Récondo (de), Léonor «Point cardinal» RL2017
Auteur : Léonor de Récondo, née le 10 aout 1976 à Paris est une autrice française et violoncelliste française. Elle débute le violon à l’âge de cinq ans. Son talent précoce est rapidement remarqué, et France Télévisions lui consacre une émission alors qu’elle est adolescente. À l’âge de dix-huit ans, elle obtient du gouvernement français la bourse Lavoisier qui lui permet de partir étudier au New England Conservatory of Music (Boston/U.S.A.). Elle devient, pendant ses études, le violon solo du N.E.C. Symphony Orchestra de Boston. Trois ans plus tard, elle reçoit l’Undergraduate Diploma et rentre en France. En octobre 2010, paraît son premier roman, La Grâce du cyprès blanc, aux éditions Le temps qu’il fait. En 2012, elle publie chez Sabine Wespieser Rêves oubliés, roman de l’exil familial au moment de la guerre d’Espagne. En 2013, Pietra viva, plongée dans la vie et l’œuvre de Michel Ange, rencontre une très bonne réception critique et commerciale. Amours, paru en janvier 2015, a remporté le prix des Libraires et le prix RTL/Lire. Point cardinal, paraît en août 2017, En 2019 elle publie « Manifesto » . En 2020 « La leçon de ténèbres » et « K.626 », en 2021 « Revenir à toi », en 2023 « Le grand feu »
232pages, paru chez Sabine Wespieser – Aout 2017
Résumé : Sur le parking d’un supermarché, dans une petite ville de province, une femme se démaquille. Enlever sa perruque, sa robe de soie, rouler ses bas sur ses chevilles : ses gestes ressemblent à un arrachement. Bientôt, celle qui, à peine une heure auparavant, dansait à corps perdu sera devenue méconnaissable.
Laurent, en tenue de sport, a remis de l’ordre dans sa voiture. Il s’apprête à rejoindre femme et enfants pour le dîner. Avec Solange, rencontrée au lycée, la complicité a été immédiate. Laurent s’est longtemps abandonné à leur bonheur calme. Sa vie bascule quand, à la faveur de trois jours solitaires, il se travestit pour la première fois dans le foyer qu’ils ont bâti ensemble. À son retour, Solange trouve un cheveu blond…
Léonor de Récondo va alors suivre ses personnages sur le chemin d’une transformation radicale. Car la découverte de Solange conforte Laurent dans sa certitude : il est une femme. Reste à convaincre ceux qu’il aime de l’accepter.
La détermination de Laurent, le désarroi de Solange, les réactions contrastées des enfants – Claire a treize ans, Thomas seize –, l’incrédulité des collègues de travail : l’écrivain accompagne au plus près de leurs émotions ceux dont la vie est bouleversée. Avec des phrases limpides et d’une poignante justesse, elle trace le difficile parcours d’un être dont toute l’énergie est tendue vers la lumière.
Par-delà le sujet singulier du changement de sexe, Léonor de Récondo écrit un grand roman sur le courage d’être soi.
Mon avis :
Encore un magnifique moment passé en lisant Léonor de Récondo. Sujet difficile qui aurait pu devenir glauque, sordide ou voyeur. Mais le talent de Léonor de Récondo qui une fois encore traite un sujet « fleur de peau » avec une grande pudeur et une grande humanité.
Laurent est sûr d’être une femme dans un corps d’homme ; il en est convaincu et assume le fait de vouloir correspondre physiquement à la personne qu’il est à l’intérieur de lui, de vouloir être elle-même. La question à laquelle répond le livre est toute simple « Qui suis-je ? Enfin toute simple… pas pour Laurent ! Un corps d’homme pour une âme de femme. Que faire quand on ne se sent pas en adéquation avec le corps qui nous a été donné. Le livre traite donc d’un problème d’identité et nous entraine dans la révélation aux autres de ce mal-être. Le livre expose une réalité, et les problèmes que cela engendre ; il ne juge pas, ne prend pas parti. J’ai également trouvé extrêmement intéressante l’évolution du choix du prénom, en fonction du passage du temps et de l’évolution de la situation. Laurent, Mathilda, Lauren… un cheminement tout en finesse et en conscience.
