Rash, Ron «Le chant de la Tamassee» (2004/2016)

Rash, Ron «Le chant de la Tamassee» (2004/2016)

 Auteur : Ron Rash, né en Caroline du Sud en 1953, a grandi à Boiling Springs et obtenu son doctorat de littérature anglaise à l’université de Clemson. Il vit en Caroline du Nord et enseigne la littérature à la Western Carolina University. Il a écrit à ce jour quatre recueils de poèmes, six recueils de nouvelles – dont Incandescences (Seuil, 2015), lauréat du prestigieux Frank O’Connor Award, et cinq autres romans, récompensés par divers prix littéraires : Sherwood Anderson Prize, O. Henry Prize, James Still Award. Un pied au paradis (2002 / 2009) Le Chant de la Tamassee (2004 / 2016), Le Monde à l’endroit (2006 / 2012) , Serena (2008 / 2011) , Une terre d’ombre (2012/ 2014) , Par le vent pleuré (2016 / 2017), Un silence brutal (2019)

Editions du Seuil – 14.01.2016 – 231 pages / titre original : « Saints at the River »

Résumé : La Tamassee, protégée par le Wild and Scenic Rivers Act, dessine une frontière entre la Caroline du Sud et la Géorgie. Ruth Kowalsky, 12 ans, venue pique-niquer en famille sur sa rive, fait le pari de poser un pied dans chaque État et se noie. Les plongeurs du cru ne parviennent pas à dégager son corps, coincé sous un rocher à proximité d’une chute. Inconscient des dangers encourus, son père décide de faire installer un barrage amovible qui permettra de détourner le cours de l’eau. Les environnementalistes locaux s’y opposent : l’opération perturbera l’état naturel de leur rivière, qui bénéficie du label « sauvage ». Les deux camps s’affrontent violemment tandis que le cirque médiatique se déchaîne de répugnante manière et que des enjeux plus importants que la digne sépulture d’une enfant apparaissent…

Le Chant de la Tamassee, deuxième roman de Ron Rash – publié aux États-Unis avant Le Monde à l’endroit –, est le plus représentatif de l’engagement de l’auteur pour la protection de l’environnement. Tout en décrivant un drame humain déchirant, il y rend hommage à ses références avouées, Peter Matthiessen et Edward Abbey.

Mon avis : Petit à petit, je continue ma découverte de cet auteur que j’aime de plus en plus, tant pour son écriture poétique que pour les thèmes qu’il aborde. On retrouve ici les thèmes chers à l’auteur : l’environnement et les enfants. Le point de départ est la noyade d’une fillette, mais les deux personnages principaux sont à mon avis la rivière et une jeune fille, Maggie, reporter photographe de 28 ans, originaire de l’endroit où s’est déroulé le drame et qui revient sur place couvrir l’événement. La jeune femme va se trouver confrontée à un passé qu’elle avait tenté de fuir. Elle va également être le lien entre les habitants de la vallée et les personnes qui vont se déplacer de la ville pour organiser la récupération du corps et le suivi médiatique de la tragédie. Le passé, les horreurs de la guerre, les secrets de famille, les conflits familiaux, les souvenirs d’enfance et d’adolescence, les déceptions et les regrets empoisonnent l’endroit. Maggie va revoir son père qui est en train de mourir et à qui elle n’a jamais pardonné un drame qui s’est déroulé pendant son enfance C’est aussi un roman sur le deuil, sur l’absence, sur le pardon, sur la difficulté d’être parents. Chacun se bat pour ses croyances, chacun a sa vision des choses ; c’est la confrontation de deux mondes, le monde rural et le monde des affaires, l’écologie et le monde de l’argent.

La réalité est tout autre selon qu’on regarde du point de vue des personnes concernées (une victime, un homme d’affaire, un politicien, un promoteur, un défenseur de la nature). Il en va de même pour la photographie : selon l’angle de la prise de vue, selon l’utilisation du grand angle ou du zoom, l’éclairage de la scène est différent et pourtant la scène est la même, mais l’intensité est différente et la façon de partager l’événement est orientée. Chacun se bat pour défendre ses opinions et ses idées dans ce livre : pour l’amour, pour l’argent, pour la science, pour la nature. Dans tout le roman, les vivants et les morts sont omniprésents et croyances et religions les accompagnent et se mêlent dans les eaux de la rivière. Et le passé de chacun influe aussi sur la façon dont il va se positionner dans le débat : faut-il ou non dévier le cours de la rivière pour sortir le corps de la fillette de l’eau…

Encore un magnifique livre de cet auteur. Je ne vais pas tarder à enchainer sur ceux que je n’ai pas encore lus.

Extraits :

le comté d’Oconee n’est pas le cœur des ténèbres. C’est à quatre heures d’ici, pas quatre siècles.

