Giebel, Karine « Jusqu’à ce que la mort nous unisse » (2009)
Grande collectionneuse de prix littéraires et maître ès-thriller psychologique, Karine Giébel est née en 1971. Son premier roman, Terminus Elicius (collection « Rail Noir », 2004) reçoit le prix marseillais du Polar en 2005. Suivront Meurtres pour rédemption (« Rail Noir », 2006), finaliste du prix Polar de Cognac, Les Morsures de l’ombre (Fleuve Noir, 2007), prix Intramuros du festival Polar de Cognac 2008 et prix SNCF du polar 2009, Chiens de sang (Fleuve Noir, 2008), et Juste une ombre (Fleuve Noir, 2012), pour lequel Karine Giébel est couronnée par le prix Polar francophone 2012 et reçoit pour la deuxième fois le prix Marseillais du Polar. Son roman Purgatoire des innocents (Fleuve Noir 2013) confirme son talent et la consacre définitivement « reine du polar « . Après Satan était un ange (Fleuve Noir 2014), De force est son premier roman à paraître chez Belfond.
Résumé : La montagne ne pardonne pas. Vincent Lapaz, guide solitaire et blessé par la vie, l’apprend aujourd’hui à ses dépens : la mort vient de frapper, foudroyant un être cher. Simple accident ? Vincent n’en croit rien : la victime connaissait le parcours comme sa poche. C’est un meurtre. Avec l’aide d’une jeune gendarme, Vincent mène l’enquête, de crevasses en chausse-trappes, déterrant un à un les secrets qui hantent cette vallée. Et Lapaz non plus n’est pas du genre à pardonner…
Prix des Lecteurs de bibliothèques et de médiathèques, Festival Polar de Cognac 2010, pour Jusqu’à ce que la mort nous unisse[
Mon avis : Au centre du livre, la solitude, la difficulté de communiquer, l’amour de la montagne…
La montagne est un personnage a part entière dans le roman. A la fois lumineuse, tourmentée, amicale, hostile ; Le rythme de la vie à la montagne, lent.. au gré des éléments. Le rythme des saisons aussi, accentué par les quatre saisons de Vivaldi. Toujours des personnages atypiques, mal dans leur peau. Cette fois c’est un livre de 600 pages, contrairement aux autres que j’ai lu. Mais j’aime cette analyse des solitudes, la progression dans la connaissance des personnages, tous attachants d’une manière ou d’une autre. Nous sortons du huis clos des precedents romans pour entrer dans un environnement toujours assez réduit ( un village de montagne) mais plus vaste. Une « communauté » qui se connait depuis l’enfance, qui est le cœur d’un village de montagne qui vit principalement du tourisme qui rythme les saisons.. Les guides, les personnes qui travaillent dans le tourisme, les notables, la gendarmerie … et les haines et amours qui les lient. Magnifique analyse psychologique (comme les fois précédentes) et encore un suspense qui va jusqu’à la dernière page…
Extraits :
Comme si la nature telle qu’elle est, ne leur suffisait plus. Ils veulent la rendre plus fréquentable ; la goudronner, la baliser, l’aménager ; la citadiniser, la désauvagiser.
L’humaniser.
On est toujours tellement impatient de vieillir à cet âge-là. On appuie sur l’accélérateur, en vain. Jusqu’au jour où on se surprend à chercher la pédale de frein… En vain.
Parler ou se taire.
Parler, c’était risquer de tout perdre.
Se taire, risquer de se perdre lui-même.
Certes, il n’était pas très volubile, mais choisissait ses mots. Comme s’il ne voulait pas les gaspiller.
Elle ne savait peut-être pas regarder, mais savait lire dans les âmes. Une sorte de don ou de faculté exacerbée. Et cet homme était en souffrance. Une détresse érigée en bouclier, en armure.
Un rocher brisé.
Mieux vaut des souvenirs qui font mal que pas de souvenirs du tout.
Avec la solitude comme seule compagne, il était heureux.
Personne ne le jugeait, ici. Personne ne l’observait. Seule la montagne gardait un œil bienveillant sur lui.
Il aurait aimé ne faire qu’un avec elle. Se fondre dans ce paysage, devenir arbre ou rocher et la suivre dans l’éternité.
Mais on n’est jamais vraiment libre. Enchaîné par ses sentiments, ses passions, ses pulsions. Ses besoins, ses envies. Les devoirs qu’on s’impose, les prisons dont on perd la clef. Les souvenirs et les rêves.
Tout ce qui fait qu’on est vivant.
… chaque pas devenait une découverte pour ceux qui avaient soif d’apprendre. Il était le narrateur de ces lieux, l’inventeur de ces trésors.
On ne pleure jamais que sur soi-même, au final…
— Qu’est-ce que ça veut dire l’Ancolie ? demanda soudain Servane.
— C’est une fleur de montagne. Très belle mais terriblement toxique… C’était la fleur préférée de Laure.
— Ancolie, mélancolie, murmura Servane. Mélancolie…
… simple question de volonté.
Et sa volonté était toujours d’acier.
La lâcheté a quelque chose de fascinant. Peut-être parce qu’elle ne connaît pas de limite, contrairement au courage.
Sa vie, comme un livre écrit sur le ciel, entre le jour et la nuit.