Ce n’est pas un problème d’amour. Laurent aime sa femme, il aime ses enfants et ne remet pas ces faits en question. Ce n’est pas non plus un problème de désir ou de sexe. Juste le problème d’être né dans le mauvais corps. C’est aussi le problème de la relation à l’autre et des réactions des proches ; car si c’est difficile pour lui, ce n’est pas facile non plus pour sa femme et ses enfants qui sont amenés à se poser des questions sur lui mais aussi sur eux et sur le regard des autres. C’est difficile aussi pour ses proches qui ne se sont aperçus de rien, à qui il ne s’est pas confié. Cela touche à la confiance et on se rend compte que l’on ne connaît pas ceux que l’on croyait pourtant si bien connaître. C’est également la remise en question aussi de la qualité de certains psy… Ce livre est aussi une belle leçon de vie : être bien dans sa tête et dans son corps pour s’assumer. Un livre humain, une écriture sobre , le tout à lire en écoutant un disque de Melody Gardot …
Extraits :
Commencer à parler ouvrirait une brèche qu’il n’est pas sûr de pouvoir refermer.
Parce que le bonheur, ça ne dit rien, ça se tait.
Être un homme signifiait, entre autres, aimer le foot.
Depuis qu’il fait du vélo, ils discutent souvent de la notion d’effort et de dépassement de soi.
… au XVIIIesiècle, les hommes eux aussi se poudraient. Des excuses historiques et ethnographiques, il en avait à foison.
Il est seul et pourtant, dans cet environnement si familier, il a l’impression que chaque objet le juge.
être seul, ensemble avec elle.
Ils sont une. Une seule et même personne, un même passé, juste un corps qui n’est pas le bon.
Incongruité de la question, complexité de la réponse : Je suis leur père, mais je suis une femme.
Nous ne sommes dupes que lorsque nous le souhaitons.
la joie de la découverte d’un autre qui serait lui-même.
Comment réunir ma peau d’homme avec la femme que je suis à l’intérieur, ses formes, son esprit, ses désirs ?
Un jour, il faudra que je me ressemble.
Combien de temps faut-il pour être soi-même ? Et je voudrais demander cela à tous ceux qui n’ont pas à changer de sexe. Combien d’années, de décennies, pour être en adéquation ? Adéquation de corps, adéquation de rêves, adéquation de pensées, avec ce que nous sommes profondément, cette matière brute dont il reste quelques traces avant qu’elle ne soit façonnée, lissée, rapiécée par la société, les autres et leurs regards, nos illusions et nos blessures.
C’est un mal-être, un décalage très profond entre celui que je vois dans la glace et moi-même.
Si je ne me suis jamais senti homme, je me suis toujours senti père
Est-il possible de connaître si peu quelqu’un avec qui l’on a toujours vécu ? Que l’on aime ?
On ne peut pas parler tout le temps, remettre chaque instant en question. Il faut savoir reprendre son souffle.
Tout ce qui ne tue pas rend plus fort, n’est-ce pas ? Je vais finir bodybuildée.
on ne sait jamais d’où viennent les coups, et les pires viennent souvent des proches.
La vraie question est là. Doit-on être ce que voient les autres, être tel qu’on nous a aimé ?
Je veux te montrer qu’il faut être soi-même, malgré les épreuves, malgré l’incompréhension.
J’ai longtemps cru qu’être père me suffirait pour rester homme. C’est avec ce genre de certitudes que j’ai écrasé la femme dedans.
Réminiscences d’une vie que l’on regarde s’éloigner sans pouvoir la rattraper.