Rash, Ron « Une terre d’ombre » (2014)

Rash, Ron « Une terre d’ombre » (2014)

Auteur : Ron Rash, né en Caroline du Sud en 1953, a grandi à Boiling Springs et obtenu son doctorat de littérature anglaise à l’université de Clemson. Il vit en Caroline du Nord et enseigne la littérature à la Western Carolina University. Il a écrit à ce jour quatre recueils de poèmes, six recueils de nouvelles – dont Incandescences (Seuil, 2015), lauréat du prestigieux Frank O’Connor Award, et cinq autres romans, récompensés par divers prix littéraires : Sherwood Anderson Prize, O. Henry Prize, James Still Award. Un pied au paradis (2002 / 2009),  Le Chant de la Tamassee (2004 / 2016), Le Monde à l’endroit (2006 / 2012) , Serena (2008 / 2011) , Une terre d’ombre (2012/ 2014) et Par le vent pleuré (2016 / 2017), Un silence brutal (2019) .

Résumé de l’Editeur : Laurel Shelton est vouée à une vie isolée avec son frère — revenu de la Première Guerre mondiale amputé d’une main —, dans la ferme héritée de leurs parents, au fond d’un vallon encaissé que les habitants de la ville considèrent comme maudit : rien n’y pousse et les malheurs s’y accumulent. Marquée par ce lieu, et par une tache de naissance qui oblitère sa beauté, la jeune femme est considérée par tous comme rien moins qu’une sorcière. Sa vie bascule lorsqu’elle rencontre au bord de la rivière un mystérieux inconnu, muet, qui joue divinement d’une flûte en argent. L’action va inexorablement glisser de l’émerveillement de la rencontre au drame, imputable exclusivement à l’ignorance et à la peur d’une population nourrie de préjugés et ébranlée par les échos de la guerre.

La splendeur de la nature, le silence et la musique apportent un contrepoint sensible à l’intolérance, à la xénophobie et à un patriotisme buté qui tourne à la violence aveugle.

Après Le Monde à l’endroit (Seuil, 2012), Une terre d’ombre prolonge une réflexion engagée par l’auteur sur la folie guerrière des hommes, tout en développant pour la première fois dans son œuvre romanesque une histoire d’amour tragique qui donne à ce récit poignant sa dimension universelle.

Mon Avis : Roman sudiste qui se situe a la fin de la première Guerre Mondiale. Dans un vallon maudit, sombre, un lieu ou rien n’est donné, ou un faible rayon de lumière est béni. Laurel, jeune fille maudite et assimilée à une sorcière du fait d’une tache de naissance est attirée par la musique d’une flute. Un musicien inconnu, muet, joue dans le vallon. Une ambiance sombre, des préjugés, des non-dits.. et un parfum de drame, le doute qui suinte. Un roman sur la noirceur, le silence, le caché, la violence latente, la peur aussi. Mais aussi un roman d’amour, un livre romanesque. Les images lumineuses (oiseaux, perroquets, rayons de soleil, feuilles ) qui tranchent sur la noirceur. Une description de la vie quoditienne touchante, en harmonie avec les personnages. Et aussi sur la force de l’amour et de l’amitié. La rudesse de la nature fait echo à celle de l’humain, la lumière extérieure – si rare – à l’illumination intérieure de l’amour. J’ai beaucoup aimé.
Extraits : 

« L’argent scintillant de la flûte s’atténua, vira au gris, mais la musique conserva sa brillance vaporeuse. »

« La falaise la dominait de toute sa hauteur, et elle avait beau avoir les yeux baissés, elle sentait sa présence. Même dans la maison elle la sentait, comme si son ombre était tellement dense qu’elle s’infiltrait dans le bois. Une terre d’ombre et rien d’autre »

« N’était-ce pas cela un fantôme : un être isolé des vivants »

« Une musique qu’il n’avait jamais entendue montait du cours d’eau. Les notes n’étaient pas que des sons, elles avaient des couleurs, des fils éclatants tissés dans le courant. Un peu de cette eau éblouissante venait éclabousser la berge. Elle était verte et scintillante, il en prit au creux de sa paume et elle se transforma en plume. Le vent fit bruire les branches et il imagina une armada de zeppelins se frottant à la cime des arbres. »

« Mais rien que d’entendre de la musique, même le plus triste des airs, ça vous permet de savoir que vous êtes pas tout ce qu’y a de plus seul au monde, que quelqu’un d’autre, comme vous, a connu quelque chose de semblable. Du moins, ça a été mon impression quand je vous ai entendu jouer. Et vous, ça vous fait pareil ? »

« La maison tout entière devint soudain moins lugubre, comme si la musique attirait davantage de lumière par les fenêtres et les fentes des murs »

« Elle était habituée à ne pas parler, ce qu’elle supportait plutôt bien. C’était de ne pas avoir quelqu’un avec qui partager le silence, comme l’hiver précédent, qui était affreux »
« Un crachin brumeux tomba toute la matinée. Du brouillard sortit en longues vrilles des bois, lentes volutes s’entremêlant et se déployant dans le fond du vallon. Au fil de la journée, le brouillard s’épaissit »
« …et je n’ai pas eu d’autre choix que de rester. On dirait que je n’ai jamais eu le moindre choix, dans la vie. La plupart des gens ont droit au moins à quelques choix, non »
« Ce serait bien si tu pouvais parler, mais c’est déjà tellement bon d’avoir quelqu’un qui écoute »

« Veux-tu bien me serrer contre toi un instant ? Pour m’aider à me souvenir que tu étais vrai, parce qu’une fois que tu seras parti, ce sera trop facile de croire le contraire »

« N’en demandons pas plus, se dit-elle. Il fut un temps où tu n’aurais même pas cru que tu pourrais en avoir autant »
« Ce ne fut pas une contraction qu’il ressentit dans la poitrine mais une sensation de vide, comme si son cœur s’était tout bonnement évaporé »

« Quelques minutes s’écoulèrent, tous deux semblaient craindre de faire le moindre geste, comme si entre leurs mains nouées il y avait un papillon de nuit ou un éphémère, quelque chose de tellement fragile qu’y toucher risquait de l’abîmer »

« Chaque après-midi l’obscurité totale arrivait plus tôt, laissant croire que le vallon était une main qui se refermait lentement »
« Tu ne peux pas nouer un « mieux ne vaut pas » à chaque petite chose que tu fais avec lui, se réprimanda-t-elle »

« À part les cicatrices sombres des châtaigniers morts, les feuillus y formaient une mosaïque de rouge, de jaune et d’orange, quelques feuilles pourpres de copalme, aussi. »

« Les arbres avaient perdu presque toutes leurs feuilles et l’absence de verdure rendait la montagne plus austère, plus fermement rattachée à la terre »

« Peut-être que parler du joug du mariage n’est pas la plus jolie manière de dire qu’on forme un couple, mais c’est la vérité pour moi et c’est vrai d’une bonne façon parce qu’on travaille ensemble, on compte l’un sur l’autre, et on partage le poids de la charge »

« Ils marchaient dans les bois et pas un souffle de vent n’agitait les quelques rares feuilles s’accrochant encore aux arbres, mais ce n’était pas le calme qui règne avant un orage d’après-midi ni après une grosse chute de neige. Non, on aurait cru que la terre s’était arrêtée, sans trop savoir si elle comptait repartir vers l’été ou continuer à s’enfoncer dans l’hiver. »

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