Je suppose que les ayatollahs du politiquement correct me donneraient vingt coups de fouet si je disais “cul-terreux”

La route à deux voies monte en s’enroulant comme un serpent noir qui grimpe à un arbre.

Un gars du comté va choisir ce grâce à quoi il – lui ou du moins une bonne partie de ses voisins – gagne sa vie.

Le plus important, c’est que la Tamassee a obtenu le label “rivière sauvage”, moyennant quoi la loi fédérale interdit d’en perturber le cours naturel.

C’est agréable de savoir qu’il existe dans le monde quelque chose qui n’est pas dénaturé. Quelque chose qu’on ne peut ni acheter ni couper en morceaux pour que quelqu’un en tire de l’argent.

Une rivière sauvage, ça ne peut ni se renouveler ni se reconstituer une fois qu’elle a disparu.

Tout ce avec quoi nous pouvions nous blesser, nous l’avions dit. Nous étions donc restés plantés là en silence, papa et moi, comme des boxeurs qui ont asséné leurs meilleurs coups et constatent que leur adversaire est toujours debout.

Je n’ai pas de fille, a-t-il dit, d’une voix qui n’était plus belliqueuse mais presque tendre. Pourtant, si j’en avais une, qu’elle était morte et que je savais que rien ne lui rendrait la vie, je ne vois pas de meilleur endroit que la Tamassee où je voudrais que son corps repose. Je voudrais qu’elle soit là où elle ferait partie de quelque chose de pur, de bon, d’immuable, ce qui nous reste de plus proche du paradis. Dites-moi où, sur cette planète, il y a un endroit plus beau et plus serein.

Voilà un homme qui toute sa vie était parvenu à ce que les choses s’accomplissent à force de colère, d’intimidation et de volonté, mais aussi qui avait appris que rien de ce qui avait fait de lui un brillant homme d’affaires ne pouvait lui rendre son enfant.

Lire son livre m’avait poussée à me demander – et ce n’était d’ailleurs pas la première fois dans ma vie – si voir trop de souffrance pouvait vous dévaster le cœur.

Un cliché n’en devient un que parce qu’il se répète.

C’était ce que croyaient les Celtes – que l’eau était un passage vers l’autre monde.

Le soleil avait bu à petites gorgées ce qui restait de rosée sur les toiles d’araignées

Lorsque je prenais une photo, je ne voulais pas de silence high-tech. Je voulais le déclic mécanique, la façon qu’il avait de m’indiquer, tel un piège qui se referme, que j’avais capturé quelque chose. Je voulais que le processus soit viscéral.

Il m’avait montré que la Tamassee n’était pas une seule mais de multiples rivières, selon l’époque de l’année, l’abondance des pluies, la visibilité.

Pour lui, en noir et blanc on voyait l’essentiel, la couleur n’était que décoration et distraction.

C’est ça, la nature sauvage – la nature selon ses conditions, pas les nôtres, et il n’y a pas d’entre-deux.

La tradition de se transmettre le feu est née au cœur de l’Écosse.

Ce n’était pas la première fois que le chagrin pouvait être purifié en se transformant en chanson, ai-je soudain pensé. Tout comme un morceau de charbon est purifié en se transformant en diamant.

Sous l’éclairage rouge d’une chambre noire, tout est gris. Vos mains sont sans vie. Le bain d’arrêt vous emplit les narines et le ventre comme du formol. C’est peut-être normal, au fond, car ce que fait un photographe, c’est embaumer quelque chose ou quelqu’un dans une éternité encadrée et figée.

Mais on ne peut pas serrer la bride au temps. Il avance sans jamais s’arrêter, nous emportant avec lui quel que soit notre désir qu’il en soit autrement.

C’est peut-être ce qui arrive quand les gens grandissent quelque part où les montagnes les encerclent, retiennent tout replié vers l’intérieur, créent une zone tampon entre eux et le reste du monde. Combien de temps faut-il pour que ce paysage se trouve intériorisé, se transmette de génération en génération, tout comme le groupe sanguin ou la couleur des yeux ?

Un pasteur de l’Église de Dieu, à Mountain View, nous avait accusés d’être de « faux prophètes » rendant un culte à la nature plutôt qu’au Créateur, comme si l’une ne faisait pas partie de l’autre.

nous sommes tellement absorbé par notre propre existence que nous en oublions que rien ne compte davantage que nos enfants.

Ce n’était pas un souvenir qui me convenait, car je ne pouvais pas bien insérer cette image dans la photo en noir et blanc que je m’étais créée de mon passé.

À Tamassee, beaucoup de personnes âgées croyaient que les miroirs servaient de points de passage entre les vivants et les morts ; après les enterrements, tous les miroirs d’une maison étaient voilés pour empêcher le défunt de revenir.

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