Récondo (de), Léonor « Amours » (2015)

Récondo (de), Léonor « Amours » (2015)

Auteur : Léonor de Récondo, née le 10 aout 1976 à Paris est une autrice française et violoncelliste française. Elle débute le violon à l’âge de cinq ans. Son talent précoce est rapidement remarqué, et France Télévisions lui consacre une émission alors qu’elle est adolescente. À l’âge de dix-huit ans, elle obtient du gouvernement français la bourse Lavoisier qui lui permet de partir étudier au New England Conservatory of Music (Boston/U.S.A.). Elle devient, pendant ses études, le violon solo du N.E.C. Symphony Orchestra de Boston. Trois ans plus tard, elle reçoit l’Undergraduate Diploma et rentre en France. En octobre 2010, paraît son premier roman, La Grâce du cyprès blanc, aux éditions Le temps qu’il fait. En 2012, elle publie chez Sabine Wespieser Rêves oubliés, roman de l’exil familial au moment de la guerre d’Espagne. En 2013, Pietra viva, plongée dans la vie et l’œuvre de Michel Ange, rencontre une très bonne réception critique et commerciale. Amours, paru en janvier 2015, a remporté le prix des Libraires et le prix RTL/Lire. Point cardinal, paraît en août 2017, En 2019 elle publie « Manifesto » . En 2020 « La leçon de ténèbres » et « K.626 », en 2021 « Revenir à toi », en 2023 « Le grand feu »

Résumé :

Nous sommes en 1908. Léonor de Récondo choisit le huis clos d’une maison bourgeoise, dans un bourg cossu du Cher, pour laisser s’épanouir le sentiment amoureux le plus pur – et le plus inattendu. Victoire est mariée depuis cinq ans avec Anselme de Boisvaillant. Rien ne destinait cette jeune fille de son temps, précipitée dans un mariage arrangé avec un notaire, à prendre en mains sa destinée. Sa détermination se montre pourtant sans faille lorsque la petite bonne de dix-sept ans, Céleste, tombe enceinte : cet enfant sera celui du couple, l’héritier Boisvaillant tant espéré.

Comme elle l’a déjà fait dans le passé, la maison aux murs épais s’apprête à enfouir le secret de famille. Mais Victoire n’a pas la fibre maternelle, et le nourrisson dépérit dans le couffin glissé sous le piano dont elle martèle inlassablement les touches.

Céleste, mue par son instinct, décide de porter secours à l’enfant à qui elle a donné le jour. Quand une nuit Victoire s’éveille seule, ses pas la conduisent vers la chambre sous les combles…

Les barrières sociales et les convenances explosent alors, laissant la place à la ferveur d’un sentiment qui balayera tout.

Prix RTL-Lire 2015 – Prix des Libraires 2015

Mon avis : C’est le troisième livre que je lis de cette romancière et je suis toujours sous le charme. Amour, sensualité, musique des corps et des notes. Début du XXème siècle : les femmes commencent à prendre leur liberté. Tout en délicatesse, nous assistons à la libération par l’amour de deux femmes totalement emmurées dans leur condition sociale et faisant exploser le corset (au propre et au figuré) qui les empêchait de respirer. C’est l’histoire des secrets de famille cachés. Un moment magique que je ne veux pas déflorer…mais je vous encourage vivement à lire ce petit bijou.

Extraits :

Elle réalise soudain que la solitude, dans laquelle elle est née, l’oblige à toujours acquiescer. Si elle avait eu le choix – mais ce mot n’existe ni dans sa condition, ni dans son vocabulaire –, elle aurait dit : « Non ». Elle l’aurait même hurlé

Elle savait que, malgré la nuit qui s’était faite en lui, ces mots trouveraient leur chemin, et ils se rendormaient.

Comme elle se sentait bien évanouie, la pensée ailleurs, si loin d’ici. Où s’était-elle donc évadée ? Cette vacuité lui convient parfaitement

Il éprouve de la tendresse pour elle, il la considère comme un objet délicat qu’il faut choyer

Une peinture traverse le temps. Ces photographies, on ne sait pas encore comment elles vieilliront

Elle n’a jamais vu de femme nue auparavant. Sa mère, jusqu’à son mariage, lui avait interdit d’avoir une glace. Elle n’avait, pour sa toilette, que l’usage d’un petit miroir accroché au mur, certes doré et de jolie facture, mais qui ne reflétait d’elle que son visage

Elle n’avait jamais eu la sensation de véritablement exister et, soudain, elle est deux fois trop

La vacuité dans laquelle elle déambule depuis toujours semble soudain si vaste qu’elle en perd l’équilibre

Et, comme une grande houle intérieure, des souvenirs surgissent à la surface de sa mémoire.

