ce qui l’environne est déprimant au possible… J’ai pas trop croché.
Extrait : On est donc quelque part entre samedi soir et dimanche matin pour ce qui est de l’heure, et moi je suis dans un bar perdu sur le bord d’une route, un cube en béton qui s’appelle La Dernière Chance, et je joue « Free Bird » pour la cinquième fois ce soir, seulement je ne pense pas à Ronnie Van Zant mais à un artiste exhumé de ma vie d’avant, Willie Yeats, et à son vers « Sûrement que quelque révélation, c’est pour bientôt ».
« Tout ce que je suis pour eux c’est une enveloppe avec un chèque à l’intérieur »
Et voici les paroles du refrain de la chanson…
If I leave here tomorrow
Would you still remember me?
For I must be traveling on now
‘Cause there’s too many places I’ve got to see.
But if I stayed here with you, girl,
Things just couldn’t be the same.
‘Cause I’m as free as a bird now,
And this bird you can not change, oh, oh, oh, oh.
And this bird you can not change.
And this bird you can not change.
Lord knows I can’t change.
12. Lincolnites : cette nouvelle serait inspirée par un fait réel; une histoire qui est arrivée à un de ses ancêtres en Caroline du Nord. Pendant la Guerre de Sécession, sa famille et ses voisins étaient connus comme des partisans de L’Union. Un jour, un Confédéré arriva et “confisca” un cheval. Bien mal en prit au soldat..
pas trop aimé.