Tout le monde présentait bien, les mentalités s’accordaient, les portefeuilles aussi

Toujours changeant. Il se perd à tenter de la suivre. Mais, quand elle est gaie, il ne manque jamais de la soutenir : « Oui, ma chérie, ton idée est excellente. Fais ce qu’il te plaît ! » Sous-entendu : trouve ta joie comme tu le souhaites, tant que tu restes dans la bienséance exigée par notre milieu

Elle est contre ce corps si beau qu’elle a vu dans sa chambre, et puis il y a son odeur, un parfum capiteux et âcre, quelque chose de piquant qui émeut ses narines. La découverte de l’autre

Elle ne s’est jamais sentie plus grande qu’une fougère – elle pourrait se cacher derrière une souche de la clairière et personne ne s’apercevrait de son absence, elle pourrait y mourir, ce serait de même. Hier, dans le simple geste d’une main posée sur son épaule, son corps a enfin grandi, il existe, il s’est lié à un autre. Et ce monde, dans lequel elle a jusqu’ici avancé aveuglément, résignée, opinant à tout sans la moindre résistance, prend une teinte nouvelle, brûlante. Ce simple geste l’a rendue vivante

Il aime aussi, au petit matin, voir la nature s’éveiller pour profiter du splendide spectacle de ses couleurs changeantes. Se sentir à la fois animal, parce que sa peau frissonne à l’aube de ce jour nouveau, et homme, à pouvoir s’extasier de la beauté environnante

La guerre rapproche terriblement. C’est là qu’on se dit des choses qu’on ne se dirait jamais en temps de paix, de ces secrets qui ne se dévoilent pas

« Mon cœur a glissé dans ton corps. Je te touche et c’est moi que je caresse

Ce lien qui unit maintenant leurs corps brise en un instant l’interdit de leur amour et des conventions sociales. Toutes ces épaisseurs inutiles qui, lorsqu’elles sont nues, restent cousues à leurs habits

L’amour lui a soudain donné une identité propre. Jusque-là, elle n’avait fait que se mouvoir à tâtons, aveugle aux autres et à elle-même

Ils sont tous dépendants les uns des autres, chacun à sa manière, liés aux us et coutumes, liés à leur rang social

Alors, oui, le Graal est là, à portée de mains. Cette sonate, ce mouvement, elle va le jouer aujourd’hui, maintenant. Caresser les touches, et se lancer dans le flot incessant, soutenu, inépuisable de triolets. Beethoven la guide par ces mots posés au-dessus de la première portée : Si deve suonare tutto questo pezzo delicatissimamente e senza sordino. Oui, ce morceau a été écrit pour elles, une délicatesse infinie, sans sourdine

… absorbée par la délicatesse avec laquelle les notes sortent de ses mains. Poser doucement la pulpe de ses doigts sur la touche, appuyer juste ce qu’il faut pour en avoir l’âme blessée

« Tu sais, je ne me suis jamais posé la question de qui j’étais. Ma mère m’a toujours regardée comme quelque chose qui poussait. J’aurais aussi bien pu être un brin d’herbe… »

« La différence entre toi et moi, c’est qu’on ne m’a jamais menti, j’ai toujours su que ce serait difficile… »

Et puis, il l’a trompée avec une bonne, pas avec une autre femme !

Chacun dans sa pièce, chacun dans sa solitude profonde, hanté par des rêves, des désirs, des espoirs qui ne se rencontrent pas, qui se cognent aux murs tapissés, aux taffetas noués d’embrasses – métrages de tissu qui absorbent les soupirs pour n’en restituer qu’un écho ouaté.

Elle trouve des réponses à des questions qu’elle ne s’était jamais posées

il est des secrets si lourds à porter que l’on préfère aussitôt les divulguer afin d’en partager la charge.

Elle se balance au rythme des mots qui peu à peu la plongent dans une torpeur douce. Oublier, oublier

De la vie, on ne garde que quelques étreintes fugaces et la lumière d’un paysage

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